Une émeute raciale dans une ville du sud des États-Unis – et un test politique pour Trudeau

Les noirs sont-ils en sécurité aux États-Unis? C’est la question que de nombreuses personnes se posent à la suite de rassemblements violents de suprématistes blancs ce week-end à Charlottesville, en Virginie. Les nazis, les partisans de Ku Klux Klan et d’autres groupes haineux opérant sous la mouvance « alt-right » sont descendus dans la rue pour protester contre le retrait d’une statue du général Robert E. Lee, symbole du passé confédéré de l’État, d’un parc du centre-ville.

Des monuments semblables ont été retirés ou déplacés dans des villes à travers le sur des États-Unis, plusieurs en réponse aux meurtres de neuf paroissiens noirs en 2015 dans une église à Charleston, en Caroline du Sud, par un suprématiste blanc autoproclamé. Ces décisions ont alimenté une vive controverse sur la façon dont les Américains devraient se représenter une histoire nationale imprégnée d’esclavage.

La décision de Charlottesville d’enlever la statue de Lee est devenue un point de ralliement pour les groupes opposés à l’évolution de l’éthique et de la représentation ethnique des États-Unis. Jason Kessler, qui a organisé le rassemblement « Unite the Right », a déclaré que le rassemblement visait à « défendre notre histoire ».

« La statue elle-même symbolise beaucoup de problèmes plus importants », y compris la préservation de l’histoire contre le « révisionnisme », la lutte contre l’exactitude politique, la défense des intérêts blancs et la liberté d’expression, a déclaré Kessler à CNN.

L’animus derrière les émeutes à Charlottesville, en d’autres termes, provient des mêmes thèmes et memes qui ont soutenu la campagne présidentielle de Donald Trump. Il ne fait aucun doute que les suprématistes blancs ont été encouragés par l’ascension de Trump à la Maison-Blanche. Et ils s’en approprient une partie du crédit.

« Ne vous méprenez pas, notre mouvement a joué un rôle important dans l’élection de Trump! », a tweeté David Duke, ancien leader Ku Klux Klan et ancien membre de la Chambre des représentants de la Louisiane, après la victoire surprise de Trump.

Ce qui pourrait expliquer pourquoi il a fallu à Trump deux jours pour dénoncer la situation à Charlottesville. Voici ce qu’il a d’abord eu à dire sur les émeutes : « Nous condamnons, dans les termes les plus forts possibles, cette représentation flagrante de la haine, de l’intolérance et de la violence, sur plusieurs fronts. De nombreux fronts. Cela dure depuis longtemps dans notre pays. Pas depuis Donald Trump, ou Barack Obama. Cela dure depuis très, très longtemps. »

Lundi, faisant face à d’importantes pressions publiques, il a finalement dénoncé les groupes concernés. « Le racisme est mal. Et ceux qui causent la violence en son nom sont des criminels et des voyous, y compris le KKK, les néo-nazis, les suprématistes blancs et autres groupes haineux qui dédaignent tout ce que nous considérons comme Américain. »

Ce n’est pas seulement le problème des États-Unis. C’est rapidement devenu celui du Canada. Alors que les Américains noirs se demandent s’ils sont en sécurité aux États-Unis, beaucoup, qui ne sont pas encore citoyens là-bas, répondent dans la négative et votent avec leurs pieds.

Le Canada connaît une importante poussée d’immigration clandestine en provenance de son voisin du sud, composée de personnes qui espéraient faire des États-Unis leur résidence, qui se disent maintenant qu’en raison de la couleur de leur peau, de leur pays d’origine ou de leur religion, ils ne se sentent plus les bienvenus. Certains ont vu leurs demandes de statut de réfugié ou de citoyenneté refusées aux États-Unis. D’autres craignent qu’elles ne soient refusés; certains préfèrent simplement partir et tenter leur chance ailleurs.

