Bonne année? Pas pour Tim Hortons. La chaîne emblématique de café a été dénoncée récemment pour la décision de certains de ses franchisés (dont les enfants de ses fondateurs) d’annuler les pauses café payées de leurs employés et d’obliger ces derniers à financer de 50 à 75% les coûts de leurs avantages.
« Ces changements sont dus à l’augmentation des salaires à 14$/l’heure le 1er janvier 2018, puis à 15$/l’heure le 1er janvier 2019, ainsi qu’au manque d’appui et d’aide financière de notre siège social et du gouvernement », peut-on lire dans une note d’entreprise que les employés ont été invités à signer.
Il n’en fallait pas plus pour déclencher un véritable brouhaha! Clients, travailleurs et, bien sûr, politiciens ont tous jeté leurs Timbits d’opinions dans le mélange. « Si toutes les entreprises qui emploient les clients de Tim Hortons faisaient la même chose que l’entreprise », a déclaré le porte-parole du NPD en matière d’éthique, Nathan Cullen, « Tim Hortons serait probablement en faillite … [cela] semble être une décision des plus cruelles et tout à fait vindicative de leur part. » La compagnie n’a pas mâché ses mots non plus : Tim Hortons a publié une déclaration qualifiant les actions de ses franchisés d‘« imprudentes »et de« complètement inacceptables ».
Ces actions semblent effectivement très mal avisées, à première vue – tout comme celle de l’Agence du revenu du Canada qui a proposé l’année dernière que les employés déclarent leurs rabais à beignets comme des avantages imposables. Les pauses café payées ou les collations exemptes d’impôt ne sont pas un droit de la personne en soi, mais ce sont de petites choses qui aident à humaniser le milieu de travail, surtout dans les emplois peu rémunérés qui ne sont pas particulièrement amusants. Touchez à ces petites choses et vous en ressentirez rapidement les contrecoups – comme Tim et le gouvernement fédéral l’ont appris.
Mais au lieu de sévir contre ses franchisés, Tim Hortons devrait hurler son mécontentement à la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne. Avec une élection dans moins d’un an, Wynne a présenté le projet de loi 148, intitulé « Loi pour l’équité en milieu de travail et de meilleurs emplois » – un ensemble de réformes du travail qui comprend la hausse du salaire minimum de 11,40 $ à 14 $ l’heure le 1er janvier 2018 et à 15 $ le 1er janvier 2019.
Le projet de loi est l’une des nombreuses mesures gouvernementales – y compris le contrôle des loyers et l’assurance-médicaments pour les moins de 25 ans – conçues pour plaire aux électeurs « progressistes » à faible revenu. Et cela semble fonctionner : des sondages font état d’une course serrée entre les libéraux et les progressistes-conservateurs au cours des six derniers mois. Six électeurs sur dix appuient l’augmentation du salaire minimum, particulièrement les jeunes électeurs, les femmes et ceux qui ont voté libéral ou néo-démocrate lors des dernières élections provinciales.
C’est peut-être parce qu’ils ne sont pas conscients des conséquences imprévues d’une telle hausse des salaires : un chômage plus élevé, en particulier chez les travailleurs à très faible revenu visés par la mesure. Les estimations des pertes d’emplois potentielles varient entre 90 000 (TD Bank) et 185 000 (Keep Ontario Working Coalition).
En effet, aucune entreprise ne peut absorber une hausse de salaire de 32% sur une période de 18 mois sans modifier ses façons de fonctionner. Tim Hortons a choisi de réduire les pauses et d’augmenter les cotisations des employés, mais beaucoup d’autres options s’offrent aux autres opérations à forte intensité de main-d’œuvre – et aucunes ne sont de bonne augure pour les travailleurs. Elles comprennent l’embauche de moins de nouveaux employés et l’augmentation de la cadence de travail pour le personnel en poste, le congédiement des employés les moins productifs et l’embauche de remplaçants plus productifs, l’automatisation accrue et l’élimination complète des travailleurs, ou le désinvestissement en Ontario à l’aide de relocalisations des opérations ailleurs.
Certaines entreprises, comme les restaurants et les chaînes d’alimentation, ne peuvent pas s’offrir cette dernière option, mais un secteur, lui, le peut : celui de la fabrication. Ce secteur a déjà été très touché par les politiques énergétiques du gouvernement provincial sous la forme d’une hausse vertigineuse des tarifs d’électricité. Selon une étude publiée l’an dernier par l’Institut Fraser, les coûts d’électricité pour les petits consommateurs industriels ont augmenté, entre 2010 et 2016, de 50% à Ottawa et de 48% à Toronto, comparativement à 15% dans le reste du pays – ce qui a entraîné une perte de 75 000 emplois. Jumelés aux autres éléments du projet de loi 148 – les travailleurs à temps partiel recevant la même rémunération que les travailleurs à temps plein, la possibilité de fixer leurs horaires après trois mois de travail, l’accréditation syndicale fondée sur les cartes –, la hausse du salaire minimum va sans doute encourager certaines entreprises à chercher à faire des économies ou à se retirer du marché complètement.
La décision de Tim Hortons n’est donc que la pointe de l’iceberg. Ces décisions terniront-elles la réputation des entreprises qui les prendront? Ou rebondiront-elles sur les libéraux avant le vote de juin? Wynne est probablement en train de parier que les travailleurs ayant plus d’argent dans leurs poches l’emporteront sur ceux qui se retrouveront au chômage – du moins, assez longtemps pour lui donner un autre mandat. Un double-double avec un extra cynisme, s’il vous plaît!
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.