«Oh merde, avez-vous envoyé ça à Sajjan?
C’était le leader du gouvernement à la Chambre des communes, Pablo Rodriguez, pris à son insu par un micro durant une période de questions Zoom lundi après-midi. Rodriguez réagissait à la décision de demander au ministre de la Défense, Harjit Sajjan, de répondre à une question sur l’annulation subite d’une réunion du Comité de la défense plus tôt dans la journée – plutôt qu’à la présidente du Comité, la députée libérale Karen McCrimmon, qui était apparemment responsable de l’annulation de ladite réunion.
Rodriguez a présenté ses excuses pour son utilisation d’un langage non parlementaire, mais son explosion a révélé la frustration croissante des libéraux face à un scandale qui menace d’abimer leur image soigneusement cultivée de parti féministe – et le soutien progressiste des électeurs qui l’accompagne.
Lors de cette réunion, le Comité était censé débattre de la question à savoir si la cheffe de cabinet du premier ministre Justin Trudeau, Katie Telford, devrait être appelée à témoigner sur ce que le cabinet du premier ministre savait en 2018 concernant les allégations d’inconduite sexuelle contre l’ancien chef d’état-major de la Défense, Jonathan Vance. Sajjan est accusé d’avoir refusé d’enquêter sur les allégations lorsqu’elles ont initialement été soulevées, avant que Vance ne prenne sa retraite en janvier. Dans une entrevue la semaine dernière, Sajjan a hésité cinq fois lorsqu’on lui a demandé s’il savait à l’époque que les plaintes contre Vance étaient de nature sexuelle.
Mais le mois dernier, Elder Marques, l’un des anciens conseillers de Trudeau, a laissé entendre au Comité que Telford était au courant des allégations contre Vance. Flairant une tentative de dissimulation, les conservateurs et le NPD ont demandé à entendre Telford. Puis, vendredi dernier, les libéraux ont fait obstruction à l’appel pour le témoignage de Telford, ce qui a incité le chef conservateur, Erin O’Toole, à réclamer lundi son licenciement.
Peu de temps après, le site Web du Comité a annoncé – surprise, surprise! – que la réunion du Comité appelant Telford comme témoin avait été annulée. Le bureau de McCrimmon n’a fourni aucune explication. Les partis d’opposition ont ensuite cherché à avoir des réponses durant la période des questions, ce qui a provoqué le commentaire salé de Rodriguez.
De toutes les auditions parlementaires en cours, celles qui se déroulent au Comité de la défense pourraient bien s’avérer être le talon d’Achille du gouvernement. La semaine dernière, la majore Kellie Brennan a laissé tomber une véritable bombe : Vance avait non seulement entretenu une relation avec elle pendant des années alors qu’il était en position de pouvoir, mais il était le père de deux de ses enfants. Auparavant, Gary Walbourne, qui était ombudsman militaire en 2018, a déclaré que Sajjan était au courant de la nature sexuelle des plaintes contre Vance, mais a refusé d’examiner les preuves lorsqu’il les lui a présentées. (Une autre femme s’est également manifestée pour présenter une allégation d’inconduite contre Vance.)
À ce jour, Trudeau a défendu Katie Telford tout en insistant sur le fait qu’il n’était pas «personnellement au courant» des allégations. S’il l’était, bien sûr, il aurait du mal à expliquer pourquoi il a donné à Vance une augmentation de salaire et une promotion peu de temps après que les allégations eurent été faites – et pourquoi lui et Sajjan ont permis à Vance de continuer à présider une enquête sur l’inconduite sexuelle au sein des forces armées alors qu’il faisait face lui-même à des accusations.
Mais si Telford est forcée de témoigner, elle sera dans la position inconfortable de faire passer sa loyauté envers le premier ministre devant ses principes féministes. Et tout comme il l’a fait dans le scandale SNC-Lavalin, Trudeau pourrait finir par être forcée de «jeter sous l’autobus» une femme forte pour sauver sa peau.
Telford n’est peut-être pas aussi connue que Jody Wilson-Raybould, mais elle est suffisamment bien connue, et appréciée, des partisans libéraux. Si elle en vient à écoper pour son patron, ce sera un clou de plus dans le cercueil de la bonne foi féministe de Trudeau – à un moment où il peut difficilement se le permettre.
Car en ce qui concerne les femmes, l’armée canadienne est un réel gâchis. En dehors du Comité, de plus en plus d’allégations d’inconduite sexuelle continuent de faire surface. Dimanche dernier, le lieutenant-général Wayne Eyre, chef d’état-major par intérim de la Défense, a mis en congé le commandant des Forces spéciales du Canada, le major général Peter Dawe, à la suite de révélations selon lesquelles il avait écrit une lettre en faveur d’un soldat reconnu coupable d’agression sexuelle.
Le fait que ces situations se répètent sans relâche sous le gouvernement actuel montre à quel point Trudeau n’arrive pas à concilier son image féministe avec la réalité. Et cela pourrait faire bien plus mal aux libéraux qu’une simple question mal orientée.
Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post