Trudeau a le vote des milléniaux. Que doivent faire les conservateurs et le NPD?

C’est officiel : Justin Trudeau est le premier ministre de la génération Y. Alors qu’il n’est pas lui-même membre de la génération des milléniaux, il en incarne de nombreuses valeurs : l’inclusivité, l’importance de l’image, le rejet de la hiérarchie et, plus récemment, le respect de la conciliation travail-famille. Et cela a des conséquences graves pour les deux partis d’opposition alors qu’ils sont à choisir leur prochain chef et à se positionner pour la prochaine élection.

Tout d’abord, examinons la journée de congé typique de Justin Trudeau. Célébrer son anniversaire de mariage avec son épouse lors d’un voyage d’affaires peut sembler bien attentionné, mais c’est également calculé. Cela envoie un message comme quoi même le premier ministre a le droit à une vie privée. Alors que de nombreuses générations d’électeurs pourraient partager ce sentiment, cela résonne encore plus auprès de la génération Y. Selon « R U Ready 4 Us? », une étude réalisée par Abacus Research en 2012, la conciliation travail-famille est la principale question pour les milléniaux. Parmi leurs trois principales priorités, 78 pour cent disent : « avoir un mariage réussi », tandis que pour 59 pour cent, c’est d’« avoir une carrière réussie ».

D’autres études révèlent également que les milléniaux sont allergiques à la hiérarchie au travail. Ainsi, alors que la plupart des Canadiens ont levé les yeux vers le ciel la semaine dernière lors de la bousculade au Parlement – ce qu’il est convenu d’appeler le « elbowgate » –, je soupçonne que les membres de la génération Y étaient probablement les moins susceptibles d’être « indignés » par ces infractions au décorum parlementaire. Quand les héros de baseball pètent les plombs pour un rien et que les paroles d’une chanson sur deux sont censurées à la radio parce que jugées trop osées, traverser la Chambre des communes en jurant, c’est de la petite bière. Pour beaucoup, l’incident a démontré que Trudeau est humain et qu’une poussée de stress lui a fait perdre momentanément le contrôle.

Ensuite, il y a l’obsession de l’image. Trudeau est apparue dans les magazines Châtelaine, Vogue et probablement sur des milliers de selfies. Cela aussi résonne avec la génération Y. Selon une étude en ligne de 2 000 femmes âgées de 16 à 25 ans, commandée l’an dernier par le site web de maquillage Feelunique.com, les milléniaux passent cinq heures par semaine à préparer et à prendre des selfies. Pourquoi? À l’ère de Facebook, Snapchat et Instagram, les images ne valent pas mille mots, mais mille « J’aime », ce qui accroît l’estime de soi. Et selon la porte-parole Newby Hands, « Des célébrités comme Kim Kardashian … ont décrit les effets positifs des selfies et nombreux sont les jeunes qui ont emboîté le pas. Pour beaucoup, ils sont considérés comme valorisants, et ceux qui réussissent à les partager dans une ‘niche’ bien spécifique peuvent souvent se retrouver avec d’imposants fan clubs ». Les politiciens inclus.

Enfin, il y a la politique. Lors des dernières élections, plusieurs des promesses de Trudeau visaient carrément les milléniaux. La plus évidente était son engagement à légaliser la marijuana, une position extrêmement populaire auprès des jeunes Canadiens. Il a également promis de laisser entrer 25 000 réfugiés syriens au pays et était en faveur du droit des femmes à porter le niqab lors de cérémonies de citoyenneté. De plus, il n’a pas seulement participé au défilé de la fierté gaie de Vancouver, il a pris quelques photos avec une participante aux seins nus. Ces politiques d’« inclusion » résonnent profondément auprès des milléniaux, non seulement au Canada, mais partout dans le monde. Une étude de 43 pays effectuée par la firme de consultants Universum a révélé que la diversité était le second plus important attribut souhaité chez un futur employeur, et les répondants ont définis la diversité comme culturelle, y compris « la personnalité, les styles de travail, LGBT, les accents, la personnalité et la religion ».

Bien sûr, Justin Trudeau ne parle pas à tous les milléniaux. Comme toutes les générations, ils ne sont pas monolithiques. Mais en tant que groupe, leurs priorités sont différentes – de façon mesurable – de celles des baby-boomers et de la génération X. Ce n’est donc pas un hasard si la participation des jeunes électeurs a fait un bond lors de la dernière élection, et qu’ils ont surtout voté libéral. Selon Statistique Canada, 67 pour cent des électeurs âgés de 18 à 24 ans ont voté en 2015, comparativement à seulement 55 pour cent en 2011, aidant Trudeau remporter la victoire.

En 2020, les milléniaux formeront 40 pour cent de la population en âge de voter; en 2030, ils formeront la majorité. Alors, que cela veut-il dire pour le Nouveau Parti démocratique et le Parti conservateur, présentement à la recherche d’un nouveau chef, mais aussi d’une nouvelle direction?

Il y a deux écoles de pensée : comparer versus contraster. À première vue, les deux autres partis devraient rechercher leur version de Trudeau : jeune, selfie-génique, heureux et inclusif. Ils devraient s’adresser au centre politique. Ils devraient incarner les espoirs et les rêves des jeunes Canadiens, et donner au gouvernement un rôle plus important pour les aider à les atteindre.

Mais cela ne sera sans doute pas le chemin emprunté, soit par principe ou par pragmatisme. D’une part, Trudeau a capturé l’imagination de nombreux électeurs de la génération Y; à moins qu’il ne les déçoive, il sera difficile de les arracher aux libéraux. Deuxièmement, de nombreux électeurs d’autres générations critiquent les milléniaux pour leurs côtés superficiel et égocentrique, et seraient déçus. Et troisièmement, les milléniaux ne seront pas éternellement jeunes. Alors qu’ils vont façonner la vie canadienne, la vie va également les façonner. Est-ce que leurs idéaux vont tenir sous le poids de la responsabilité – les enfants, les prêts hypothécaires, les relations – ou s’étioler, comme pour les autres générations avant eux?

Ce que les partis d’opposition doivent faire, c’est trouver le juste équilibre générationnel. Pour les conservateurs, cela passe par la relance de leur aile jeunesse – qui donne aux milléniaux conservateurs un forum pour la formation et le leadership où ils sont libres de secouer le statu quo. Pour le NPD, cela signifie trouver des façons de rendre le syndicalisme pertinent pour la prochaine génération, et réussir à équilibrer le travail et les préoccupations environnementales. Et pour les deux partis, cela signifie de s’interroger sur la façon dont leurs principes sont applicables dans le monde des milléniaux – et comment ils peuvent rendre la vie meilleure pour tous les Canadiens.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site du National Post.

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