Un programme surchargé et une courbe d’apprentissage abrupte : Trudeau en 2016

Il passera une bonne partie de 2017 à rattraper les promesses de l’année précédente

Lors d’une conférence de presse de fin d’année, le premier ministre Justin Trudeau a réfléchi sur les hauts et les bas de sa gouvernance en 2016. Pour M. Trudeau, le point le plus bas a été atteint lorsque deux otages canadiens, les hommes d’affaires John Ridsdel et Robert Hall, ont été assassinés par le groupe terroriste Abu Sayyaf, aux Philippines.

« C’est quelque chose qui évidemment a été très difficile pour moi personnellement, car j’avais la responsabilité de diriger et d’articuler la position canadienne, mais j’avais aussi l’occasion et la responsabilité de parler avec leurs familles », a déclaré M. Trudeau.

Cette position est de ne pas payer de rançons. Lorsqu’on lui a demandé s’il regrettait cela, Trudeau a dit qu’il pense que la plupart des Canadiens comprennent. Le fait de donner suite à de telles demandes « ne serait pas seulement une source importante de fonds pour les terroristes qui visent à causer plus de tort et à prendre plus de vies, mais mettrait en danger la vie de tout citoyen canadien qui travaille, voyage ou vit à l’extérieur de nos frontières ».

Trudeau a raison sur ce point et sa réponse rappelle aux Canadiens que diriger un gouvernement national n’est pas simplement une question de dollars, de cents et d’intérêts concurrents. C’est aussi un travail impliquant des décisions de vie ou de mort, celles où les vies pèsent littéralement dans la balance. Un premier ministre qui envoie des soldats dans des zones de guerre – même dans le cadre de missions de formation –, le fait en sachant très bien que ces soldats pourraient mourir. Et le large éventail de décisions qu’un premier ministre doit prendre en matière de sécurité nationale – la protection de nos frontières, l’élaboration de lois qui habilitent les agences de renseignement et la police à prévenir des complots – peut faire la différence entre vivre et mourir pour le Canadien moyen.

Puis il y a les autres décisions de vie ou de mort – celles dont les conséquences sont tout aussi étendues, mais ne sont pas aussi immédiates, ou évidentes, ou dramatiques. Des choses comme l’adoption d’une loi sur le droit de mourir, le financement des soins de santé ou le maintien d’équipements militaires. Ces trois questions se posent cette année, lorsque les défenseurs du suicide assisté par un médecin ont attaqué la législation limitée du gouvernement, lorsque les provinces ont exigé plus d’argent pour les transferts en soins de santé et quand un des chasseurs CF-18 vieillissants du Canada s’est écrasé tuant son pilote, le colonel Paul Doyle.

Aussi, en 2016, Ottawa s’est engagé à élaborer une stratégie pour l’itinérance, un enjeu de vie ou de mort pour un nombre incalculable de personnes. Environ 40 sans-abri sont morts chaque année entre 2000 et 2005 à Toronto seulement.

Les conditions de vie dans une grande partie des réserves des Premières nations du Canada sont également désastreuses; l’enquête fédérale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui a débuté cette année, aborde seulement un des aspects de ce véritable casse-tête qui comprend le suicide, la toxicomanie et la pauvreté.

La tentation, bien sûr, sera de jeter toujours plus d’argent sur ces problèmes, et de prendre le crédit pour avoir « agi » – ou, dans le cas du gouvernement Trudeau, de dépenser de l’argent dans des consultations avant d’en dépenser encore plus sur les quelques solutions prescrites. Le problème, c’est que ce gouvernement est déjà profondément dans le rouge et qu’il y restera pour le reste de son mandat de quatre ans. Il n’y a simplement plus de place pour de nouveaux programmes coûteux.

Mais l’argent n’est pas vraiment la réponse à bon nombre des grands dossiers en jeu. Les soins de santé ont besoin d’une dose d’efficacité et de concurrence, qui pourrait être obtenue en modifiant la Loi canadienne sur la santé afin de permettre un plus grand choix de soins de santé, libérant ainsi de l’argent public pour les patients qui en ont le plus besoin. De même, les Premières nations ont besoin d’une réforme législative – à savoir l’abrogation de la Loi sur les Indiens – pour rétablir les relations entre Ottawa et les peuples autochtones du Canada. Dans le cas des sans-abri, se concentrer sur la santé mentale et la toxicomanie, plutôt que sur les briques et le mortier, irait plus loin dans la promotion d’un sentiment d’indépendance et de bien-être chez ces personnes dont les plus grandes luttes impliquent simplement leur survie.

Trudeau traitera ces dossiers en 2017, et plus encore : la réforme électorale, les taxes sur le carbone, la légalisation de la marijuana. Beaucoup d’entre eux découlent des promesses libérales faites en 2015; d’autres, comme l’économie, les soins de santé et la défense, sont des préoccupations constantes pour toute administration. Mais parce que Trudeau a surmonté les responsabilités de base de son gouvernement avec un programme très ambitieux, l’écart en matière d’attentes envers son gouvernement va continuer à croître. Sans surprise, peut-être, le taux de satisfaction dont jouissent les libéraux depuis leur élection va commencer à retomber sur terre, passant de la très élevée cinquantaine de points à la basse quarantaine

Donc quand on lui demandera ses points faibles dans un an, que dira M. Trudeau? Que trop de Canadiens malades sont morts faute de soins médicaux en temps opportun? Que trop d’enfants des Premières nations se sont tués à cause d’un trop grand manque d’opportunités? Que trop de Canadiens de l’Ouest demeurent au chômage, que trop d’Ontariens ne peuvent pas se payer de résidence, que trop de gens se tournent vers les banques alimentaires pour joindre les deux bouts?

Les gouvernements ne peuvent pas tout faire; ils doivent choisir judicieusement leurs priorités. Il s’agit d’équilibre. Espérons que ce gouvernement sera judicieux dans l’année à venir.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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