Cette élection a entaché tout ce qu’elle a touché – le Parti républicain en particulier
Enfin, la ligne d’arrivée est en vue. Le dénigrement, le mensonge, la vénalité vont cesser d’encombrer les flux Twitter de la nation. D’ici demain soir, cette élection présidentielle des États-Unis sera terminée.
En quelque sorte. Les répercussions de cette ignoble course, bien sûr, ne font que débuter. Peu importe qui gagne, l’héritage de cette campagne va se faire sentir longtemps après que le décompte des bulletins de vote. Les partis, le public, la politique des États-Unis elle-même : tout dans la vie publique américaine a été entaché par cette course controversée, parfois dégoûtante.
Une victoire d’Hillary Clinton – le scénario le plus probable, selon la plupart des sondages – aurait un impact positif : elle accomplirait un précédent historique en élisant la première femme présidente des États-Unis. Cela laisserait une grande fissure dans le plafond de verre à un moment où les femmes se sentent assiégées sur les campus universitaires, dans les lieux de travail et dans de nombreux pays à travers le monde. Ce serait un événement symbolique, mais tout de même très important – même s’il ne se traduit pas par des changements concrets pour le bien-être des femmes (ce qu’il est peu probable qu’il fasse).
Comme Barack Obama avant elle, Clinton entrerait en poste portant un lourd fardeau d’attentes : dans le cas du premier, la promesse d’une Amérique post-raciale, dans celui de la seconde, la promesse d’un agenda plus féminin. Mais comme dans le cas d’Obama, les attentes suscitées par une présidence de Clinton pourraient rapidement être détournées par des obstacles partisans – surtout si le Congrès bloque ses propositions pour un congé de maternité de 12 semaines et des programmes d’aide aux frais de garde d’enfants. Et il n’y a pas beaucoup de promesses visant à améliorer le sort des femmes américaines dans la plate-forme économique de Clinton, entre ses politiques commerciales protectionnistes et ses hausses d’impôts; la stagnation économique blesserait tous les Américains, hommes et femmes.
Mais alors qu’une victoire de Clinton n’entraînerait pas nécessairement l’avènement d’un monde meilleur pour les femmes, une victoire de Trump, elle, pourrait en inaugurer un bien pire. Si les Américains élisent un président qui se vante d’être capable d’attraper les femmes par leurs parties intimes avec l’impunité véhiculée par la célébrité – qui qualifie les femmes de « truies » et de « chiennes », et rejette les autres comme étant trop moches pour se donner la peine de les harceler –, ils vont envoyer un message clair au monde entier : aux États-Unis, la misogynie n’est pas seulement OK, elle rapporte.
Comment Trump représenterait-il l’Amérique sur la scène mondiale? Sa participation à une éventuelle réunion du G7, aux côtés de fortes femmes chefs d’État comme la chancelière allemande Angela Merkel et la première ministre britannique Theresa May, serait risible, voire même triste.
Une autre victime d’une victoire de Trump serait le Parti républicain lui-même. Bien qu’il y ait largement à critiquer dans l’establishment républicain (arriéré en matière d’environnement, trop redevable à la droite religieuse), le fait demeure que le GOP a une riche tradition historique centrée sur un idéal américain central : la liberté. Du conservatisme « vert » de Roosevelt à l’individualisme gouvernemental réduit de Goldwater, en passant par la « brillante ville sur la colline » de Reagan, le Parti républicain a mené les Américains à la grandeur en traitant le désir de liberté comme fondement principal de son approche du gouvernement.
Trump ne défend pas la liberté. Le mot « liberté » ne figure pas en évidence dans son discours. Il parle le langage des dictateurs. « Enfermez-la! », dit-il de son adversaire. Quand il n’aime pas ce que les médias rapportent à son sujet, il menace de changer les lois sur la diffamation ou de briser les diffuseurs. Il s’engage à rassembler les immigrants clandestins pour les expulser massivement, évoquant du même coup le spectre du transport de masse des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Les accords commerciaux comme l’ALENA seraient déchirés; la libre circulation des marchandises et des personnes n’a aucun intérêt pour Trump. La seule liberté que Trump défend est celle consacrée dans le deuxième amendement de la Constitution – le droit de porter des armes, ce qui contribue à la mort de dizaines de milliers d’Américains chaque année.
Les républicains perdent aussi, bien sûr, si Clinton gagne – en particulier si elle arrive au pouvoir avec l’appui massif du vote des minorités. Alors que les démocrates ont réussi à obtenir un soutien majoritaire auprès des électeurs afro-américains dans le passé, remporter l’électorat hispanique, en forte croissance, donne au parti un énorme avantage pour les prochaines élections. Le rejet républicain des électeurs afro- et latino-américains, grâce à la dure rhétorique anti-mexicaine et anti-immigrante de Trump, représente un énorme pas en arrière pour le parti alors qu’il cherche à se redéfinir pour le 21ème siècle.
À moins qu’il ne puisse se connecter avec les électeurs des minorités ethniques, le GOP risque d’être réduit à une horde mécontente d’électeurs blancs à faible revenu, en colère, de la Rust Belt – ceux-là même que Trump trouve « déplorables » pour leur prise de vues racistes et répréhensibles.
Les électeurs de Trump ne sont pas déplorables. Ils sont désespérés. L’humeur anti-establishment dans ce pays est réelle et justifiée – elle est l’héritage de décennies de politiciens républicains et démocrates corrompus et intéressés d’abord à eux-mêmes. Les électeurs qui ont vu leur emploi se déplacer vers le Mexique et la Chine, qui ont vu l’usage des drogues ravager leurs petites villes – alors que des politiciens élitistes ont ignoré leurs préoccupations, ou les ont carrément dénoncé pour leurs croyances politiquement incorrectes – en ont eu assez. Ils veulent des leaders qui reconnaîtront leurs préoccupations, et pas seulement celles des grands donateurs ou des groupes d’intérêt.
La tragédie de cette élection n’est pas que ces électeurs peu « éduqués » et « déplorables » existent. C’est qu’ils ont trouvé leur champion en la personne de Trump, qui représente sur le plan personnel et politique, la perversion du rêve américain à des fins hideuses et haineuses. Il est également tragique que la candidature de Trump aidera à élire Clinton, qui perpétuera l’élitisme qu’ils méprisent, mais qui représente le moindre de deux maux dans cette terrible élection.
En fin de compte, un seul résultat est certain : peu importe qui gagne, l’Amérique perd.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.