L’heure des milléniaux a sonné lors de l’élection de 2015

Selon une étude réalisée par Abacus Data, les jeunes Canadiens – longtemps perçus comme étant apathiques et non impliqués – sont responsables du dramatique changement de gouvernement au pays en 2015.

Par rapport à l’élection de 2011, la participation des jeunes électeurs a augmenté plus que tout autre groupe d’âge lors des dernières élections : 67 pour cent des électeurs de 18-25 ans se sont présentés aux urnes, une hausse de 55 pour cent par rapport à quatre ans plus tôt. Si on regarde les chiffres de plus près, on se rend compte que 58 pour cent des 18-20 ans ont voté, comme l’ont fait 71 pour cent des 21-23 ans et 72 pour cent des 24-25 ans. Et les préférences des jeunes électeurs ont changé radicalement d’une élection à l’autre. En 2011, 36 pour cent ont voté pour le NPD, 24 pour cent pour les conservateurs et 17 pour cent pour les libéraux. Mais en 2015, ces totaux ont complètement changé : 45 pour cent des jeunes électeurs ont choisi les libéraux, 25 pour cent, le NPD, et 20 pour cent, les conservateurs.

Alors, qu’est-ce qui a motivé les jeunes électeurs à aller voter – et à voter comme ils l’ont fait? Des pistes de réponses se trouvent probablement dans les différences entre les climats électoraux de 2011 et de 2015. Alors que les conservateurs sont entrés dans les deux campagnes comme le parti au pouvoir, en 2011, ils avaient gouverné pendant six ans avec deux gouvernements minoritaires, tandis qu’en 2015, ils avaient été majoritaires depuis quatre ans. Cette majorité a amené les conservateurs à gouverner différemment : on a souvent eu l’impression qu’ils passaient toutes les lois qu’ils avaient été incapables de passer lors des deux mandats minoritaires précédents.

Les conservateurs ont mis de l’avant un programme agressif de répression de la criminalité, ils y sont allés un peu fort sur les questions de sécurité nationale et ont été critiqués à plusieurs reprises comme étant « anti-démocratiques » pour leur élaboration de gros projets de loi omnibus. Pour un électorat qui n’avait pas vu un gouvernement majoritaire depuis 2003, la façon de gouverner des conservateurs semblait plutôt musclée. Pour les jeunes qui sont plus disposés que leurs aînés à défier l’autorité, cela devait sembler carrément orwellien – un message également martelé par les enseignants du secteur public, les médias et les partis d’opposition.

Cela n’a pas aidé que les conservateurs aient été entachés par l’affaire Mike Duffy et d’autres scandales, ce qui a terni la crédibilité du premier ministre Stephen Harper. Ajoutez à cela le fait que les conservateurs avaient été au pouvoir durant neuf ans – dans le cas des électeurs qui votaient pour la première fois, il s’agit de la moitié de leur vie – et il n’était pas étonnant que les jeunes électeurs étaient prêts pour un changement.

Et en 2015, par rapport à 2011, le changement était évident. En 2011, l’ancien chef du NPD, Jack Layton, était beaucoup plus populaire auprès des jeunes que l’ancien chef libéral Michael Ignatieff et Harper ne l’étaient. Mais en 2015, le chef libéral Justin Trudeau a offert un contraste encore plus marqué face à Harper et Thomas Mulcair, le chef du NPD. Trudeau était dix ans plus jeune et le champion des questions qui rejoignent les jeunes électeurs, leurs expériences et leurs valeurs : les droits à l’avortement, l’assouplissement des lois sur la marijuana, la force de la diversité, et la façon de « faire de la politique différemment », notamment.

Pendant un certain temps, les autres partis ont tenté de jouer cette carte à leur avantage, en supposant qu’à côté de leurs chevronnés dirigeants, Trudeau ressemblerait davantage à un jeune écolier mal préparé pour le poste de premier ministre. Les conservateurs ont produit des campagnes à cet effet, dépeignant Trudeau comme « n’étant pas prêt ». Avec les employeurs en disant que « le poste de premier ministre n’était pas pour débutant ». Alors que les publicités ont été perçues comme réussies dans la première moitié de la campagne, la rhétorique « pas prêt » peut avoir eu l’effet inverse auprès des jeunes électeurs le jour du scrutin. Lors d’un séminaire sur le marketing politique que j’ai donné l’an dernier à l’Université Concordia, l’une des étudiantes a fait remarquer qu’elle n’a pas aimé les publicités télévisées parce que les offreurs d’emploi sont toujours en train de dire aux jeunes qu’ils ne sont pas prêts pour les postes et les responsabilités qu’ils recherchent – un fait qui la rendait plus susceptible de voter pour Trudeau.

Et après six mois d’un gouvernement majoritaire Trudeau, les jeunes voteraient encore pour lui. Selon Abacus, 57 pour cent approuvent la performance du gouvernement, 25 pour cent ne l’approuvent ni ne la désapprouvent, et seulement 18 pour cent la désapprouvent.

Alors qu’est-ce que cela signifie pour les partis d’opposition? Lors de sa récente convention, le NPD a misé ses espoirs sur le manifeste Leap, une réécriture de Das Kapital, plus « environnementale », adaptée à une clientèle plus jeune et plus verte. Le parti a également rejeté Mulcair, ouvrant la voie à un leader qui serait non seulement moins centriste, mais d’une autre génération.

Quant aux conservateurs, ils ont aussi des candidats à la direction plus jeunes à offrir – tous les aspirants actuels sont dans le milieu ou à la fin de la quarantaine –, mais aussi la possibilité de faire un changement à long terme lors de leur congrès à venir avec la création d’une aile jeunesse nationale. En 2003, des éléments réformistes avaient purgé le parti des « intérêts spéciaux » qui existaient dans l’ancien Parti progressiste-conservateur, y compris l’aile jeunesse. Malheureusement, cela a aussi éliminé l’« espace sécurisant » pour les idéalistes perturbateurs dont un parti a besoin pour se régénérer, aux profits des politiciens de carrière et membres de personnel qui voient un avantage à suivre la ligne de parti pour faire avancer leur carrière.

À moins qu’ils ne rejoignent les plus jeunes, la route sera difficile pour les partis d’opposition. À l’heure actuelle, plus de jeunes sont prêts à voter libéral que NPD ou conservateur. Les autres partis doivent leur donner une raison de changer leur allégeance – non pas en les soudoyant avec leur propre argent, mais en les inspirant et en puisant dans leurs valeurs. Pour la gauche et la droite, cela ne signifie pas d’abandonner leurs principes, mais de trouver où ils se rencontrent dans le futur.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site du National Post.

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