Les libéraux espèrent que le budget de mardi fera dévier l’attention du scandale de SNC-Lavalin

Le Parlement est de retour après le congé du mois de mars, mais cela ressemble plus au Jour de la marmotte.

Lundi matin, le premier ministre Justin Trudeau a remanié son cabinet pour la troisième fois en autant de mois, en remplaçant Jane Philpott, au Conseil du Trésor, après que celle-ci eut démissionné en solidarité avec sa collègue Jody Wilson-Raybould, l’ancienne procureure générale. Le même jour, le Hill Times annonçait que Trudeau allait consulter des députés, d’anciens parlementaires et des universitaires au sujet d’éventuels changements apportés à son caucus et au style de gestion de son cabinet.

Et les conservateurs ont hurlé au sujet de l’annulation par le gouvernement de leur motion du jour qui demandait à Trudeau de renoncer à tous les privilèges et aux secrets du Cabinet et de laisser Wilson-Raybould dire toute sa vérité.

Autrement dit, le scandale SNC-Lavalin bat toujours son plein. Et on ne sait pas très bien ce qui le fera éventuellement disparaître.

Ou peut-être qu’il y a quelque chose : le budget fédéral. Le ministre des Finances, Bill Morneau, le présentera mardi après-midi, et les libéraux espèrent que ça aura l’effet d’un changement de canal. C’est le dernier budget avant les élections d’octobre et la dernière chance pour le gouvernement d’acheter les votes des électeurs avec leur propre argent.

Et on parle de beaucoup d’argent. Le gouvernement a fait allusion à des aides pour chaque groupe démographique : mesures d’accessibilité au logement pour la génération du millénaire, formation professionnelle des travailleurs âgés, soutien financier aux personnes âgées et assurance-médicaments pour tous. Il y a même une rumeur d’investissement dans l’internet haute vitesse pour connecter les électeurs vivant en milieu rural – traditionnellement le public cible des conservateurs. Il ne manque plus que des mesures pour les soins canins – si seulement Fido pouvait voter. (Mais attendez, le maître de Fido vote! Mais cela pourrait mettre dos-à-dos les propriétaires de chiens et les amoureux des chats, une éventualité qu’aucun gouvernement ne voudrait voir se matérialiser…)

Naturellement, l’opposition accuse le gouvernement d’utiliser le budget comme une arme de distraction massive, le jour même où les membres du Comité de la justice se réunissent à huis clos pour débattre de la question à savoir si Wilson-Raybould serait de retour ou non pour une seconde comparution. Selon Pierre Polièvre, membre du comité conservateur : « Nous craignons, parce que (Trudeau) tente de dissiper le scandale de SNC-Lavalin, qu’il lance de l’argent dans toutes les directions, dans l’espoir que les Canadiens se laisseront distraire par l’attrait de leur propre argent leur étant retourné de diverses façons. »

Une autre vague de dépenses détournera-t-elle le regard des Canadiens de l’affaire de SNC-Lavalin? Et cette situation durera-t-elle jusqu’en octobre? Peut-être, mais probablement pas. Les libéraux ont si souvent ouvert les vannes du Trésor public que les électeurs s’attendent déjà à un torrent d’argent. Le déficit de l’année dernière était de 18 milliards de dollars; entre 2016 et 2023, le gouvernement prévoit un déficit accumulé de 133 milliards de dollars. Cela comparé au « modeste » montant de 25 milliards de dollars avancé par Trudeau lors des dernières élections. Paradoxalement, toutes ces dépenses ont entraîné un ralentissement de l’économie – une raison pour laquelle les libéraux disent maintenant qu’ils ont besoin de dépenser plus d’argent dans des mesures de relance.

Mais les électeurs ont déjà vu ce film. Dans la période qui a précédé les élections ontariennes de l’année dernière, les libéraux provinciaux ont adopté la même tactique consistant à dépenser de l’argent pour tout, des étudiants aux personnes âgées. Mais quand les électeurs ont mis cela en perspective, avec des factures élevées d’électricité et des odeurs nauséabondes de scandale, ils ont mis le gouvernement dehors.

À la différence des libéraux de l’Ontario, qui avaient 15 ans de gouvernement à leur actif, les libéraux de Trudeau ne sont au pouvoir que depuis quatre ans. Ce n’est généralement pas assez de temps pour que le mécontentement des électeurs se soit installé. Ça en a été assez cependant pour que les électeurs rétrogradent Pierre, le défunt père de Justin, en 1972 au statut de gouvernement minoritaire, à la suite d’une élection largement perçue comme une réaction à la fois contre l’état de l’économie et le style de leadership de Trudeau Sr. Sa réponse jugée trop sévère à la Crise d’octobre, sa lutte contre le mouvement syndical à propos de l’inflation et une perception d’arrogance de sa part ont désillusionné de nombreux électeurs qui s’attendaient à quelque chose de différent de leur premier ministre.

De même, les grandes attentes que Trudeau Jr. a générées en 2015 en disant vouloir « faire de la politique différemment » pourraient se révéler inefficaces en 2019, si les électeurs concluent que « les même vieilles façons de faire » règnent à Ottawa. Le scandale de SNC-Lavalin est donc le test le plus difficile de la popularité de Trudeau. Les sondages montrent d’ailleurs une diminution de l’appui au premier ministre, principalement au Canada anglais. Au début du mois de mars, plusieurs sondages ont révélé une baisse moyenne de six points du statut de Trudeau comme premier ministre préféré, alors que les chiffres des libéraux ont globalement diminué de deux points.

Même au Québec, où se trouve le siège social de SNC-Lavalin, le soutien au premier ministre s’est atténué. Dans un récent sondage Léger, 68% des répondants ont désapprouvé le style de gestion de Trudeau dans cette affaire.

Est-ce qu’une pluie d’argent suffira à dissiper la crise? Nous n’aurons pas la réponse mardi, mais dans les jours et les semaines qui suivront, alors que le budget et le scandale SNC-Lavalin se disputeront pour faire la une des journaux. Cela dépendra beaucoup des acteurs en place : Wilson-Raybould parlera-t-elle davantage? Le premier ministre aura-t-il plus de choses à dire? Qu’en est-il du commissaire à l’éthique ou de la GRC? Le budget est peut-être une grosse nouvelle, mais quand il s’agit de changer de chaîne, l’argent ne règne pas toujours en roi.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de Global…

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