Pour les conservateurs, c’est national ou rien !

Laissez la course au leadership conservateur commencer ! (pas qu’elle n’ait pas déjà commencé…) Depuis que le premier ministre Stephen Harper a perdu l’élection, le 19 octobre 2015, les candidats potentiels ont commencé à s’organiser et à tendre des perches pour voir s’il y avait suffisamment d’appui pour une éventuelle candidature. La récente conférence de networking du Centre Manning comportait deux sessions sur le thème « Si je devais courir… », permettant aux futurs espoirs de se pavaner devant les troupes conservatrices. Les dirigeants potentiels signent des textes d’opinion et donnent des entrevues à propos de l’avenir du parti, même s’ils ne sont pas officiellement dans la course. Et la liste des prétendants potentiels, en provenance de l’intérieur comme de l’extérieur du caucus du parti, ne cesse de s’allonger (Peter MacKay? Kevin O’Leary? Brad Wall?).

Mais maintenant, avec le dévoilement des règles de la course par les responsables du parti, le signal de départ a été donné, et la course peut commencer. Et ça ne sera pas donné ! Les candidats devront débourser 100 000 $ juste pour apposer leur nom sur le bulletin de vote: des frais d’inscription de 50 000 $ et un autre « dépôt de conformité » de 50 000 $ qu’ils pourront récupérer si tous leurs documents sont en ordre et qu’ils répondent aux autres règles de la course. Les dépenses totales sont plafonnées à 5 millions $, soit deux fois le montant de la course conservatrice précédente en 2005, quatre fois celui de la course à la direction libérale de 2013, et 10 fois celui de la course du NPD en 2012. Les candidats doivent s’inscrire avant le 24 février 2017 et le nouveau chef sera choisi le 27 mai, ce qui rend cette course non seulement coûteuse, mais plus de deux fois plus longue que celles organisées par les deux autres partis.

Plus tôt cette année, le parti a également modifié ses règles afin de hausser de 15 $ à 25 $ les frais d’adhésion pour un abonnement d’une année, et d’éliminer les paiements en espèces pour ces adhésions. L’objectif était de limiter la pratique consistant à signer des « membres instantanés », notamment issus de groupes d’intérêt spéciaux ou de communautés particulières, afin d’empêcher le détournement de la course par les partisans d’une seule et même cause.

Une telle prise de contrôle est déjà rendue plus difficile, cependant, par le système de vote du parti. Comme en 2004, le chef sera choisi par un système de vote préférentiel qui alloue 100 points à chaque circonscription électorale, quelle que soit sa taille ou le nombre de ses membres. Les candidats gagnent des points en fonction de leur pourcentage de votes dans chaque district; si aucun candidat n’émerge avec une majorité nationale au premier tour, le candidat ayant le moins de points est abandonné et les seconds choix de ses partisans sont réaffectés, jusqu’à ce qu’un candidat obtienne plus de 50 pour cent du vote.

Il s’agit du même système utilisé par les libéraux dans leur course à la direction, et cela fait en sorte que le candidat gagnant recueille un soutien national. Le maintien de la nature « nationale » de la course au leadership est particulièrement important pour les conservateurs, qui ont besoin de retrouver des sièges en Ontario et dans les provinces de l’Atlantique. Les conservateurs ne peuvent pas se permettre d’être vus comme un parti basé uniquement dans l’Ouest du pays, pas seulement pour rompre avec leur passé immédiat, mais aussi parce que l’Ouest a perdu du poids économique relatif en raison du faible prix du pétrole, d’une diminution de l’investissement et d’une augmentation du chômage.

Mais le nouveau chef n’aura pas seulement à sortir le parti de l’ombre de Stephen Harper: il ou elle aura également besoin de secouer les fondations de ce qu’a accompli Justin Trudeau. Qu’on soit d’accord avec ses politiques ou non, Trudeau a effectué un changement de ton positif à Ottawa. Le nouveau gouvernement est plus ouvert et plus consultatif, à l’écoute des groupes depuis longtemps ignorés, comme les Premières Nations et les premiers ministres provinciaux. Et Trudeau est personnellement populaire, ici comme à l’étranger: ce n’est pas pour rien si le président Barack Obama est l’hôte d’un dîner d’État en son honneur, le premier pour un premier ministre canadien en 19 ans.

De plus, au moment des prochaines élections fédérales, les libéraux vont détenir un avantage certain. Déjà, ils font tous les efforts pour effacer les traces de l’administration précédente, sur différentes questions comme la fiscalité, l’immigration, les affaires étrangères et la politique culturelle. Ils auront refait le gouvernement à leur image, tout comme les conservateurs l’ont fait durant leur règne. Si les Canadiens aiment le résultat, et s’ils aiment encore Trudeau, il sera difficile de les amener à abandonner les libéraux, à moins que l’économie ne tombe en lambeaux et que des scandales engloutissent le cabinet.

À moins que ces éventualités ne se produisent, un retour au pouvoir des conservateurs pourrait être un processus étalé sur deux élections. Leur succès dépendra aussi des changements que les libéraux apporteront au système de vote. Si le présent système est remplacé par la représentation proportionnelle ou le scrutin préférentiel, les conservateurs seront désavantagés. Les futurs gouvernements pourraient devoir faire des coalitions avec d’autres partis – et il n’y a pas beaucoup d’adversaires sur lesquels les conservateurs pourraient compter.

Les conservateurs – et leurs candidats – ont besoin de garder ces facteurs à l’esprit alors que la course débute. Quiconque remportera devra idéalement être un bâtisseur de consensus, en poste pour le long terme, et être en mesure de reconstruire le parti dans les secteurs où il est plus faible. Il ou elle devra posséder du charisme, un bilinguisme de base, et une vision politique. Et idéalement, le nouveau leader devra être à la fois fiable et ambitieux. Il s’agit de l’ingrédient magique que Trudeau apporte: il est à la fois quelqu’un avec qui les électeurs se sentent suffisamment à l’aise pour partager un dîner en famille, mais qui en même temps provoque chez eux de l’admiration. Pas une liste de souhaits facile à remplir, mais les conservateurs ont plus d’un an pour faire leur choix. Cela reste à voir s’ils en feront un sage.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site du National Post.

Leave a Reply