Il s’agit d’un problème de politique gouvernementale. Les taxes ne le règleront pas.
Si vous cherchez à briser la glace, lors de votre prochain cocktail à Toronto, mentionnez simplement le secteur immobilier.
Chaque jour apporte son lot de nouvelles : « Les prix des maisons à Toronto augmentent de 33,2% par rapport à l’année précédente ». Le prix moyen d’une maison à Toronto a bondi durant cette période de 688 000 $ à 917 000 $. C’est 11,7 fois le revenu médian de la ville. Comparez cela avec d’autres marchés, tels que celui de St. John’s, où la résidence moyenne coûte 262 000 $ – soit trois fois le revenu médian de la ville – et vous verrez pourquoi les Torontois s’étouffent en avalant leurs canapés.
Naturellement, cette situation entraîne les habituels appels à « faire quelque chose ». Les groupes qui militent en faveur de l’accessibilité à la résidence, les grandes banques et, naturellement, les politiciens, proposent tous des solutions, la plupart sous forme de taxes, une taxe sur l’achat étranger à Vancouver, une taxe sur les habitations vacantes, une taxe sur la spéculation…
Une addition au contrôle des loyers est proposée pour freiner les augmentations de loyer dans un marché où le taux d’inoccupation est inférieur à 1%. Le ministre des Finances, Bill Morneau, a réclamé une rencontre avec le maire de Toronto, John Tory, et le ministre des Finances, Charles Sousa, avant le dépôt du budget provincial, prévu pour le 27 avril. Le budget contiendra probablement des mesures destinées à répondre à la crise du logement. Pour les libéraux fédéraux, l’incitation est grande à tenter de s’en approprier les crédits dans cette région fertile en votes qu’est le Grand Toronto.
Mais le remède pourrait être pire que la maladie – en partie parce que nous n’avons aucune idée de ce qu’est la maladie ou de la façon dont nous l’avons contractée. Les investisseurs étrangers sont-ils responsables? Les investisseurs nationaux? Les immigrants? La Commission des affaires municipales de l’Ontario? Le mouvement « Pas dans ma cour »? La ceinture verte? Les faibles taux d’intérêt?
La liste des coupables potentiels est plus longue que la guerre d’enchères moyenne sur une maison, ce qui peut comporter des douzaines d’offres et se traduire par des mois de frustration pour les éventuels propriétaires.
Les données disponibles suggèrent que les acheteurs étrangers ne sont pas à blâmer pour le marché immobilier résidentiel chauffé à blanc de Toronto. Un sondage effectué par Ipsos pour le compte du Toronto Real Estate Board a révélé que les acheteurs étrangers représentaient 1061 ventes en 2016, soit seulement 5% de toutes les ventes dans la grande région de Toronto. Parmi ces acheteurs étrangers, 40% achetaient la maison comme résidence principale, 25% dans l’intention de la louer et 10% comme immeuble de placement qu’ils prévoyaient laisser vacants.
Le véritable problème en est un d’offre et de demande, en particulier en ce qui concerne les maisons unifamiliales dans le centre de la ville ou autour. Les offres sont en baisse et les développeurs ne construisent pas ce type de logement; lorsque vous pouvez construire un immeuble de condo de 90 étages, cela n’a tout simplement pas de sens, économiquement parlant. Et il n’y a tout simplement pas de place pour plus de maisons unifamiliales. Mais est-ce vraiment le cas?
En fait, il y a des terres non aménagées près du centre-ville de Toronto. Le Portlands comprend 325 hectares de terres principalement industrielles, qui font maintenant l’objet d’initiatives de protection contre les inondations de la part de la Ville qui tente de revitaliser les zones autour de la rivière Lower Don. Des plans détaillés ont été rédigés pour transformer l’île Villiers de Portlands en une « communauté insulaire » à usage mixte avec des parcs, du logement et un centre communautaire.
Dans sa forme actuelle, le plan verrait la construction d’immeubles à appartements de 16 à 29 étages; les développeurs déposent déjà des demandes pour de plus grands édifices. Pendant ce temps, la Ville demande à la Commission des affaires municipales de l’Ontario (CAMO) de retarder l’approbation jusqu’à ce que la consultation sur ses propres plans soit terminée.
Pourquoi ne pas demander à la CAMO de pousser pour le développement de maisons unifamiliales plutôt que de condos? Les regards se tournent souvent vers l’organisme comme étant la principale cause des problèmes de développement de Toronto. Créé en 1906, il tient lieu de forum indépendant et extrajudiciaire pour régler les contestations aux plans de développement des municipalités. Les critiques affirment qu’il donne trop de pouvoir aux développeurs; d’autres disent qu’il les soumet à de trop nombreux retards. La province procède actuellement à un examen de la CAMO et 15 organisations de citoyens de Toronto se sont mobilisées afin de se débarrasser de l’organisme, et donner plus de pouvoir aux autorités locales pour guider le développement dans leurs quartiers.
Mais comme l’a souligné récemment le Toronto Star, la CAMO n’est pas le véritable coupable : elle existe pour mettre en œuvre les politiques provinciales d’utilisation du territoire, qui sont fixées par les politiciens à Queen’s Park. Ces politiques incluent l’établissement en 2005de la très célèbre « ceinture verte » de la ville. Cette décision a limité le développement dans 800 000 hectares de terres entourant la grande région de Toronto, de l’escarpement de Niagara à l’ouest jusqu’à la moraine d’Oak Ridges à l’est. Certains analystes immobiliers disent que cela a poussé les prix des maisons vers le haut en limitant la quantité de terrains disponibles pour le développement. Mais la première ministre Kathleen Wynne a qualifié la ceinture verte de « poumons de Toronto » et dit que les restrictions ne seront pas revues à la baisse.
À moins que les fonctionnaires ne souhaitent restreindre le développement de condos et ouvrir plus de terrains pour les maisons unifamiliales, le nombre d’entre elles, nécessaires pour faire baisser les prix, ne seront pas construites. Et même si elles étaient construites, ces maisons ne seraient pas construites à temps pour satisfaire à la demande immédiate des acheteurs. Et vous ne pouvez pas obliger les gens à vendre leurs maisons. Et taxer les acheteurs ne fera pas baisser les prix non plus.
En d’autres termes, le gouvernement peut intervenir, mais ses interventions auront peu de tranchant – des taxes qui généreront des revenus sans pour autant résoudre le problème sous-jacent. Face à une offre limitée, les prix demeureront élevés jusqu’à ce que la demande s’affaiblisse – et tant et aussi longtemps que les taux d’intérêt sont bas, les gens pourront les payer.
La Banque du Canada pourrait augmenter son taux, bien sûr – rien d’autre ne pourrait refroidir la demande. Mais les conséquences d’une telle augmentation se ressentiraient loin de Toronto. Et c’est un prix politique que personne – à Ottawa ou à Toronto – ne veut payer.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.