Mesure de temporarisation : quand faut-il arrêter de travailler?

Les carrières modernes sont illimitées. Il est temps qu’Ottawa prenne acte de la réalité du monde d’aujourd’hui.

« Liberté 55 » était un slogan accrocheur – mais a-t-il déjà reflété la réalité? La réponse de Statistique Canada semble être un retentissant « non ».

En 2011, 35 pour cent des Canadiens âgés de 55 ans ou plus travaillaient, contre 33 pour cent en 2006. L’âge moyen de la retraite, quant à lui, a légèrement augmenté au cours de la même période, de 62 à 63 ans.

Ces tendances ne représentent rien de nouveau : entre 2003 et 2013, le nombre de personnes âgées de 65 à 69 ans qui travaillaient encore ont triplé, tandis que le nombre de personnes âgées de 70 et plus faisant encore partie de la population active a doublé. Dans l’ensemble, chez les Canadiens âgés de 65 ans ou plus, 7,5 pour cent des Canadiens travaillaient encore en 2001, comparativement à 12,5 pour cent en 2015.

Mais, alors que le ministre des Finances Bill Morneau et ses homologues provinciaux se sont réunis à Vancouver pour discuter d’une bonification du Régime de pensions du Canada, personne ne parlait de relever le seuil de l’âge officiel de la retraite. Le précédent gouvernement conservateur l’a fait, en quelque sorte : il a voté en faveur d’une augmentation de l’âge d’admissibilité à la pension de la Sécurité de vieillesse de 65 à 67, sur six ans, à partir de 2023. Durant la dernière campagne électorale, les libéraux ont promis de revenir sur cette décision s’ils formaient le gouvernement – ce qu’ils ont fait rapidement dans leur premier budget, sous les applaudissements de groupes d’aînés tels que CARP et au grand dam de groupes de contribuables comme la Fédération canadienne des contribuables.

Comme le nombre d’électeurs âgés a augmenté, leur influence politique a suivi la tendance : l’âge de la retraite est devenu le nouveau « troisième rail » en matière de politique fédérale. Mais nous sommes plus que mûrs pour une sérieuse conversation sur l’augmentation du seuil de l’âge de la retraite. Les Canadiens vivent plus longtemps. L’espérance de vie à la naissance est passée de 67 en 1951 – lorsque la pension de la Sécurité de vieillesse a été introduite – à 82 en 2011. Il fut un temps où un nombre important de Canadiens mouraient avant de collecter d’importants avantages; l’inverse est vrai aujourd’hui.

Le Canada est l’un des nombreux pays aux prises avec ce changement démographique. Contrairement à notre situation, d’autres pays font face au problème en augmentant leur âge de la retraite. L’Australie va passer de 65 à 67 en 2023, et à 70 en 2035. Le Royaume-Uni va passer de 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes à 66 pour tout le monde en 2020, et à 67 en 2028. L’âge de la retraite de l’Allemagne passera de 65 à 67 d’ici 2029. En Irlande, il passera de 66 à 68 d’ici 2028. Même la Grèce a relevé le seuil de son âge de la retraite à 67, en 2015.

La nature du travail est également en train de changer – d’employeur unique, à multi-employeur, à travailleur autonome. Fini le temps de l’homme – ou de la femme – d’entreprise. Oubliez la montre en or, même la version Apple. Avec l’explosion de « l’économie de partage », les Canadiens milléniaux et les membres de la génération Y ont des conceptions très différentes du travail et des loisirs, et du bon équilibre entre les deux.

L’intégration du « travail » et de la « vie » est devenue plus facile grâce aux technologies qui nous permettent de travailler à notre rythme, à la maison ou sur la route. La nature moins physique des nouvelles formes d’emplois augmente également la durée de vie d’une carrière : travailler pendant 50 ans dans un travail de bureau n’est pas aussi exigeant physiquement que travailler dans la construction, conduire un camion ou effectuer un travail à la chaîne

Bien sûr, tous les Canadiens n’ont pas des emplois qui peuvent être effectués à un âge avancé – ou qu’ils veulent effectuer sur de longues périodes. Ils sont peut-être prêts à quitter leur emploi actuel, mais pas à arrêter complètement de travailler. Et la sécurité financière est encore le principal moteur pour les travailleurs âgés : dans un sondage réalisé par Sun Life en 2015, 41 pour cent des travailleurs ont dit qu’ils seront encore actifs à 66 ans parce qu’ils le veulent – tandis que 59 pour cent le feront parce qu’ils n’ont pas le choix.

Et c’est pourquoi le gouvernement fédéral fait fausse route lorsqu’il traite tous les retraités de la même façon en bonifiant simplement le Régime de pensions du Canada. Même de cibler un groupe particulier, comme le « sous-épargnants » – ces Canadiens à revenu moyen, sans plans de retraite d’entreprise qui ne mettent pas d’argent de côté pour compléter le RPC –, est une mauvaise approche.

Au lieu de cela, Ottawa devrait examiner des moyens de faire en sorte qu’il soit plus facile pour les Canadiens de continuer à faire partie de la population active aussi longtemps qu’ils le souhaitent ou qu’ils en ont la capacité. Aider les sous-épargnants à occuper un poste à temps partiel, ou les former dans un nouveau champ de compétence qui leur permettrait de continuer à travailler après 65 ans, serait une meilleure solution que de leur verser des prestations plus élevées tout en exigeant des primes plus élevées au cours de leur vie professionnelle – alors qu’ils peuvent difficilement se les permettre. Encourager les employeurs à considérer davantage les travailleurs âgés (et lutter contre les préjugés liés à l’âge dans les lieux de travail) augmenterait les chances des travailleurs âgés de demeurer dans la population active, ou de la regagner.

Le concept de Liberté 55 était un mirage pour la plupart – et il n’y a pas de preuve qu’il aurait rendu plus heureux la plupart des Canadiens. La dignité du travail ne s’arrête pas à 65 ans.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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