Vous en avez assez des confinements? Vous voulez retrouver un semblant de vie normale? Faites-vous vacciner! Si le vaccin est disponible, bien entendu. Vendredi dernier, Pfizer a annoncé qu’il expédierait au Canada seulement la moitié du nombre de vaccins initialement prévu pour le mois prochain, alors qu’il rééquipera son usine de production en Belgique. Mardi, le major-général Dany Fortin, qui supervise le déploiement du vaccin au niveau fédéral, a déclaré que Pfizer avait maintenant reporté toutes les expéditions au Canada pour la semaine prochaine.
Le Canada était censé recevoir 735 150 doses entre le 18 janvier et le 14 février, suite aux 600 000 doses livrées à ce jour. Plus maintenant. Les gouvernements provinciaux s’efforcent maintenant de retravailler leurs plans de vaccination – à un moment où la pandémie fait rage et une souche plus contagieuse du virus se propage.
Mais tous les clients de Pfizer n’ont pas à attendre aussi longtemps. Lorsque le retard a été annoncé en Europe, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, «a immédiatement appelé le PDG de Pfizer». Le résultat? Les Européens n’attendront qu’une semaine pour que leurs expéditions reviennent à des niveaux normaux, tandis que le Canada attendra quatre semaines.
Pourquoi le Canada se retrouve-t-il ainsi en queue de peloton? La critique conservatrice en matière de santé, Michelle Rempel Garner, rejette carrément le fardeau de la preuve sur les genoux du premier ministre Justin Trudeau. «C’est au premier ministre d’expliquer aux Canadiens pourquoi ils ne pourront pas se faire vacciner pendant des mois, alors que les pays européens font face à de minimes retards dans la réception des vaccins… pourquoi nous pourrions envisager encore plusieurs mois de confinement – avec ce que cela implique d’emplois perdus, de temps passé avec les familles et les problèmes de santé mentale qui les accompagnent.»
Pourquoi en effet? L’économie pourrait bien être un facteur. Dès cette semaine, l’Europe achète 600 millions de doses du vaccin Pfizer, soit le double de sa commande initiale; le Canada en achète seulement quatre millions. Puis, il y a la politique. L’Europe est une puissance pharmaceutique, qui abrite les sièges sociaux et les installations de production d’entreprises telles que Pfizer, Sanofi, Roche et Novartis. Et bien que les gouvernements européens aient eu leurs divergences en matière de prix avec ces entreprises au cours des dernières années, celles-ci ne sont rien face à ce qui se passe au Canada.
En 2017, la ministre de la Santé de l’époque, Jane Philpott, a annoncé l’intention d’Ottawa de ramener les prix des médicaments canadiens «à la baisse comme ceux que l’on trouve dans des pays comme la Nouvelle-Zélande». Le résultat a été une série de changements réglementaires proposés par le Conseil canadien d’examen du prix des médicaments brevetés en 2019, qui sont entrés en vigueur le 1er janvier 2021. Pour réduire les prix, le CEPMB modifierait son mécanisme de fixation des prix en se basant sur les pays ayant les prix les plus bas plutôt que ceux ayant les prix les plus élevés, il introduirait des «tests économiques» et obligerait les fabricants à déclarer les rabais confidentiels obtenus lors de négociations avec les assureurs.
Les changements ont suscité une vive opposition de la part de groupes de patients, dont la Société de la fibrose kystique et RAREi, défenseurs des victimes de maladies rares. En octobre 2020, ce groupe a déclaré que «l’élaboration de traitements pour les maladies rares est déjà une entreprise extrêmement risquée et coûteuse et (que) ces contrôles des prix créent une barrière massive à l’entrée au Canada.»
En effet, des pays comme la Nouvelle-Zélande – citée comme le modèle de la nouvelle politique canadienne – ont vu l’innovation et l’accès aux nouveaux médicaments stoppés en raison de sa réglementation des prix. Un rapport de 2019 commandé par l’organisme Medicines New Zealand a classé le pays au dernier rang en ce qui a trait à l’accès au financement et aux investissements pharmaceutiques au sein des 20 pays de l’OCDE. Sur 304 médicaments innovants financés au niveau international entre 2011 et 2017, la Nouvelle-Zélande n’en a financé que 17. Des traitements et des médicaments anticancéreux vitaux ne sont toujours pas disponibles, les prix plafonds fixés par les régulateurs du pays décourageant leur introduction sur le marché.
Pourquoi le gouvernement libéral était-il si déterminé à copier ce modèle? Quatre mots: régime national d’assurance-médicaments. Sans des prix plus bas, la promesse des libéraux d’introduire un régime national d’assurance-médicaments coûterait beaucoup plus cher qu’Ottawa ne peut se permettre. Et sans une promesse d’assurance-médicaments dans leur programme, les libéraux n’auraient peut-être pas réussi à siphonner suffisamment de votes chez les néo-démocrates pour éliminer le spectre d’un gouvernement minoritaire en 2019 – ou pour rester au pouvoir depuis.
Personne ne peut dire si l’hostilité d’Ottawa à l’égard de l’industrie pharmaceutique a eu un effet sur l’accès du Canada aux vaccins. Mais une chose est sûre: en vertu du nouveau règlement, le Canada ne deviendra qu’une moindre priorité pour les firmes pharmaceutiques et passera en queue de peloton pour tous les médicaments innovants. Alors que les Canadiens attendent de recevoir leurs vaccins pour pouvoir enfin sortir de confinement, c’est quelque chose qu’ils ne devraient pas oublier lors de la prochaine période électorale.
La version originale anglaise de ce texte se trouve sur le site du National Post