Il y a un problème au paradis – et c’est une mauvaise nouvelle pour le gouvernement de Justin Trudeau. Ce week-end a vu la publication des Paradise Papers, un dossier de 13,4 millions de fichiers électroniques détaillant les structures fiscales utilisées par des particuliers et des entreprises pour réduire leur fardeau fiscal.
De la reine Elizabeth de Grande-Bretagne au secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, en passant par Bono, le chanteur de la formation U2, une liste éclectique de grands voyageurs a été ramenée sur terre, là où les critiques du 1% réclament maintenant du sang.
Parmi les 3 000 Canadiens nommés dans les Papers, se trouvent les hommes d’affaires Stephen Bronfman et Leo Kolber. Selon les Papers, les deux hommes ont utilisé une fiducie de 60 millions de dollars basée dans les îles Caïmans pour investir en Israël. Bronfman est également un ami proche du premier ministre; les deux hommes ont passé leurs vacances ensemble et Trudeau lui a demandé de présider les efforts de collecte de fonds du Parti libéral en 2013.
Malheureusement pour un premier ministre qui se présente comme le champion de la classe moyenne, cette nouvelle a retenti partout au Canada et dans le monde, accompagnée d’une photo illustrant la grande amitié de Trudeau et Bronfman, prise lors d’une fête à l’Île-du-Prince-Édouard cette même année.
En réponse, Bronfman s’est décrit comme un « fier Canadien » qui « a toujours respecté toutes les exigences légales, y compris celles en matière fiscale » et n’a « jamais financé ou utilisé des fiducies extraterritoriales ». Selon Bronfman, la transaction en question était « un prêt unique accordé il y a plus d’un quart de siècle au Kolber Trust » qui « a été remboursé cinq mois plus tard et était entièrement commercial, en pleine conformité avec toutes les exigences légales, y compris en matière fiscale ».
Cela n’a guère d’importance. Durant la période des questions aujourd’hui, les députés de l’opposition se sont emparés de l’affaire en utilisant l’image du riche gouvernement Trudeau à l’aide d’une série de questions adressées au ministre des Finances, Bill Morneau, à propos de son incapacité à placer 20 millions de stocks dans une fiducie sans droit de regard.
Lorsque le chef de l’opposition, Andrew Scheer, a questionné le premier ministre Trudeau à propos des révélations sur Bronfman, ce dernier a répondu : « Je laisserai les gens commenter leur propre situation, mais en ce qui a trait aux Paradise Papers, l’Agence du revenu du Canada (ARC) examine les liens avec les entités canadiennes et prendra toutes les mesures appropriées ».
En ce qui concerne ces actions, Trudeau a seulement indiqué que « nous sommes pleinement engagés à lutter contre l’évitement fiscale et l’évasion fiscale et nous continuerons de veiller à ce que l’ARC poursuive tous les contrevenants pour de nombreuses années à venir ».
Le premier ministre a ensuite laissé le reste des questions à sa ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, qui a répété une variante de ses arguments pour la plus grande partie de la période de questions. « Notre gouvernement est fermement déterminé à lutter contre l’évasion fiscale », a-t-elle déclaré en réponse au député conservateur Gérard Deltell. « Ce que nous voulons, c’est un système fiscal équitable pour tous les Canadiens. Nos actions ont eu comme effet d’investir près d’un milliard de dollars au cours des deux dernières années. Cela nous permettra de récupérer au moins 25 milliards de dollars. »
Mais comme l’a souligné l’opposition, une grande partie de cette reprise semble viser les mauvaises cibles: les diabétiques réclamant des crédits d’impôt pour personnes handicapées, les employés de détail obtenant certains avantages imposables et les petites entreprises comme les agriculteurs, les médecins et les entrepreneurs. « Quand cette hypocrisie fiscale va-t-elle prendre fin? », a déploré le porte-parole du ministère des Finances, Pierre Polievre, dans une présentation particulièrement tonitruante.
À ce sujet, Polievre a raison – et les conservateurs ont peut-être une longueur d’avance en termes de moralité. La CBC a rapporté que les gouvernements libéraux qui se sont succédés n’ont pas réussi à adopter de loi, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, qui auraient limité les paradis fiscaux, en partie grâce au lobbying du puissant cabinet d’avocats Davies Ward, qui compte de nombreux clients, dont Bronfman. Le projet de loi n’a été adopté qu’en 2007 à la Chambre, après la prise du pouvoir par les conservateurs de Stephen Harper, mais il est mort au Feuilleton après avoir mariné au Sénat, dominé par les libéraux, pendant neuf mois.
S’étant eux-mêmes qualifiés de champions de la classe moyenne, les libéraux se sont rendus très vulnérables sur cette question. Ce n’est pas la distribution inégale de la richesse qui pourrait s’avérer toxique pour ce gouvernement : les paradis fiscaux extraterritoriaux coûtent au Trésor canadien entre 6 et 7,8 milliards de dollars par année.
Divisez 7 milliards de dollars par 35 millions de Canadiens et réclamez cet argent redistribuerait 200 $ par personne – pas de quoi enrichir personne. Mais c’est la poursuite inégale des contribuables qui va commencer à faire tiquer les électeurs – cette pratique consistant à cueillir les fruits à revenu moyen pendant que les pommes les plus juteuses restent suspendues, hors de danger.
La ligne narrative de l’opposition est devenue claire : des leaders politiques pensent qu’il y a une loi pour eux et leurs amis, et une autre pour tous les autres. Si cette histoire continue de coller, les libéraux pourraient envisager une perte infernale, plutôt qu’une autre victoire paradisiaque.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.