Recherchée : une approche non-sexy aux infrastructures, qui ne nous ruinera pas

Les détails du budget fédéral 2016 demeurent sous scellés jusqu’à mardi après-midi, mais une chose est claire : le gros gouvernement est de retour. Ottawa se positionne comme le moteur de la croissance économique et son principal outil est les infrastructures, financées par la dette.

Les Canadiens font face à un gouffre déficitaire qui pourrait atteindre les 30 milliards $ cette année – et plusieurs milliards par la suite – conçu pour « stimuler » l’économie par les dépenses publiques. Ces derniers jours, le premier ministre Justin Trudeau a sagement atténué les attentes : dans une entrevue avec Bloomberg News, il a reconnu que les deux premières années de dépenses ne sont pas susceptibles de stimuler la productivité, car elles mettent l’accent sur l’entretien et la réparation, qu’il a qualifiés de « non-sexy ». Mais dans les deux dernières années de son mandat, il prévoit que son gouvernement fera preuve de créativité en dépensant sur de nouveaux projets, telles les « infrastructures sociales », un terme utilisé dans la plate-forme électorale des libéraux qui couvre des secteurs comme les garderies et le logement social.

Trudeau, sur le premier point, a raison: réparer des égouts que personne ne voit, ou des ponts qui s’effondrent tranquillement, repaver des routes défoncées qui ne vont que se défoncer à nouveau, ce sont des tâches ingrates – ce qui explique pourquoi elles sont souvent repoussées dans le temps en faveur de projets plus… sexy. Elles sont nécessaires par contre si nous voulons éviter une facture plus salée en bout de ligne, en plus de risques accrus pour la sécurité publique et des coûts de transport plus élevés. Le CAA estime que la congestion routière à elle seule coûte 3,3 milliards $ par année à l’économie canadienne, ce qui ne comprend pas le coût pour les automobilistes de la réparation des dommages causés par les routes mal entretenues.

Mais c’est aussi pourquoi ce type de dépenses ne devrait pas être appelé « investissement » ou « stimulus » juste pour le rendre plus acceptable aux yeux des électeurs. Il s’agit d’entretien! Cela ne crée pas de nouvelles opportunités pour le commerce ou de nouveaux liens entre les communautés; cela permet aux choses de tourner, comme elles étaient censées tourner en premier lieu. Et tandis qu’il y a des emplois liés à l’entretien et la réparation, ceux-ci sont financés par les contribuables. Ils auraient dû être budgétés dans le coût de la durée de vie des infrastructures lorsqu’elles ont été construites – et pas comme un nouvel élément ajouté dans d’éventuels budgets.

En ce qui concerne les nouvelles infrastructures, toute nouvelle route, pont ou ligne de métro entraîne des coûts pour faire en sorte que tout demeure en bon état de fonctionnement. Dépensez un dollar aujourd’hui pour creuser une nouvelle ligne de train léger, et vous devrez dépenser plus d’argent, chaque année, pour la maintenir en bon état. Seule une petite partie des coûts de transport en commun est défrayée par les usagers, le reste retombe sur les épaules des contribuables. Certains projets de type « utilisateur-payeur » peuvent générer plus de revenus, mais ceux-ci font souvent l’objet d’une farouche opposition, comme dans le cas du nouveau pont Champlain à Montréal. Sans surprise, quelques mois après l’élection, Ottawa a déclaré que le nouveau pont n’aurait pas des péages; le ministre de l’Infrastructure et des Collectivités, Amarjeet Sohi, a déclaré que « le coût de construction, ainsi que les coûts des paiements pour les trente prochaines années, sont inclus dans le cadre financier ». Traduction : Ottawa ne tentera pas de récupérer l’argent dépensé lors de la construction du pont, ce qui signifie que le gouvernement (lire : nous les contribuables) va payer pour cela – dans ce cas-ci, par l’emprunt.

L’entretien devient encore plus dispendieux quand vous construisez des « infrastructures sociales ». Les garderies, par exemple, ne sont pas seulement des briques et du mortier; elles ont des employés qui gagnent des salaires, obtiennent des pensions et, probablement (comme dans l’expérience du Québec avec le réseau de garderies géré par l’État), sont représentés par de puissants syndicats. Le résultat est que leur coût grimpe souvent plus rapidement que prévu dans le temps, ce qui restreint encore plus les budgets.

En fait, la construction de garderies et de logements sociaux ne crée pas d’infrastructures du tout. Elle crée des entreprises, et désigne le gouvernement comme principal bailleur de fonds et chef de la direction. Cet « investissement » crée de la distorsion dans le marché et, ultimement, fini par nuire à ceux-là même qu’il avait été conçu pour venir en aide.

En fournissant des logements à un coût inférieur au marché, par exemple, le gouvernement retirerait des locataires à faible revenu du marché locatif. Les promoteurs immobiliers auraient alors moins d’incitations à construire et à entretenir un parc de logements à faible coût, parce que ce besoin est comblé par le gouvernement. Le parc de logements tombe alors en ruines, ou ne se construit tout simplement pas, parce qu’il fait l’objet d’une moins grande demande. Les défenseurs du logement social font alors pression sur le gouvernement pour qu’il remédie à cette situation en en construisant plus; pour payer pour cela, le gouvernement peut soit emprunter plus d’argent ou augmenter les impôts – qui ont tous deux un effet négatif sur la croissance que le gouvernement cherchait à stimuler au départ par la création de cette « infrastructure ». Et un cercle vicieux est né.

Il n’y a rien de mal à réparer ce qui est brisé. Nous devrions dépenser pour réparer les égouts qui fuient et remplacer les ponts qui se désintègrent. Mais au-delà de ça, il ne faut pas transformer Ottawa en un propriétaire, un exploitant de garderies ou un promoteur d’énergies vertes. Nous avons vu ce que cela donne en Ontario, où le gouvernement a fait tout ce qui précède et est maintenant pris avec la plus grande dette sous-nationale dans le monde. Et une fois que vous empruntez cette piste, il devient diaboliquement difficile d’arrêter : la dernière idée de la première ministre Kathleen Wynne est de construire des « villages de vacances » pour encourager le tourisme (les chutes du Niagara et la Tour du CN ne seraient pas suffisamment attirantes, malgré la faiblesse de notre dollar).

Dans ce budget, comme dans le futur, Trudeau devrait cesser de prendre ses idées à Queen’s Park, et écouter ses propres déclarations. Raisonnable – pas sexy – devrait être la règle.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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