Que se passe-t-il avec Stéphane Dion?

Est-ce qu’il fait de la rhétorique en matière de relations avec la Chine, ou est-ce qu’il contredit Trudeau?

Le premier ministre Justin Trudeau a fait tourner les têtes la semaine dernière à l’Organisation des Nations Unies. Son chef de la diplomatie, Stéphane Dion, lui, n’obtient que des roulements d’yeux ces jours-ci.

La semaine dernière, le ministre des Affaires étrangères semblait contredire directement le premier ministre sur l’état des discussions avec la Chine sur un éventuel traité d’extradition qui verrait les fugitifs chinois retournés vers le continent – et le système de justice hautement politisé de la Chine.

Un jour après que Trudeau s’eut tenu aux côtés du premier ministre chinois, Li Keqiang, en visite au pays, et eut défendu la décision de poursuivre les discussions, Dion a répondu sèchement à un journaliste du Globe and Mail qui avait téléphoné pour commenter l’histoire : « Votre journal devrait vérifier les faits. Il n’y a pas de négociation. D’insinuer qu’il y en a est faux. Arrêtez s’il vous plaît. »

Le diplomate à la retraite Gar Pardy a décrit l’échange à l’aide d’un seul mot : « ahurissant ».

« Je doute que des “négociations”, dans le sens précis du terme, soient en cours », m’a-t-il dit. « Ce serait plus que les deux gouvernements ont convenu de s’asseoir ensemble et de discuter (des paramètres). Mais pourquoi toute cette confusion, ça n’a pas de sens ».

Pardy se demande s’il ne s’agit pas d’un problème de langue – et plus particulièrement du mot « négociations ».

« La langue est un peu un problème pour Dion… Rien ne le force à parler en anglais – il peut très bien dire ce qu’il veut dire en français –, mais j’ai été surpris du degré d’empressement du Globe and Mail. Je n’ai jamais vu rien de tel auparavant.

« Si vous ne pouvez même pas vous entendre sur un point, alors vous êtes en droit de vous demander ce qu’il se passe d’autre. »

D’autres observateurs sont un peu plus… charitables. Le diplomate à la retraite Colin Robertson, maintenant un conseiller stratégique principal pour McKenna, Long et Aldridge LLP, a suggéré que les commentaires de Dion sont peut-être l’« effet secondaire naturel » de l’engagement de Trudeau envers une approche plus axée sur le Cabinet du gouvernement.

« M. Trudeau a cherché à restaurer un gouvernement de Cabinet et cela se traduira par des ministres prenant davantage les devants dans leurs dossiers respectifs. Mais cela est toujours un peu compliqué dans le domaine des affaires étrangères où il y a inévitablement des chevauchements entre les premiers ministres et les ministres des Affaires étrangères. »

Robertson a poursuivi en ajoutant que cet épisode pourrait effectivement avoir un bon côté pour le Canada : « En négociant avec les Chinois, qui sont souvent qualifiés d’opaques, un peu d’ambiguïté de notre part n’est peut-être pas une si mauvaise chose que cela pour faire progresser les intérêts du Canada, en particulier lorsque le jeu s’étire, ce qui est souvent le cas avec les Chinois. »

Mais ce n’est pas la première fois que Dion a miné la ligne officielle du gouvernement en tant que ministre des Affaires étrangères. Lorsque le gouvernement Trudeau a décidé de ne pas remettre en question un accord controversé sur les armes avec l’Arabie Saoudite, négocié par le gouvernement Stephen Harper, autant Dion que le premier ministre ont déclaré que l’accord a été signé et que le Canada n’avait autre choix que de le respecter. « Nous avons dit durant la campagne – le premier ministre a été très clair là-dessus – que nous n’annulerions pas le présent contrat, ou tout autre contrat, signé par le précédent gouvernement », a déclaré Dion en janvier 2016 à l’émission Power and Politics, de la CBC.

En fait, cette affirmation était fausse : l’accord n’a pas été finalisé, car cela exigeait la signature de permis d’exportation – par nul autre que le ministre des Affaires étrangères. Quelques mois plus tard, en avril 2016, Dion a donné son OK, sans faire de bruit – et sans la contribution de Trudeau. Dion ne voyait rien de mal à cela : « Ce n’est pas une décision de Cabinet. C’est une décision de ministre », a-t-il dit lors d’une réunion du comité de rédaction du Globe and Mail.

À la défense de ce choix, Dion a cité l’exemple de la Suède, qui s’était retirée d’un contrat militaire avec le régime saoudien sur des préoccupations de droits humains. « La Suède a fait un peu la même chose au sujet d’un contrat et la réaction a été très dure. L’Arabie saoudite a réagi d’une manière qui a coupé les ponts avec beaucoup de choses … Ils ont annulé un contrat et la réaction a été très dure. »

Cela n’était pas tout à fait exact non plus. Contacté par le Globe, un porte-parole du ministère suédois des Affaires étrangères a insisté pour dire que « nous n’avons subi aucune conséquence économique en raison de la question que vous mentionnez et nos relations bilatérales avec l’Arabie saoudite sont bonnes ». Même s’il est vrai que l’Arabie saoudite a rappelé son ambassadeur et temporairement suspendu les visas d’affaires de Suédois après l’incident, le journal a rapporté que les deux pays ont repris leurs relations à peine quelques semaines plus tard, et qu’il n’y avait pas eu de conséquences durables « autres qu’une baisse dans le commerce militaire ».

Le ministre des Affaires étrangères est le diplomate en chef du Canada. Son travail exige à la fois une utilisation prudente de la langue et le maintien d’un front solide et unifié avec le premier ministre. Projeter une image d’organisation et de force est critique, en particulier sur une question aussi sensible que la négociation d’un traité d’extradition avec la Chine.

« Un traité d’extradition est une affaire assez complexe », a déclaré Pardy. « Tout est basé sur des questions de double incrimination – les Chinois ne peuvent pas demander d’extrader des personnes pour un crime qui n’est pas un crime au Canada, et vice versa. »

En d’autres termes, ceci est une danse diplomatique de premier ordre. La dernière chose dont quelqu’un a besoin, c’est d’un ministre qui ne cesse de marcher sur les pieds de son partenaire. Dion doit freiner son élan pédant d’être uber-correct, et démontrer une meilleure synchronisation avec le Cabinet du premier ministre. Si non, Trudeau serait sage de lui attribuer une différente carte de danse lors du prochain remaniement ministériel.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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