Quelque part, Jason Kenney doit sourire
Le climat a beau être au chaud, les derniers indicateurs économiques du Canada sont des plus glaciaux. En juillet, le pays a perdu 31 200 emplois nets, la plus forte baisse dans le travail à temps plein enregistrée sur un mois, depuis 2011.
En juin, le déficit commercial global du Canada a atteint un record : 3,6 milliards $. L’économiste en chef de la BMO, Doug Porter, a déclaré ceci : « Ce qu’il faut retenir ici est que l’économie canadienne croît à peine … Et que ce qui tire l’économie est le secteur des exportations, le seul domaine de l’économie où je pense qu’il y avait de grands espoirs. Nous sommes encore très dépendants des consommateurs, et de leurs dépenses, et de l’immobilier pour maintenir l’économie active ».
Pourtant, malgré la perte d’emplois et de la stagnation des exportations, le gouvernement Trudeau envisagerait d’assouplir les restrictions sur les travailleurs étrangers. Le Globe and Mail a rapporté cette semaine qu’« un comité de la Chambre des communes, dominé par les libéraux, a terminé un rapport sur les options visant à modifier le controversé programme et rendra publiques ses recommandations le mois prochain, lorsque le Parlement reprendra … Le rapport devrait reconnaître la nécessité des travailleurs étrangers temporaires dans certains secteurs spécifiques et mettra l’accent sur l’importance de fournir aux travailleurs étrangers des options pour devenir résidents permanents canadiens ».
Le rapport a été achevé en juin, avant que les chiffres sur l’emploi de juillet aient été connus. Mais en dépit de la détérioration du climat économique, les recommandations du rapport demeurent sur la table. Lors d’une récente mission commerciale en Chine, le ministre de l’Immigration, John McCallum, a suggéré que le gouvernement libéral ferait en sorte qu’il soit plus facile pour les entreprises canadiennes de faire venir des travailleurs étrangers. « Nous allons également réduire certains obstacles et règles idiotes … afin de donner aux entreprises la liberté de faire venir les meilleurs et les plus brillants. Nous allons nous débarrasser de plusieurs de ces évaluations d’impact (obligatoires) du marché du travail qui ralentissent énormément le processus. »
Les « règles idiotes » en question ont supposément trait à des restrictions sur les professeurs invités, mais un porte-parole du ministre McCallum a également déclaré que le recours à des évaluations d’impact du marché du travail dans certains cas serait levé pour aider à attirer les meilleurs talents. McCallum ne parlait donc pas de libéraliser le secteur des emplois des travailleurs saisonniers ou autres travaux peu qualifiés; il parlait davantage d’emplois de haut niveau et mieux rémunérés – le genre d’emplois que les Canadiens instruits de la classe moyenne convoiteraient probablement pour eux-mêmes.
Cela pourrait ne pas très bien passer chez les Canadiens qui ont voté pour l’engagement des libéraux à « développer la classe moyenne » et à créer des emplois par le biais de leur « plan d’investissement, de création d’emplois et de croissance ». Lors de l’élection de 2015, les libéraux se sont engagés à dépenser 60 milliards $ sur dix ans sur des infrastructures pour créer des emplois. Ils ont promis 1,5 milliard $ sur quatre ans pour une stratégie de l’emploi des jeunes, 900 millions $ sur trois ans pour l’emploi et l’innovation, 800 millions $ sur quatre ans pour de nouvelles formations, et 100 millions $ pour la construction d’équipements de formation commerciale. Ils ont également promis de créer « une nouvelle stratégie de promotion des exportations qui aidera les entreprises à tirer parti des nouveaux accords commerciaux ».
Mais si la contrepartie de ces accords – comme un éventuel accord de libre-échange avec la Chine – permet à plus de travailleurs étrangers d’entrer au Canada, en particulier dans des postes qualifiés, Ottawa pourrait faire face à un désenchantement de la part des électeurs. Le précédent gouvernement conservateur avait considérablement élargi le programme des travailleurs étrangers temporaires et a subi de nombreuses attaques suite à la médiatisation de certains cas controversés, dont un en 2013 où la RBC a utilisé le programme pour sous-traiter du travail initialement fait par des Canadiens. D’autres cas impliquaient l’octroi de permis en 2012 à une société minière chinoise évoluant dans le domaine du charbon visant à permettre l’entrée au pays de 200 mineurs chinois pour ses opérations de Colombie-Britannique, ou à permettre l’embauche de personnel d’accueil dans un établissement de restauration rapide situé dans la même province et à un hôtel de la Saskatchewan.
À l’époque, le Globe and Mail rapportait que le nombre de travailleurs étrangers dans le secteur des « services d’hébergement et de nourriture » était passé de 4 360 en 2006 à 44 740 en 2014 – une énorme augmentation de 926 pour cent.
Cette demande pour des travailleurs étrangers temporaires n’était pas uniquement due à des pénuries de main-d’œuvre compétente – elle était également due au fait que ces travailleurs étrangers travaillaient habituellement pour des salaires inférieurs et pour moins d’avantages sociaux que leurs équivalents canadiens. Laissons les chiffres parler : de 2002 à 2012, le nombre de travailleurs étrangers a bondi de 101 078 à 338 221; en 2015, le nombre de postes était tombé à 90 211, desquels 53 000 étaient dans l’agriculture primaire, 22 000 dans le secteur des hauts salaires et 15 000 dans celui des bas salaires.
Sans surprise, les employeurs ont accueilli la nouvelle voulant que le nouveau gouvernement libéral pourrait assouplir les restrictions sur les travailleurs, ou abandonner le programme entièrement. « Cela affecte notre marge de profit », a déclaré Humphrey Banack, vice-président de la Fédération de l’Agriculture de l’Alberta. Mais alors qu’il est vrai qu’il y a beaucoup d’emplois que les Canadiens ne veulent tout simplement pas prendre, en particulier dans le domaine de l’agriculture, il en existe d’autres, comme les emplois à la RBC, qui pourraient entraîner le remplacement d’employés canadiens par des employés étrangers temporaires si les restrictions sont levées.
Les libéraux prétendent être à la recherche d’une position « intermédiaire » sur la question des travailleurs étrangers. Ils devraient faire preuve de prudence. Si les chiffres du chômage continuent de grimper, l’assouplissement des restrictions sera difficile à vendre auprès des Canadiens qui n’ont plus d’emploi – et aux employés de la classe moyenne qui craignent être les prochains sur la liste.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.