Quelqu’un tient des paris sur les perspectives d’emplois de Sajjan?

Les membres de l’opposition sentent l’odeur du sang. S’ils ont tort, pourquoi Garneau parle-t-il aux médias à la place du ministre?

À quel point le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, est-il sur le point de passer du statut de dur à cuire à celui de député d’arrière-ban?

Le ministre de haut niveau se trouve dans l’eau chaude pour avoir prétendu être l’architecte de l’Opération Méduse, une bataille cruciale dans la guerre d’Afghanistan. « Stolen valour! », a scandé la cheffe conservatrice Rona Ambrose, en référence à la pratique d’appropriation d’honneurs pour un service militaire fictif ou de mérite pour quelque chose qu’ils n’ont pas fait.

C’est un tabou majeur dans la communauté militaire canadienne et un crime aux États-Unis, où le Stolen Valour Act (Loi sur les honneurs volés) impose des amendes et des peines de prison à ceux qui prétendent frauduleusement avoir reçu des honneurs militaires comme la Croix de la Marine ou le Purple Heart. Au Canada, l’article 419 du Code criminel interdit le port d’un uniforme des Forces canadiennes si celui-ci n’a pas servi dans l’armée, ou de porter une médaille, un badge ou toute autre décoration que l’on n’a pas gagnée. Il y a une bonne raison pour cela : l’usurpation d’identité d’un soldat permet de profiter du respect accordé aux vrais hommes et vraies femmes en uniforme – respect gagné par le service au pays et cela, souvent, au risque de leur vie.

Ce type de supercherie est plus fréquent que ce que vous pourriez le penser. Il y a eu le cas de Carl Dale, qui a prétendu être un capitaine dans l’infanterie légère canadienne Princess Patricia. Puis il y e eu David Dodd, un homme de Peterborough qui prétendait sur Facebook être un vétéran de combat, ce qui a provoqué la mise en ligne d’un site internet canadien consacré au dépistage d’imposteurs militaires. Et qui peut oublier Franck Gervais, ce faux soldat qui a réussi à donner une entrevue à des journalistes de Radio-Canada, le Jour du souvenir 2014, et qui a ensuite plaidé coupable d’avoir porté l’uniforme militaire illégalement? (Petit conseil : ne vous faites jamais passer pour un soldat en présence de caméras.)

Bien sûr, Sajjan n’a pas « volé les honneurs » comme l’ont fait ces hommes. Il n’a pas besoin : il est un vétéran décoré qui a servi dans différentes sphères en Afghanistan, y compris celle de l’intelligence. Mais même exagérer ses propres réalisations viole le code d’honneur militaire, car cela diminue implicitement le service des autres.

Le point central dans l’affaire Sajjan est son utilisation du mot « architecte », qu’il a utilisé deux fois plutôt qu’une au cours des dernières années pour décrire son rôle dans l’Opération Méduse. Le terme « architecte » implique qu’il a conçu ou dirigé la mission, ce qui n’était pas le cas selon les soldats qui ont servi à Kandahar en 2006 et qui ont été interviewés par CBC News. Ils ont affirmé que Sajjan avait un rôle-clé, mais qu’« en aucun temps, il n’a été impliqué dans la planification de l’opération ».

« Il n’y a eu aucun héros de l’Opération Méduse, aucun architecte », selon un officier supérieur qui avait une connaissance directe du rôle de Sajjan en Afghanistan.

Cependant, l’ancien agent britannique Chris Vernon, qui était chef d’état-major au quartier général dirigé par le Canada à Kandahar, a dépeint une image quelque peu différente. Dans une entrevue, diffusée sur les ondes du AM 640 de Toronto, il a déclaré que Sajjan était « … un acteur majeur de l’équipe de conception derrière l’Opération Méduse. Ce dernier a été en mesure de peindre un portrait stratégique des talibans et de la dynamique tribale à l’œuvre dans l’ouest de Kandahar, sans lesquels nous n’aurions probablement pas pu monter l’Opération Méduse ».

