Note aux conservateurs : le dénigrement syndical peut être amusant, mais il entraîne des risques

Qui a peur du vote au scrutin secret? Les syndicats, il semble. Pendant des décennies, la plupart des certifications syndicales au Canada ont été réalisées grâce à un système d’accréditation par carte, qui exige que 50 pour cent ou plus des employés d’une entreprise signent des cartes stipulant qu’ils réclament un syndicat. La pratique est souvent critiquée parce qu’elle prive les travailleurs de leur droit démocratique de choisir – ou de refuser – un syndicat sans avoir à déclarer ouvertement leur préférence. Elle est appuyée, cependant, par ceux qui prétendent que le vote – même secret – donne aux employeurs la possibilité d’exercer de la pression sur les travailleurs pour qu’ils rejettent l’éventualité d’une représentation syndicale.

Les conservateurs fédéraux ont mis fin au système d’accréditation par carte pour les employés fédéraux en juin 2015, avec le projet de loi C-525. La loi a mandaté le vote au scrutin secret pour les employés fédéraux qui réclament la certification d’un syndicat, et a fait l’objet d’une amère opposition de la part du mouvement ouvrier, qui l’a vue comme une attaque contre les syndicats. En janvier 2016, le nouveau gouvernement a déposé le projet de loi C-4, qui abrogerait le projet de loi C-525, ainsi que le projet de loi C-377, une loi qui exigeait la divulgation financière par les syndicats de leurs revenus et dépenses.

L’Alliance de la fonction publique du Canada, qui représente la majorité des travailleurs du secteur public fédéral, et Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, ont applaudi les changements. La présidente de l’AFPC, Robyn Benson, a qualifié les projets de loi C-525 et C-377 « de graves lacunes, introduites sans consultation auprès des syndicats ou des employeurs, et préjudiciables aux droits des travailleurs ». Le président d’Unifor, Jerry Dias, a rajouté : « Ceci est une importante étape pour l’annulation des dommages qui ont été faits … Cependant, il est important de noter que nous avons tout simplement récupéré les droits qui nous avaient été enlevés par le gouvernement Harper ».

Mais la lutte contre l’accréditation par carte pour les employés fédéraux n’est pas terminée. Un nouveau projet de loi, le projet de loi C-7, étendrait le droit à la syndicalisation aux membres de la GRC. Le projet de loi mettrait en œuvre une décision de la Cour suprême rendue en 2015, qui a statué que les membres de la GRC avaient le droit de se syndiquer. Les conservateurs ont appuyé le projet de loi en deuxième lecture, en espérant qu’il inclurait une disposition pour la certification au scrutin secret. Au lieu de cela, il a été modifié afin de supprimer certaines dispositions touchant les prestations de soins de santé des employés, et les membres du comité ont voté contre une modification proposée par les conservateurs qui aurait exigé le vote au scrutin secret.

En réponse, le porte-parole conservateur en matière de Sécurité publique, Erin O’Toole, qui avait proposé l’amendement, a accusé les libéraux de « ne pas soutenir les braves hommes et braves femmes de la GRC en les forçant à adopter cette pratique antidémocratique. Les conservateurs se tiendront toujours debout aux côtés de la GRC et nous n’appuierons pas une loi qui constitue une violation flagrante des souhaits de ses membres. »

« Au lieu de forcer les membres de la GRC à divulguer leur vote publiquement », le porte-parole conservateur pour le Conseil du Trésor, Pierre Poilievre, a ajouté : « les libéraux devraient écouter les membres de la GRC qui craignent que leur vote n’ait un impact sur leurs conditions de travail ».

Donc, les conservateurs refusent maintenant d’appuyer le projet de loi C-7. Grâce à la majorité libérale, le projet de loi est encore susceptible de passer en troisième lecture. Le point d’achoppement est le Sénat, où 42 sièges sont occupés par des conservateurs, 23 par des « libéraux indépendants », et 22 par des indépendants. Dix-huit sièges restent vacants et doivent être comblés d’ici la fin de l’année. Mais selon le délai imposé par la Cour suprême, le projet de loi C-7 doit devenir loi avant le 16 mai, ce qui signifie qu’il doit recevoir l’approbation des deux chambres du Parlement. À moins que les « libéraux indépendants » ne se serrent les coudes et qu’ils réussissent à convaincre au moins 20 indépendants d’appuyer le projet de loi, ce dernier pourrait être défait par les sénateurs conservateurs.