Et leur nombre augmente. Entre le 1er et le 7 août seulement, 1 798 personnes ont traversé la frontière des États-Unis vers le Québec près de la ville de Lacolle pour revendiquer le statut de réfugié. En comparaison, seulement 2 920 demandes de statut de réfugié ont été déposées au Québec en 2015. Immigration Canada a installé des tentes dans la petite municipalité pour traiter le débordement d’hommes, de femmes et d’enfants. La Ville de Montréal accueille des milliers de personnes dans des abris improvisés au Stade olympique.

Il s’agit d’une réponse insuffisante. Ottawa ne peut pas simplement poser un cataplasme sur la situation et espérer qu’elle disparaisse. Le gouvernement fédéral et le premier ministre Justin Trudeau se disent fiers de l’ouverture du Canada, en accueillant 40 000 réfugiés syriens, en télégraphiant ce message partout dans les Nations-Unies jusqu’à sur la couverture du magazine Rolling Stone. Mais il est hypocrite de surfer sur cette réputation tout en ignorant le fait qu’il y ait une crise qui se prépare à notre frontière qui affecte non seulement les personnes qui cherchent à immigrer ici, mais tous les Canadiens déjà ici.

Tout se résume à l’accord que nous avons avec les États-Unis qui nous reconnaît comme un « tiers pays sûr » pour les personnes qui fuient la persécution dans leur pays d’origine. En vertu de cet accord, les futurs réfugiés qui traversent au Canada à des points de contrôle légaux peuvent être renvoyés aux États-Unis, car le pays est considéré comme un lieu sûr pour eux.

Cet accord avec les États-Unis a été signé à une autre époque – avant la présidence de Donald Trump. Trudeau doit se demander aujourd’hui: ce changement justifie-t-il l’abrogation de l’accord?

Les Haïtiens qui ont fui leur patrie après le tremblement de terre de 2010 répondront probablement « oui », alors que Trump menace de ne pas prolonger leur résidence aux États-Unis. Les musulmans touchés par l’interdiction de voyager de Trump peuvent également dire qu’ils se sentent en danger et non les bienvenus. Et quiconque observe les manifestations violentes du week-end à Charlottesville, et l’audace croissante des groupes suprématistes blancs, devront en convenir que le niveau de haine envers les minorités visibles augmente. Pour eux, les États-Unis ne paraissent peut-être pas aussi sûrs – du moins, pas aussi sûrs qu’avant.

L’accord contient également une échappatoire qui fait en sorte que des personnes qui se présentent aux points de contrôle sont renvoyées, tandis que celles qui traversent illégalement la frontière sont autorisées à rester. Cela encourage les traverses illégales, qui peuvent être lourdes de conséquences (deux Ghaniens ont perdu leur main en raison du gel pour franchir la frontière près d’Emerson, au Manitoba) et qui constituent un injuste saut dans la file d’attente. Les réfugiés authentiques qui attendent dans les camps de réfugiés à l’étranger et les immigrants potentiels qui suivent le processus légal et attendent leur tour sont sans surprise fâchés de voir ces personnes autorisées à entrer dans le pays alors qu’eux doivent attendre une audience de réfugiés. L’accord peut également présenter un risque pour la sécurité, alors que des criminels ont également cherché refuge au Canada après avoir transité aux États-Unis.

Pour un gouvernement présentement engagé dans les négociations de l’ALENA, et pour un premier ministre qui a construit sa réputation sur les thèmes de l’ouverture et de l’inclusion, la situation actuelle à la frontière présente un test indésirable. Les événements de Charlottesville ne font que mettre davantage la situation en relief. Ottawa a maintenant une décision à prendre.

Est-ce qu’il maintient l’Entente entre le Canada et les États‑Unis sur les tiers pays sûrs? Est-ce qu’il ferme l’échappatoire? Et prend-il des mesures pour faire en sorte que le Canada atteigne un juste équilibre entre la compassion et le bon sens – et des règles du jeu qui soient les mêmes pour tous ceux et celles qui cherchent un sanctuaire sur nos rives?

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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