Un point d’inflexion du libre-échange

Trudeau est bien placé pour devenir un ambassadeur d’espoir en matière de commerce mondial

Le libre-échange est-il en difficulté? Un nouveau sondage réalisé par Angus Reid révèle que seulement un Canadien sur quatre pense que l’Accord de libre-échange nord-américain est bon pour le Canada. Une personne sur quatre pense qu’il est mauvais pour notre pays et une sur trois aimerait qu’il soit renégocié.

Au sud de la frontière, Donald Trump a décrit l’ALENA comme une catastrophe, et Hillary Clinton s’oppose au Partenariat transpacifique (PTP). De l’autre côté de l’Atlantique, le Royaume-Uni vient de voter pour quitter l’Union européenne, ce qui alimente un sentiment protectionniste dans d’autres pays européens et pourrait potentiellement faire dérailler l’AECG, l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’UE.

Ces récents développements servent de toile de fond au sommet des « trois amigos », la rencontre régulière des dirigeants du Canada, du Mexique et des États-Unis, qui a lieu cette semaine. En réponse à ces développements, à son arrivée à Québec aujourd’hui, le président mexicain, Enrique Pena Nieto, a non seulement fait un plaidoyer en faveur d’un commerce nord-américain plus libre, mais pour une intégration économique complète.

« Les Canadiens et les Mexicains partagent des valeurs et des objectifs de développement identiques et nous partageons également une même vision du monde que nous voulons », a déclaré M. Nieto. « Laissez-nous évaluer les mérites de nos affinités et accords pour soutenir l’innovation et la durabilité environnementale et aussi pour favoriser l’intégration économique de l’Amérique du Nord. »

Dans le climat actuel, cela pourrait s’avérer être un défi de taille. Les plus petites questions liées au commerce et à la mobilité feront probablement l’objet de quelque progrès : Nieto a sans doute espoir que le premier ministre Justin Trudeau donnera suite à la promesse faite lors de la dernière campagne libérale de supprimer l’exigence d’un visa canadien pour les voyageurs mexicains, tandis qu’Ottawa espère du Mexique la levée de son interdiction sur le bœuf canadien, imposée en réponse à la crise de la vache folle de 2003.

Et dans le secteur de l’énergie verte, Radio-Canada rapporte que les États-Unis et le Mexique sont censés annoncer un accord pour la production de 50 pour cent de leur électricité à partir de sources renouvelables d’ici 2025.

Mais sur des questions plus importantes, telles que la ratification par le Congrès américain du PTP, il y a encore beaucoup d’instabilité dans l’air. Une partie du problème réside dans les avantages inégaux conférés par le libre-échange : alors que certains secteurs en ont profité de façon spectaculaire, d’autres en ont souffert, notamment le secteur manufacturier. Selon le Council on Foreign Relations, un think tank américain, l’inégalité des revenus aux États-Unis a augmenté au cours des dernières années, exacerbée par des accords commerciaux qui, selon le senior fellow Edward Alden, ont « renforcé la mondialisation de l’économie américaine ».

Des millions d’Américains dans le Midwest et les États de la « ceinture de la rouille » (Rust Belt) blâment le libre-échange pour leurs pertes d’emplois – et pour les avoir expédiés vers d’autres pays, dont le Mexique. Dans le cadre de la présente année électorale, ces légions de démunis ont afflué vers les candidats tels que Donald Trump et Bernie Sanders, dont les déclarations protectionnistes répondent à leur détresse.

De plus, alors que de plus en plus de pays concluent des accords bilatéraux avec d’autres, la valeur du commerce « plus libre » diminue. CNBC rapporte que, selon la Banque mondiale, le tarif moyen entre les pays du PTP est de seulement trois à quatre pour cent, à peu près le coût du transport des produits touchés, et pas assez pour stimuler une augmentation massive dans le commerce. Aux États-Unis, une étude publiée mai 2016 par la United States International Trade Commission a conclu que le PTP n’ajouterait seulement que 0,15 point de pourcentage à la croissance économique des États-Unis au cours des 15 prochaines années, et ne produirait qu’un 0,07 point de pourcentage de hausse de l’emploi.

Cette loi des rendements décroissants, associée à une courte mémoire, fait qu’il est facile d’ignorer les avantages que la mondialisation a conférés, en particulier pour les citoyens les plus pauvres du monde. Selon la Banque mondiale, au cours des 25 dernières années, la valeur du commerce mondial a augmenté de cinq fois.

Au cours de la même période, le taux global de pauvreté a été réduit de moitié, extirpant un milliard de personnes de la « pauvreté extrême ». Cette croissance a été alimentée principalement par les marchés axés sur les exportations, comme la Chine, où le défi est maintenant non pas tant d’accroître l’accès aux marchés étrangers, mais de stimuler la demande intérieure et de maintenir la croissance de la classe moyenne.

Le Canada a également connu une croissance considérable grâce au libre-échange nord-américain : depuis 1993 les investissements américains et mexicains au Canada ont triplé et notre économie a créé 4,7 millions nouveaux emplois. Des trois amigos, Trudeau est celui qui a le plus de raisons de sourire – et est probablement le mieux placé pour faire avancer des arguments commerciaux plus libres, étant donné qu’il ne fait pas face à une élection pour trois ans et bénéficie de taux d’approbation élevés ici comme à l’étranger.

Lors de ce sommet et plus tard, notre premier ministre devrait utiliser ce capital pour faire avancer un programme de libre-échange à visage humain. Il devrait commencer en admettant que tous les travailleurs ne seront pas gagnants – et que le défi pour les gouvernements n’est pas se placer au travers du commerce, mais d’aider les personnes qui en sont victimes, de sorte qu’elles ne tombent pas entre les mailles du filet. L’État peut jouer un rôle positif dans une économie en mutation, avec la formation, l’éducation, et d’autres mesures visant à aider les travailleurs à naviguer dans les transitions. Il ne s’agit pas de garder les gens en dehors, mais de les aider à y faire face. Dans ce climat de peur, le commerce a besoin d’un ambassadeur d’espoir – et Trudeau pourrait bien être ce dernier.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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