Le 9 février, un jury de North Battleford, en Saskatchewan, a acquitté le fermier blanc Gerald Stanley de l’assassinat de Colten Boushie, un Autochtone de 22 ans. Selon des témoins, Boushie et trois de ses amis avaient roulé sur la propriété rurale de Stanley après une journée de beuverie. Leur SUV avait eu une crevaison, ils ont essayé de voler un camion sur une ferme voisine, mais sont ensuite allés à la propriété de Stanley pour obtenir de l’aide. Le fils de Stanley a témoigné que lui et son père avaient entendu un VTT démarrer et qu’ils pensaient qu’il avait été volé; Stanley a également déclaré à la cour qu’il pensait que sa femme avait été renversée par le véhicule dans la confusion. Il est allé dans la maison, a pris une arme à feu, a tiré en l’air en guise d’avertissement, puis a couru vers le SUV et a ensuite prétendu que l’arme s’est déclenchée accidentellement et a tiré Boushie dans le derrière de la tête. Le jury a accepté sa version des faits et a déclaré Stanley non coupable, à l’horreur de la salle d’audience où étaient entassés les parents et amis de Boushie.
Même pas 24 heures après le verdict, les tweets ont commencé. « Je viens de parler avec @Puglaas. Je ne peux pas imaginer le chagrin et la tristesse que ressent la famille Boushie ce soir. Je leur envoie de l’amour des États-Unis », a écrit le premier ministre Justin Trudeau. « Merci PM @JustinTrudeau », a twitté la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould : « Mes pensées vont à la famille de Colton Boushie ce soir. Je ressens vraiment votre douleur et j’entends toutes vos voix. En tant que pays, nous pouvons et devons faire mieux – je m’engage à travailler tous les jours pour assurer une justice pour tous les Canadiens. » Puis, Jane Philpott, ministre des Services autochtones, a déclaré : « Nouvelle dévastatrice pour la famille et les amis de ColtBushie. Mes pensées et mes prières sont avec vous dans cette période de chagrin et de douleur. Nous avons tous plus à faire pour améliorer la justice et l’équité pour les Canadiens autochtones. »
Des mots lancés sur le coup de l’émotion – et malheureusement, inappropriés. Cela contraste avec la déclaration que le président américain Barack Obama a faite après un verdict similaire exonérant un homme de la Floride, George Zimmerman, dans le meurtre de l’adolescent noir non armé Trayvon Martin. « Je sais que cette affaire a soulevé de fortes passions. Et à la suite du verdict, je sais que ces passions peuvent être encore plus élevées. Mais nous sommes une nation de lois, et un jury a parlé … Je demande maintenant à tous les Américains de respecter l’appel à la réflexion de deux parents qui ont perdu leur jeune fils … Et nous devrions en profiter pour nous demander si nous faisons tout ce que nous pouvons pour élargir le cercle de compassion et de compréhension dans nos propres communautés. »
La différence est frappante. Trudeau n’a jamais appelé au calme, malgré les manifestations qui ont éclaté dans tout le pays; il n’a jamais défendu le système qui sous-tend les droits et libertés mêmes que son propre père a consacrés dans la Charte des droits. Au lieu de cela, il s’est plié à l’émotion et a implicitement remis en question le verdict, l’entachant du même coup et ouvrant la porte à un éventuellement appel, ce qui serait la meilleure façon d’obtenir justice pour Boushie s’il croyait que la décision du jury était erronée.
Il est vrai que ce gouvernement veut désespérément corriger les torts causés aux communautés des Premières Nations du Canada, que ce soit par le système des pensionnats, le système de réserves ou le système de justice pénale. Mais dans l’affaire Boushie, et dans une grande partie de l’élaboration de ses politiques, son approche implique beaucoup trop de démagogie, trop peu d’action et un abandon complet de son propre mantra : l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes. Plutôt que de regarder les faits et ce qu’ils nous disent, Trudeau et ses ministres préfèrent échanger sur la base des émotions – les enflammant du même coup avec leurs déclarations. C’est un exercice de relations publiques qui ne sert personne, encore moins les Canadiens autochtones.