Lorsqu’on lui a demandé de décrire le niveau d’importance de Sajjan, Vernon a déclaré qu’il était « plus qu’important [pour l’Opération Méduse] … il était un membre essentiel de l’équipe de planification et de conception. Il a travaillé de mèche avec le lieutenant-colonel australien qui était le planificateur principal. Il s’agissait d’un petit groupe très discret … et une partie critique de celui-ci a été jouée par le Major Sajjan. »

Nous n’aurons peut-être jamais l’image complète de l’implication de Sajjan dans l’Opération Méduse puisque, en tant qu’officier du renseignement, beaucoup de ce qu’il aurait accompli serait probablement considéré comme une information classifiée. C’est un problème à la fois pour lui et pour le premier ministre Justin Trudeau, qui a toujours défendu son ministre apologétique et qui refuse toujours de réclamer sa démission – du moins pour l’instant.

Mais même pour un ministre au coeur d’un scandale, Sajjan a gardé un profil curieusement discret. Il s’est retiré d’une collecte de fonds pour les anciens combattants afghans, officiellement en raison d’un « conflit d’horaire». Au cours du week-end, c’est son collègue du cabinet, Marc Garneau, qui a donné des entrevues au sujet des dépenses de défense à sa place, parce que, selon le cabinet du premier ministre, le ministre de la Défense n’« était tout simplement pas disponible ».

Coïncidence? Peut-être pas. Sajjan est une cible de choix et l’opposition, dans son effort pour le discréditer, va maintenant examiner chaque mot qu’il dit. Et ils ne manquent pas d’options : l’exposition d’une culture d’agressions sexuelles qui a entraîné des sanctions pour 77 agents la semaine dernière dans l’Opération Honneur, un trou dans les dépenses militaires, qu’on s’attend à ce que Sajjan comble, et, plus récemment, un comité de défense du Sénat exhortant les libéraux à annuler leur décision d’acheter 18 avions de chasse Super Hornet sans appel d’offres. Et, pour couronner le tout, l’examen général de la politique de défense et de ses dépenses par le gouvernement. Parlez-moi d’un environnement riche en cibles!

Parlant du Sénat : la saga de Sajjan donne aux conservateurs une distraction bienvenue face à un scandale de leur propre cru : l’affaire entourant le sénateur Don Meredith, nommé par le premier ministre Stephen Harper, maintenant confronté à l’expulsion du Sénat en raison d’une relation de nature sexuelle entretenue avec une adolescente. Le jour où la Chambre haute a commencé à débattre d’une motion visant à expulser Meredith, les conservateurs ont présenté une motion de confiance symbolique condamnant Sajjan à la Chambre des communes – ce qui n’a rien accomplis de concret, mais qui a gardé le sujet en vie encore une journée.

Vivre par l’épée, mourir par le stylo? Si la carrière de Sajjan prend fin abruptement, ce ne sera pas à cause d’un simple mot dans un discours. Ce sera parce que l’opposition le tient maintenant dans sa ligne de tir et qu’elle continuera à tirer dessus jusqu’à ce qu’il devienne un boulet politique pour Trudeau.

Si cela se produit, ou si Sajjan perd la confiance du personnel militaire, alors le premier ministre l’expulsera probablement du Cabinet. Pas immédiatement, mais dans le prochain remaniement. Peut-être lorsque la Chambre sera en vacances d’été et que la sphère Twitter sera moins attentive…

Ce serait une fin ignoble d’un bref passage pour Sajjan dans le portefeuille de la Défense, mais Trudeau ne peut se permettre de faire des erreurs avec les membres de cette communauté – comme les conservateurs l’ont fait avec les Anciens Combattants Canada et les questions d’approvisionnement. Finalement, sacrifier Sajjan pourrait s’avérer être une mesure nécessaire.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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