Wynne rend la tâche facile à Ford

« Je viens de la part du gouvernement et je suis ici pour vous aider. » Selon l’ancien président américain Ronald Reagan, voilà les mots les plus terrifiants de la langue anglaise – mais il n’a jamais rencontré la première ministre libérale de l’Ontario, Kathleen Wynne.

Dans le Discours du Trône de cette semaine, Wynne a promis non seulement d’aider – mais de se soucier de notre mieux-être. « Nous sommes entourés d’exemples de personnes qui prennent soin des autres … la voix chantante de l’enseignante qui récite les lettres de l’alphabet à ses élèves, l’infirmière qui fait preuve de compassion pour un patient anxieux … Au moment où l’évolution de l’économie exacerbe les disparités sociales, votre gouvernement a élaboré un plan axé sur le mieux-être et l’avenir. » En découlent ses promesses de médicaments d’ordonnance gratuits, les garderies moins chères, les études postsecondaires en regard des revenus disponibles, les salaires minimums plus élevés, plus de soins à domicile et de lutte contre les changements climatiques pour les générations futures. Du berceau au tombeau, les libéraux proposent d’envelopper les électeurs dans un cocon de compassion étatiste.

Pourquoi cet accent sur le mieux-être? Au cours de la dernière année, Wynne n’a cessé de parler d’équité : une hydroélectricité plus équitable, des lieux de travail équitables, des salaires équitables. « Je ne renoncerai jamais à mon engagement de verser un salaire minimum de 15 $ car tout le monde en Ontario mérite une journée de travail équitable », a-t-elle dit au franchisé Tim Horton qui a osé couper les pauses café de ses employés en janvier dernier. « Une relation commerciale équitable et ouverte est essentielle pour les emplois et la croissance aux États-Unis et ici, en Ontario», a-t-elle tweeté en février. Le mot « équitable » est apparu dans la législation, dans les discours, dans les publicités. Alors, pourquoi le mot «équitable » est-il soudainement out, alors que le terme « mieux-être » est maintenant in?

En deux mots : Doug Ford. Quelque part, dans certains groupes de discussion ou dans la tête de stratèges libéraux, on en est venu à la conclusion que le point faible de Ford était le «mieux-être ». Si sa rivale, Christine Elliott, avait gagné la direction du Parti conservateur, le « mieux-être » ne serait probablement pas le mantra des libéraux – accuser une femme qui a fondé un centre pour les handicapés et les malades de ne pas se soucier du mieux-être des gens aurait été ridicule. Mais Ford! Il est contre les impôts! C’est un homme d’affaires! C’est un homme! À l’attaque!

Mais si le rallye conservateur de lundi soir à Etobicoke est une indication, Wynne a peut-être parié sur la mauvaise terminologie. Le Ford qui s’est adressé aux 2000 supporters ce soir-là ne s’est pas montrée indifférent. Combattant, oui, lorsqu’il a promis que les conservateurs formeront « la plus grande majorité que cette province n’ait jamais vue ». Intéressé par l’argent, oui, quand il a entonné que « Kathleen a signé beaucoup de chèques avec le compte bancaire des contribuables ». Et têtu, quand il a promis de développer le Cercle de feu, « même si je dois monter moi-même sur un bulldozer ».

Ford est ce que les maniaques de la politique appellent un HOAG – Hell Of A Guy (tout un gars). C’est le gars avec qui on peut prendre une bière, le gars sans prétention, le gars qui prendra votre appel quand vous aurez besoin d’aide. Les HOAGs sont en politique depuis longtemps – l’ancien premier ministre de l’Ontario, Mike Harris, était un HOAG. Le regretté Ralph Klein de l’Alberta était un HOAG. Même l’ancien premier ministre Jean Chrétien, « le p’tit gars de Shawinigan », était un HOAG. Les HOAGs se débrouillent bien lorsqu’ils font campagne contre les « élites », ce qui est exactement la façon dont Ford s’est positionné dans cette course – et qu’il continuera de faire contre Wynne.

Mises à part les différences de personnalité, l’engagement de Wynne envers le « mieux-être » des gens est également facile à réfuter. Ford a simplement à dire que la raison pour laquelle les gens ont tant besoin de quelqu’un pour s’occuper d’eux est à cause de la mauvaise gestion des gouvernements libéraux successifs. En fait, Wynne court contre elle-même – si le gouvernement se soucie tellement de notre mieux-être, pourquoi s’en soucie-t-il seulement maintenant? Où était-il durant les 15 dernières années? Réponse : en train de hausser de façon vertigineuse les tarifs d’électricité, d’augmenter le fardeau fiscal et d’engorger les hôpitaux.

L’argumentaire à ce sujet est terriblement facile. Les libéraux ont eu l’occasion de beaucoup se soucier de notre mieux-être pendant cette période, mais ils ont préféré gaspiller des milliards de dollars dans l’annulation d’usines à gaz et en contrats surévalués d’énergie verte. Ils ont capitulé dans les négociations contractuelles avec les employés du secteur public pour s’attirer les faveurs du vote syndical. Ils ont engendré une série de scandales, de cyberSanté Ontario à Ornge en passant par de controversées collectes de fonds de parti, ce qui a érodé davantage la confiance du public – et qui fait mentir leur nouvelle approche « mieux-être ».

Enfin, Ford peut dire qu’il se souciera de notre mieux-être d’une autre façon. Plutôt que d’utiliser les leviers du gouvernement pour prendre soin des gens, il peut argumenter qu’il fera davantage confiance aux « petits groupes » de la société – la famille, l’association de quartier, l’église, la mosquée, les scouts. Bref, la question ne sera pas que les libéraux se soucient de notre mieux-être et que les conservateurs ne s’en soucient pas, elle sera : quelle est la meilleure façon de se soucier de notre mieux-être? De haut en bas ou de la base vers le haut? Pour un gars qui évite les élites et les mots à cent dollars, Ford pourrait se retrouver à mener l’une des plus philosophiques élections que la province ait connue depuis des décennies. Et les libéraux pourraient avoir besoin de parler une nouvelle langue…

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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