La dure réalité est que les Canadiens autochtones sont représentés de façon disproportionnée en tant que victimes et auteurs de crimes au Canada. Mais lorsqu’il s’agit d’homicides, les Canadiens autochtones ne sont pas tués des Canadiens non autochtones. Dans son rapport sur les homicides de 2016, Statistique Canada signale que sur 611 victimes de meurtre, 142, ou 23%, étaient autochtones. Sur 303 personnes accusées d’homicide, 169, ou 56%, étaient autochtones. Si l’on considère que 87% des victimes d’homicides autochtones connaissaient leur assassin (contre 81% des victimes non autochtones), il apparaît clairement que la grande majorité des meurtres d’autochtones sont commis par d’autres autochtones, en particulier dans les réserves.
Ainsi, alors que le meurtre horrible de l’adolescente des Premières Nations Tina Fontaine en 2014 et le meurtre de Boushie en 2016, dans lequels les deux accusés étaient des hommes blancs, ont fait les manchettes, ils ne sont pas typiques des cas d’homicides de victimes autochtones. Lorsque Debbie Baptiste, la mère de Boushie, a raconté lors d’un rassemblement à North Battleford : « Les Blancs – ils dirigent le système judiciaire. C’est assez! Nous allons nous battre. C’est assez de tuer notre peuple », elle a raison à demi – le système judiciaire qui a innocenté Stanley est principalement blanc, mais les tueurs de victimes autochtones ne le sont généralement pas. Selon Statistique Canada, « les auteurs d’actes de violence contre les Autochtones sont le plus souvent d’autres membres de la collectivité autochtone, tels que les conjoints, les parents ou les amis des victimes, ce qui explique pourquoi la victimisation des Autochtones au Canada est souvent considérée comme une réflexion des infractions commises par les Autochtones. »
Il est clair que ce cycle de violence doit être brisé. Mais cela ne se fera pas en changeant le système de jury (comme songe à le faire le gouvernement fédéral). Cela ne se fera pas en twittant une condamnation d’un verdict (comme l’a fait la ministre des Services aux Autochtones) ou en remettant en question l’ensemble du système judiciaire (comme l’a fait la ministre de la Justice). Cela ne se fera même pas en rencontrant les membres de la famille Boushie, comme l’a fait par la suite le premier ministre. Bien que leur souffrance soit inimaginable, il y a beaucoup d’autres victimes de tragédies qui souhaiteraient de telles rencontres – et ils ne les obtiennent pas. (Un garçon yézidie de 13 ans, Emad Mishko Tamo, a posté une vidéo sur YouTube demandant à rencontrer Trudeau au nom des milliers de jeunes yézidis détenus, violés, affamés et torturés dans son pays natal. Tamo n’a jamais reçu de nouvelles du bureau du premier ministre, il s’est donc rendu à une des rencontres publiques du PM pour essayer d’obtenir ses cinq minutes de temps avec lui – ce qu’il a finalement obtenu.)
Des décès comme ceux de Boushie et de centaines d’autres victimes de meurtres autochtones ne pourront être évités qu’en brisant le cycle même de la violence dans les communautés des Premières Nations. L’ancien premier ministre Stephen Harper a eu tort de dire que « ce n’est pas le moment de tomber dans la sociologie » quand vient le temps de parler des femmes autochtones assassinées et disparues : la sociologie est importante, non pas pour résoudre des cas, mais pour les empêcher. La pauvreté, le chômage et la toxicomanie sont autant d’éléments qui contribuent à une augmentation de la criminalité, que ce soit dans les réserves, dans les villes ou dans les régions rurales. Par exemple, 38% des femmes autochtones victimes de meurtres de 1980 à 2015 ont été tuées par un toxicomane, contre 12% des femmes non autochtones assassinées.
Nous connaissons déjà ces chiffres : alors pourquoi le gouvernement ne prend-il pas les mesures qui s’imposent? Les Canadiens autochtones n’ont pas besoin de tweets sympathiques; ils ont besoin de programmes de lutte contre la toxicomanie, d’initiatives de création d’emplois et d’éducation sur le terrain. Ils ont besoin d’une réforme en profondeur de la Loi sur les Indiens qui permettrait la création de droits de propriété et la création d’entreprises dans les réserves. Et tous les Canadiens ont besoin d’un gouvernement qui respecte la primauté du droit.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.