Pas de crise de colère. Aucune menace sur Twitter. Jusqu’ici, tout va bien.

La rencontre entre Trudeau et Trump s’est déroulée aussi bien que tout le monde l’espérait.

Si une image vaut mille mots, le langage corporel doit en valoir au moins un million.

D’un côté, il y avait l’invité : le premier ministre Justin Trudeau, assis raide, les jambes croisées, perché sur le côté gauche de sa chaise, regardant droit devant et affichant ce qui ne pouvait être décrit que comme un sourire « figé ».

De l’autre, il y avait l’hôte : le président Donald Trump, occupant tout son siège, les jambes écartées, penché vers l’avant, les mains jointes devant lui, son regard balayant la pièce. Il y a eu une poignée de main – six secondes seulement, comparée au marathon de 19 secondes infligé au président japonais Shinzo Abe –, mais qui a été précédée d’une fraction de seconde d’un Trudeau considérant la paume tendue de Trump, telle une gazelle regardant la patte d’un lion…

(Ou, pour reprendre les mots de son père, une souris jaugeant un éléphant. Ironiquement, le choix de cadeau officiel de Trudeau reposait soigneusement sur la réputation de son père: une photographie encadrée d’un jeune Trump donnant un discours à l’honneur de Trudeau père, jouant habilement à la fois sur le vaste ego du président et son amour de la dynastie.)

Le tableau général a mis en évidence le déséquilibre des pouvoirs entre non seulement les deux hommes, mais leurs pays respectifs. Quelle que soit la façon dont nous aimons rappeler aux Américains que leur économie dépend de la nôtre – et Trudeau l’a fait en français et en anglais lors de la conférence de presse d’aujourd’hui –, les États-Unis sont le partenaire principal de cette relation, et non pas seulement en dollars et en cents.

Le Canada dépend des États-Unis pour sa sécurité : le parapluie militaire américain – le NORAD en particulier – joue un rôle important dans la défense de notre pays. Mais nous dépendons aussi des bonnes grâces de notre voisin pour notre existence en tant que nation indépendante; outre la guerre de 1812, nous n’avons jamais combattu contre les États-Unis. Compte tenu de la disparité dans la taille de nos forces militaires respectives, c’est une bonne chose.

En effet, pendant la majeure partie de leur histoire, le Canada et les États-Unis ont perfectionné l’art de la coopération, ponctué par quelques désaccords polis. Les deux pays ont divergé sur un certain nombre de politiques – l’engagement avec Cuba, le commerce du bois d’œuvre, la guerre contre l’Irak –, mais sont demeurés les meilleurs des voisins et des alliés. Et bien que toutes les relations entre le président et le premier ministre ne se soient pas déroulées de façon satisfaisante (pas d’amour particulier entre JFK et John Diefenbaker ou Richard Nixon et Pierre Trudeau), certaines ont été remarquablement proches (Brian Mulroney et Ronald Reagan, Justin Trudeau et Barack Obama).

Alors, comment décrire la relation entre Trudeau et Trump après leur première rencontre? La réunion s’est déroulée mieux que prévue. Il n’y a pas eu de frictions, pas en public, du moins. Les deux dirigeants se sont mis d’accord sur l’importance du commerce, Trump distinguant nettement les relations de son pays avec le Canada et celles avec le Mexique. « Les États-Unis sont profondément chanceux d’avoir un voisin comme le Canada », a déclaré M. Trump. « Nous partageons les mêmes valeurs, nous partageons l’amour – un amour vraiment grand – de la liberté … Les troupes américaines et canadiennes se sont battues ensemble, ont combattu ensemble et forgé des liens spéciaux qui viennent seulement lorsque deux nations ont versé leur sang ensemble ».

Les deux hommes ont même trouvé un terrain d’entente dans un dossier improbable : faire progresser les femmes sur le marché du travail. Trump et Trudeau ont rencontré une foule de PDG et de femmes d’affaires des deux côtés de la frontière, dont Ivanka, la fille de Trump, pour discuter des moyens à prendre pour rendre les lieux de travail plus favorables aux femmes et encourager l’entrepreneuriat féminin. Ils ont annoncé la création d’un Conseil conjoint Canada-États-Unis pour l’avancement des femmes entrepreneurs et des chefs d’entreprise – ce dont on pourrait s’attendre d’un Trudeau ouvertement féministe, mais pas nécessairement d’un Trump moins… éclairé.

Et tandis que les deux dirigeants diffèrent sur leur approche en matière d’immigration et de multiculturalisme, Trudeau a tenu à souligner le fait que « la dernière chose à laquelle les Canadiens s’attendent, c’est que je vienne faire la morale à un autre pays sur la façon qu’il a choisie de se gouverner ».

Cela était clairement dirigé vers l’auditoire canadien de Trudeau, où amis et ennemis ont pressé Trudeau de « se lever » contre les États-Unis et de dénoncer l’interdiction de voyage sur les musulmans de Trump.

Mais il s’agissait de diplomatie, et Trudeau a été diplomate. « Comme nous le savons, les relations entre voisins sont assez complexes et nous ne pouvons pas toujours être d’accord sur tout. »

Quant à Trump, il a résumé sa journée dans un tweet : « Merveilleuse rencontre avec le PM canadien Justin Trudeau et un groupe de chefs de file et de femmes d’affaires du Canada et des États-Unis ». Nous sommes à mille lieux de ses commentaires caustiques après avoir bavardé avec d’autres dirigeants mondiaux, comme le premier ministre de l’Australie.

Dans l’ensemble, la visite – la plus difficile de sa carrière politique à ce jour – s’est avérée être du travail bien fait de la part de Trudeau. Elle pourrait ne pas mener à une belle amitié, mais ce n’est pas de l’amour que Trudeau recherche : c’est du respect. Et sur ce point, ça semble être bien partie.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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