Wynne a gaspillé une belle opportunité en jouant trop tôt la « carte Trump »

Alors que les élections ontariennes ont lieu dans 50 jours, et que les libéraux provinciaux traînent dans les sondages, la première ministre Kathleen Wynne a fait l’inévitable : elle a joué la carte Trump. Alors qu’elle faisait une annonce sur les soins de santé à l’hôpital Sunnybrook de Toronto, elle a comparé le leader du PC, Doug Ford, au président des États-Unis. « Doug Ford sonne comme Donald Trump, et c’est parce qu’il est comme Donald Trump. Il croit en une sorte de politique vicieuse et mesquine qui trafique des calomnies et des mensonges. Il dira n’importe quoi à n’importe qui à n’importe quel moment. »

Au cas où quelqu’un n’aurait pas saisi son message, Wynne a continué – pendant trois longues minutes. « Tout comme Trump, tout est à propos de lui … C’est comme ça que Trump a fait campagne en 2016 et c’est comme ça que Ford fait campagne présentement. » Wynne a continué en rappelant que « … tout comme dans le cas de Donald Trump, il n’y a qu’une façon de gérer ce genre de comportement : vous devez lui faire face, et vous devez nommer ce comportement pour ce qu’il est, parce que c’est comme ça qu’il faut s’y prendre avec les brutes. »

La réponse de Ford à cette diatribe était prévisible. Lors d’un événement de campagne à Cobourg, il a ri, a secoué la tête et a dit : « Désespérée, désespérée … Kathleen Wynne peut bien faire campagne dans un autre pays si ça lui chante. Je me concentre sur les gens de l’Ontario … Je me concentre sur les emplois en Ontario. »

Bam! Pour une fois, Ford n’était pas celui qui lançait les hostilités. Pas comme en 2014, quand il a déclaré au personnel d’un foyer pour adolescents autistes : « Vous avez ruiné la communauté … Mon cœur se tourne vers les enfants autistes. Mais personne ne m’a dit qu’ils allaient quitter la maison. »

Lorsque confronté à ces commentaires dans l’actuelle campagne provinciale, Ford a nié les avoir faits, rétorquant : « Vous allez entendre beaucoup de mensonges, des mensonges désespérés de la part de Kathleen Wynne. »

Cela a servi comme l’une des inspirations pour la comparaison avec Trump de Wynne. « Nous l’avons vu cette semaine quand Doug a menti – menti à pleines dents – à propos de ses commentaires épouvantables sur les familles vivant avec l’autisme, n’ayant pas le courage d’admettre la vérité et de reconnaître ses propres propos. Il a pris la porte de sortie du lâche et il a tout nié. »

Nouvelle de dernière heure : les politiciens mentent. Et cela inclut Kathleen Wynne. Les Ontariens se souviennent quand elle a inventé le terme « objectif à long terme » (“stretch goal”) – un euphémisme utilisé pour mentir à propos de la réduction des primes d’assurance automobile en 2016. Ensuite, il y a eu les multiples promesses que son parti n’a pas tenues, des impôts (ils ont augmenté) aux déficits (ils sont de retour) en passant par les factures d’électricité (elles remonteront dans quelques années, après que le gouvernement eut claironné leur réduction à court terme). Pour les électeurs, il s’agit aussi de mensonges.

Wynne a probablement dû penser qu’en comparant Ford à Trump, elle aiderait à consolider le vote du centre gauche derrière les libéraux. Quelle meilleure façon de le faire que de convaincre les progressistes qu’ils risquent de transformer Queen’s Park en Trump Tower s’ils n’appuient pas un candidat – c’est-à-dire elle?!

Mais la faille dans cette façon de penser est double. Premièrement, les libéraux ne sont pas tellement en meilleure position dans les sondages que le NPD, ce qui fait de la cheffe du NPD, Andrea Horwath, une option anti-Ford potentiellement aussi attrayante que Wynne. Deuxièmement, les électeurs néo-démocrates ne sont pas nécessairement des « électeurs potentiels » pour les libéraux; à l’extérieur de la région du Grand-Toronto, dans les régions rurales et ex-urbaines de l’Ontario, beaucoup pourraient facilement se tourner vers le PC advenant une vague populiste de changement.

Au lieu de combattre cette vague, Wynne doit trouver sa propre façon de surfer. Ce ne serait pas impossible : la plupart de ses politiques sont axées vers les électeurs à revenu faible et moyen. Elle-même ne fait pas partie de l’« élite » – contrairement à Ford, elle n’est pas née dans une famille aisée, et a gravi les échelons d’un poste de conseillère scolaire à celui de première ministre. Au lieu de s’en prendre à Ford pour avoir critiqué les élites comme Donald l’a fait, elle devrait mettre l’accent sur son message positif d’aide aux Ontariens les moins fortunés.

Le désir de changement n’est pas non plus un obstacle insurmontable. En 2010, 76 % des électeurs ont dit qu’ils voulaient aussi du changement – pourtant, le prédécesseur de Wynne, Dalton McGuinty, a été élu minoritaire lors du vote de 2011. Au lieu d’affirmer que « [Ford] pourrait être Donald Trump, mais je ne suis pas Hillary Clinton » – une association que les électeurs sont maintenant assurés de faire –, elle devrait reconnaître qu’elle traîne dans les sondages et s’identifier comme l’outsider qui remporte finalement la victoire.

Et enfin, il y a la stratégie « donne-leur la corde ». Cela a fonctionné en 2008, lorsque le chef du PC, John Tory, a promis de financer de façon spectaculaire toutes les écoles religieuses. Ça a de nouveau fonctionné en 2014, lorsque le successeur de Tory, Tim Hudak, a promis de supprimer 100 000 emplois dans le secteur public, donnant à Wynne une majorité inattendue, alors que la plupart des sondeurs pensaient que son gouvernement avait dépassé sa date de péremption… Avec la réputation de grande gueule de Ford, Wynne aurait dû suivre la même stratégie – être patiente et le laisser se tirer lui-même dans le pied. Avec les 50 jours qu’il reste, il aurait probablement eu de nombreuses occasions de le faire.

Au lieu de cela, Wynne a choisi la voie des attaques personnelles, se présentant comme la victime de l’intimidation et gravant dans l’esprit de tout le monde une reprise de la course américaine de 2016. Les seuls gagnants ici – à part Ford – sont les caricaturistes politiques. Laissons la vague de memes déferler.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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