Pourquoi Trudeau a besoin d’un référendum sur la réforme électorale maintenant

Il pourrait gagner. À tout le moins, il pourrait peindre les conservateurs dans un coin.

Les gens se sont exprimés – et ils ont dit qu’ils veulent s’exprimer encore plus. Selon le dernier sondage de Forum Research, 65 pour cent des Canadiens veulent que le gouvernement fédéral tienne un référendum sur tout système de vote préférentiel émergeant des discussions du Comité spécial des Communes sur la réforme électorale.

Le président de la firme, Lorne Bozinoff, a suggéré qu’« étant donné le grand nombre de répondants en faveur d’un référendum, même au sein des libéraux, il sera difficile pour le gouvernement de ne pas avoir un référendum ».

Le sera-t-il vraiment, difficile? Le sondage a été effectué le 5 juillet, alors que le comité commençait à entendre des témoins – le début d’un processus de consultation qui se poursuivra en octobre, avec un rapport qui sera produit pour le 1er décembre. Les députés recevront un « kit de la mairie » pour les aider à tenir des consultations de circonscription, et les Canadiens intéressés peuvent également se prévaloir d’une « boîte à outils » pour les aider à tenir leurs propres consultations. Durant la saison des barbecues, des camps d’été et des Jeux olympiques, les députés et les accrocs de la politique seront ainsi occupés à débattre des mérites des bulletins de vote préférentiels versus la représentation proportionnelle – tout en tentant désespérément de faire en sorte d’éveiller l’intérêt de l’électeur moyen.

En d’autres termes, les Canadiens entendront beaucoup parler de la réforme électorale au cours des prochains mois – dans leurs communautés locales, sur Facebook, Twitter, et partout où le gouvernement pourra occuper l’espace. En saturant la place publique avec cette conversation, les libéraux pourront alors prétendre qu’un référendum est inutile – les Canadiens s’étant déjà exprimé sur la question.

Et à ce point, les Canadiens pourraient être enclins à être d’accord, ne serait-ce que pour cesser de parler d’un sujet qui, tout en étant critique du gouvernement en poste, est à mille lieux des préoccupations de la vie quotidienne de la plupart des gens.

Mais la consultation par comité ne devrait pas empêcher de poser une question directe aux électeurs, car la modification d’un système de vote n’est pas la même chose qu’un vote pour la création d’un nouveau programme social ou d’un nouveau droit. Ce type de réforme est souvent soumis à la consultation publique, mais il peut toujours être annulé ou modifié dans le futur par d’autres parlementaires. La façon dont nous élisons nos députés n’est pas le même genre de chose du tout : une fois la façon dont ils sont sélectionnés changée, ceux qui bénéficient du nouveau système pourraient être réticents à revenir en arrière pour le changer.

Bien sûr, il y a de nombreux précédents pour la tenue d’un référendum sur la réforme électorale. Depuis 2005, l’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard ont tous tenus des consultations et référendums sur l’évolution de leur système électoral. Dans chaque cas, les électeurs ont rejeté la solution de rechange proposée, en dépit du fait qu’ils aient été largement consultés et informés.

Sans surprise, les adversaires des référendums vont soutenir qu’ils sont de bien mauvais véhicules pour débattre de questions complexes – et qu’ils ont tendance à renforcer le statu quo. L’expérience britannique récente, qui a vu les électeurs choisir de quitter l’UE avec 52 pour cent des voix, dément ces deux notions : les ramifications d’un Brexit ont été soigneusement débattues et, tout au long de la campagne, le côté du « Remain » a été prédit comme gagnant. Pourtant, à la fin, une faible majorité des électeurs ont opté pour le changement. Alors qu’une grande partie de l’establishment a voté pour demeurer au sein de l’UE, les gens étaient d’un autre avis (bien que l’avis ait été divisé par juridictions, l’Irlande et l’Ecosse ont voté « Remain », tandis que l’Angleterre et le Pays de Galles ont voté « Leave »).

Cela ne signifie pas que les électeurs ne voulaient pas entendre ce que le gouvernement avait à dire sur la réforme électorale, surtout s’ils s’adonnaient à aimer ce gouvernement – un fait que les conservateurs voudront peut-être garder à l’esprit ici alors qu’ils font pression sur le Comité des Communes pour un référendum. Neuf mois à la tête de son gouvernement, le premier ministre Justin Trudeau obtient une cote d’approbation de 63 pour cent. Donc, il pourrait tirer parti de cette popularité dans une campagne référendaire en plaidant en faveur d’une quelconque réforme recommandée par le Comité – et à moins que ses adversaires soient en mesure de présenter de leur propre chef des champions convaincants, ils risquent d’être dépassés par la situation à la boîte de scrutin.

À l’heure actuelle, les conservateurs risquent d’être considérés comme des obstructionnistes – intéressés seulement à s’opposer, et non pas à proposer. À ce jour, les conservateurs ne se sont pas entendus sur quel système soutenir. N’apporteraient-ils vraiment aucun changement au statu quo? Le système actuel est-il vraiment le meilleur système pour le Canada? Il existe de nombreux arguments convaincants en faveur de celui-ci (la représentation locale, la nature régionale de la politique canadienne), mais jusqu’à ce que la question référendaire soit évacuée de l’actualité, personne ne sera en mesure de forcer les conservateurs à soit défendre le système existant, soit promouvoir l’alternative qu’ils estiment être la meilleure – quelle que soit cette alternative.

Les chances sont que le comité recommandera un remplacement à notre système électoral actuel – ne serait-ce que parce que Trudeau a promis que ce serait la dernière élection des Canadiens dans le système actuel. Les libéraux n’ont peut-être plus une majorité partisane au sein du Comité, mais ils ont la majorité en ce qui concerne le nombre de membres qui veulent du changement. Le NPD et les Verts ont tous deux leurs propres préférences – les néo-démocrates ont plaidé en faveur de la représentation proportionnelle. Si les libéraux sont intelligents, ils vont trouver un moyen d’intégrer des éléments de cette position dans ce que le Comité proposera, afin de s’assurer du soutien de la majorité du comité.

Cela peut se révéler impossible, bien sûr; le comité pourrait finir par se retrouver dans l’impasse. Aux dires du député néo-démocrate David Christopherson, « si tout se retrouve dans le fossé et que cette chose s’avère être un cauchemar, alors un référendum peut être le seul moyen de sauver le Parlement de lui-même. Mais à ce stade-ci, notre espoir est que nous aurons assez de soutien, un large soutien (au Comité), que les gens vont accepter le fait qu’il y a une large adhésion au sein des représentants du peuple qui ont été envoyés ici. »

En d’autres termes – un référendum si nécessaire, mais pas nécessairement un référendum. Il s’agit du pire niveau de jeux politiques : au lieu de tracer une voie claire vers l’avant, le Comité fera de la politique avec le processus de consultation jusqu’à la fin. On est loin de la formule légitime de réforme électorale.

Les Canadiens devraient exiger un référendum, nos députés devraient s’entendre, nous devrions enlever la question du chemin et s’atteler à la tâche de décider de la meilleure façon pour les électeurs de choisir leurs représentants en 2019.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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