De nombreux facteurs ont changé la donne depuis 2015; Trump n’étant qu’un d’entre eux.
Le gouvernement libéral est-il en train de reculer face à son engagement envers les réfugiés? Après avoir fait campagne sur le dos de la compassion, Ottawa est maintenant confronté à une tempête parfaite de nouvelles demandes d’asile, à un système surchargé et à une pression politique grandissante.
Ces trois facteurs, selon les défenseurs des réfugiés, ont amené le gouvernement à revoir à la baisse sa promesse de réviser la façon dont les demandes d’asile sont traitées (selon La Presse canadienne) et à cesser de risquer des fonds publics et du capital politique sur un problème qui pourrait lui coûter en soutien ici et à l’étranger.
La principale raison du changement d’attitude – sur ce point et tant d’autres – semble être le changement de garde à Washington. Ottawa fait maintenant face à une administration qui, pour le dire avec tact, ne voit pas d’un bon œil la question des réfugiés.
Elle ne voit pas non plus d’un bon œil l’ALENA, le bois d’œuvre, ou – comme l’a démontré le renvoi du directeur du FBI, James Comey – l’état de droit. En bref, contrarier le président Donald Trump en accueillant plus de réfugiés n’est pas dans l’intérêt de Trudeau, surtout lorsqu’il envisage des négociations commerciales avec une administration instable et imprévisible.
Le point de vue de Trump sur l’immigration s’est aussi répandu au Canada. Comme l’a déclaré à La Presse canadienne l’avocat spécialisé en immigration, Lorne Waldman, « le souci du centre est que le soutien s’est dissipé de manière significative en raison d’une série de facteurs, le plus important étant l’émergence de Donald Trump … Et je crois que ce souci est amplifié par la course au leadership des conservateurs dans laquelle vous avez plusieurs candidats qui adoptent une attitude très anti-immigration dans leur campagne ».
Il reste à voir à quel point l’aspirante à la direction Kellie Leitch va marquer des points auprès des partisans conservateurs, mais sa proposition à la Trump visant à filtrer les immigrants pour les « valeurs canadiennes » a l’appui d’une majorité de Canadiens interrogés sur la question; et près de la moitié d’entre eux appuient son engagement à expulser vers les États-Unis ceux qui traversent illégalement la frontière.
Et l’impact de ces personnes qui traversent illégalement la frontière est surtout ressentie dans deux provinces, le Manitoba et le Québec – cette dernière, étant une province où les libéraux détiennent 40 des 78 sièges. Jusqu’à ce que les inondations attirent, depuis deux semaines, toute l’attention des journaux, les médias francophones couvraient largement la question des réfugiés qui traversent illégalement la frontière près de Lacolle, une ville proche de la frontière américaine.
« Les services frontaliers canadiens sont furieux », a déclaré Jean-Pierre Fortin, président national du Syndicat des Douanes et de l’Immigration. « Ils sont convaincus que les Américains se débarrassent du problème en amenant les migrants à Roxham Road plutôt que de les conduire au passage frontalier de Lacolle ».
Et le « problème » continue de prendre de l’ampleur. Le nombre de migrants qui revendiquent le statut de réfugié aux points d’entrée terrestres québécois est passé de 985 en 2015, à 2500 en 2016, à 1855 au cours des trois premiers mois de 2017. Dans l’ensemble, le nombre de demandes d’asile dans tout le Canada est passé de 16 115 en 2015 à 23 895 en 2016. Au cours des trois premiers mois de 2017, 5520 personnes ont demandé l’asile.
Cette croissance du nombre de demandes exerce une pression sur la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), entraînant d’importants retards dans le nombre d’audiences. Selon Jean-Sébastien Boudreault, président de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI), la moitié de tous les cas sont maintenant reportés indéfiniment. « À l’heure actuelle, j’ai des collègues qui déposent des demandes de statut de réfugié et, dans un cas sur deux, l’audience est reportée parce qu’il n’y a pas de membre du conseil disponible, car il y a un manque de ressources pour analyser ces cas ».
Le même jour où cette histoire est parue en avril, des rapports ont également émergé d’une étude montrant qu’une poignée de réfugiés syriens avaient payé leurs parrains pour les soutenir au Canada, certains ayant apparemment demandé l’argent. Les deux pratiques sont illégales et, même si le nombre de réfugiés est faible – 23 sur 581 qui ont fait l’objet de l’étude –, il a soulevé des questions sur l’abus du programme.
Cette même étude a également révélé que, par rapport aux réfugiés d’autres pays, les réfugiés syriens étaient moins instruits, avaient une compréhension plus faible du français et de l’anglais, avaient des familles plus importantes et moins de connaissances sur les droits et les libertés en vigueur au Canada – et qu’un an après leur arrivée, seulement 10% des réfugiés adultes parrainés par le gouvernement avaient trouvé un emploi.
Tous ces facteurs ont probablement – et devraient avoir – eu l’effet d’une douche froide pour le gouvernement en matière de réforme du système des réfugiés, en particulier le système de pays d’origine qui permet un suivi rapide des demandes de statut de réfugié en provenance de pays ayant des taux d’acceptation traditionnellement élevés.
Sur le plan politique cependant, cette décision ouvre pour les libéraux la voie aux attaques sur les deux fronts : du NPD, dénonçant les libéraux pour avoir renié leur promesse de rendre le Canada plus accueillant aux réfugiés, et des conservateurs, soulignant l’incapacité de la CISR de traiter les cas en temps opportun, ainsi que la menace potentielle pour la sécurité nationale posée par les migrants sans papiers.
Ajoutez à cela l’importance des ressources dont nous aurions besoin pour accélérer le processus, à un moment où les budgets sont sollicités à la limite, et il est peu probable que nous verrons de sitôt des égoportraits de Trudeau en compagnie de réfugiés nouvellement arrivés dans les aéroports du pays. Pour les libéraux, le dossier des réfugiés est officiellement passé d’un atout de campagne à un handicap de gouvernement.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.