Trudeau a un sérieux problème de pipeline

Il a peu d’options qui ne finiront pas par diviser le vote de centre-gauche

Alors que le Parlement reprend ses travaux cette semaine, les libéraux font face à un réveil plutôt brutal sur certains de leurs dossiers les plus importants. Le taux de chômage est de retour à sept pour cent et les exportations ont chuté de sept pour cent au cours de l’année. La question des pipelines a atteint le point d’ébullition au Québec et en Colombie-Britannique.

Et dans le dossier des changements climatiques, le gouvernement n’a pas réussi à déplacer les cibles d’émissions de carbone établies par les conservateurs – en dépit de l’affirmation de la ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, en novembre 2015, selon laquelle ces chiffres « … seraient un bon départ, mais nous voulons certainement essayer de faire mieux ».

Ces dossiers politiques, pris ensembles, sont les trois chevaliers de l’Apocalypse du premier ministre Trudeau – parce qu’ils représentent un problème impossible à résoudre, tout en offrant une ouverture à ses adversaires aux deux extrémités du spectre politique. Ils pourraient s’avérer être ce qui finira par faire couler l’apparente insubmersible popularité de ce gouvernement dans les sondages, présentant un défi trop grand, même pour la plus séduisante des offensives de charme. Ces dossiers sont le produit d’un simple truisme : Vous ne pouvez pas être tout pour tout le monde, même si vous êtes Justin Trudeau.

Le problème de Trudeau est qu’il est arrivé au pouvoir en promettant d’être tout pour tout le monde. Il a promis de créer des emplois et de la prospérité économique. Il a également promis de réduire les émissions de carbone et de mettre un prix sur le carbone. Depuis l’élection, il s’est également dit en faveur de nouveaux pipelines. « Le choix entre les pipelines et l’éolien n’en est pas un », a-t-il déclaré lors d’une conférence sur les technologies propres, en mars à Vancouver. « Nous avons besoin des deux pour atteindre nos objectifs ».

En faisant la promotion des deux, cependant, il sera beaucoup plus difficile de réduire les émissions de carbone – ce qui pourrait expliquer la décision du gouvernement de respecter les objectifs d’émissions établis par les conservateurs, du moins pour l’instant. « La cible de Harper», a déclaré la ministre McKenna, « était une fausse cible parce qu’ils n’ont rien fait. Ce n’est pas une cible réelle ».

Blâmer le gouvernement précédent, lorsque vous avez été au pouvoir pendant un an, est une excuse plutôt mince, et une excuse qui risque de s’amincir encore plus à l’approche des prochaines élections. Et avant ces élections, Trudeau devra prendre des décisions difficiles sur les questions touchant les pipelines, les émissions de carbone et l’économie.

La première à laquelle il fera face arrivera en décembre, lorsque le Cabinet décidera du sort de la proposition de projet d’expansion du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan. Le nouveau pipeline triplerait la capacité de transport du pipeline situé entre l’Alberta et la Colombie-Britannique et créerait des milliers d’emplois dans la construction. Sans surprise, les sondages montrent que la plupart des Albertains sont en faveur de celui-ci. La plupart des Britanno-Colombiens – qui ont aidé les libéraux à atteindre leur majorité en 2015 – sont, eux, opposés.

La demande de Kinder Morgan a été approuvée en mai par le Conseil national de l’énergie, sous réserve de 157 conditions financières, techniques et environnementales. Le Cabinet a trois options : approuver la demande, la rejeter ou la renvoyer à l’ONÉ pour réexamen. Au cours du mois passé, cependant, la crédibilité de l’ONÉ en a pris pour son rhume après que deux des trois commissaires à la tête d’audiences publiques sur le projet d’oléoduc Énergie Est, au Québec, aient dû se récuser sur des accusations de conflit d’intérêts. Des rapports ont révélé que le trio a rencontré l’ancien premier ministre Jean Charest, maintenant consultant pour TransCanada, l’entreprise qui cherche à construire le pipeline. Cloués au pilori par des manifestants et les partis de l’opposition, l’ONÉ a suspendu ses audiences – qui n’ont pas encore repris.

Et ce ne fut pas la première suspension. Avant l’approbation de Trans Mountain, l’ONÉ a suspendu ces audiences pendant quatre mois en raison d’un conflit d’intérêts impliquant le commissaire Steven Kelly, qui avait auparavant témoigné pour Trans Mountain en tant que consultant. En fin de compte, Kelly n’a pas participé au processus de prise de décision, mais l’incident a sérieusement endommagé la crédibilité de l’ONÉ.

S’il le voulait, ces incidents pourraient fournir une valable porte de sortie à Trudeau. Pour attiser l’espoir des électeurs anti- et pro-pipeline, il pourrait tergiverser – comme le président Barack Obama l’a fait avec le projet Keystone XL – et tout simplement retarder le processus. Le Cabinet pourrait renvoyer l’approbation de la demande devant l’ONÉ, accompagnée d’un appel à une refonte complète de l’Office lui-même – pour s’assurer qu’il conserve sa « licence sociale », pour employer une expression que ce gouvernement semble affectionner particulièrement. Ajoutez à cela des audiences pancanadiennes ou des consultations sur la question, et voilà! – vous pourriez compter des années avant que la décision ne revienne sur la table du Cabinet.

Cela donnerait à Trudeau le temps de faire passer ses plans de tarification du carbone, une initiative favorisée par 77 pour cent des libéraux et 79 pour cent des partisans du NPD, selon le dernier sondage Abacus Data. Ce sondage a noté une mise en garde par contre : « Une des principales raisons pour lesquelles l’opposition à une taxe sur le carbone est modeste repose sur le fait que la plupart des gens ne pensent pas que ce sera nuisible à l’économie nationale ou à l’économie de leur province. À l’exception de l’Alberta, où 54 pour cent des répondants croient que la taxe carbone affaiblirait l’économie nationale et 60 pour cent qu’elle affaiblirait l’économie provinciale ».

Ce qui nous ramène au problème de départ de Trudeau : il ne peut pas se permettre de refuser un projet comme Trans Mountain dans les circonstances économiques actuelles. Même lui le sait, et les dernières rumeurs indiquent que le cabinet va donner le feu vert au projet.

Ce qui serait de la musique aux oreilles du NPD et des adeptes du manifeste LEAP, qui utiliseraient ce développement pour soutenir leur appel aux électeurs de centre-gauche se sentant trahi par un premier ministre supposément vert.

Ce fractionnement du vote progressiste, à son tour, pourrait être le seul espoir des conservateurs pour un retour au pouvoir lors de l’élection de 2019, faisant de cet automne, et de ces dossiers – l’économie, l’énergie et le prix carbone –, le test le plus critique que le nouveau gouvernement devra passer… s’il le peut.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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