Est-ce que la question du vote syndical au scrutin secret va devenir une question de vie ou de mort pour les conservateurs? Le devrait-elle? Lors de la tenue de leur congrès annuel à Vancouver, à la fin du mois de mai, la question pourrait très bien se retrouver en bonne place dans les discussions entre membres – comme ça a été le cas lors du dernier congrès annuel du parti, à Calgary en 2013. À cette occasion, les membres ont voté plusieurs motions visant à renforcer les droits des travailleurs individuels, tout en limitant les droits collectifs des syndicats. Bon nombre des mesures sont éventuellement devenues des lois, notamment les projets de loi C-525 et C-377.

La question du vote secret pourrait également devenir un incontournable pour les candidats à la direction du parti. Le député québécois Maxime Bernier est reconnu pour avoir une faible estime du travail organisé. Dans une entrevue accordée en octobre dernier à Radio X, une station de radio de Québec, Bernier a traité le NPD et les syndicats opposés au Partenariat transpacifique d’« illettrés économiques ». L’autre candidate au leadership du Parti conservateur, Kellie Leitch, alors qu’elle était ministre du Travail, en 2014, a menacé de déposer une loi de retour au travail à peine quelques jours dans un conflit entre le gouvernement et le syndicat représentant les travailleurs en grève du CN. Et Erin O’Toole, qui a proposé l’amendement infructueux pour le projet de loi C-7, a récemment déclaré à Tom Clark de Global News que même si cela prenait beaucoup de tordage de bras pour qu’il se joigne à la course à la direction du parti, « je ne dirais pas non, si je pensais que cela pourrait aider la cause ».

Combien de millage les conservateurs peuvent obtenir de cette question demeure incertain. Lors de la dernière élection fédérale, les syndicats ont travaillé activement pour déloger les conservateurs. De leur côté, les conservateurs les ont empêchés de dépenser beaucoup d’argent sur de la publicité – ce que les syndicats avaient fait lors de l’élection provinciale d’Ontario – en déclenchant une élection anticipée, ce qui a sévèrement limité la publicité de tiers une fois que le signal de départ eut été donné. La plupart des observateurs s’entendent pour dire que cette décision s’est finalement retournée contre le gouvernement Harper, alors qu’elle a permis aux libéraux, et leur chef, Justin Trudeau, de disposer de plus de temps pour prouver qu’ils étaient en fait « prêts » à gouverner – et ils ont obtenu beaucoup de soutien des grandes centrales syndicales, au détriment du NPD.

Aujourd’hui, avec le NPD en pleine crise existentielle (est-ce le parti du manifeste LEAP ou le parti des ouvriers – ou est-ce les deux à la fois?), on ne sait pas à qui les syndicats vont donner leur appuie la prochaine fois. À moins que le NPD ne choisisse un leader possédant de grands liens avec le mouvement ouvrier, les syndicats pourraient être plus à l’aise avec les libéraux, surtout si le gouvernement tient sa promesse d’abroger les lois antisyndicales des conservateurs.

Mais avec une adhésion syndicale à la baisse, les conservateurs pourraient se retrouver en terrain sûr lorsqu’ils feront appel aux masses de Canadiens qui ne sont pas syndiqués, ou qui ne veulent pas l’être – ou qui n’apprécient pas ceux qui le sont. Quant au principe du vote à bulletin secret, il serait difficile pour les conservateurs de soutenir que l’ancienne méthode d’accréditation syndicale est anti-démocratique tout en utilisant le Sénat – un organisme non élu – pour empêcher que C-7 ne devienne loi.

Alors que les questions de travail ne sont peut-être pas des questions de vie ou de mort, elles pourraient encore faire beaucoup de victimes si les conservateurs ne parviennent pas à trouver le bon équilibre.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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