«Ces visiteurs de cette ville sur le Potomac ne sont ni blancs ou noirs, rouges ou jaunes; ils ne sont ni juifs ni chrétiens; conservateurs ou libéraux; ou démocrates ou républicains. Ce sont des Américains émus par ce qui s’est produit dans le passé, fiers de ce qui est encore pour eux… une ville brillante sur une colline.»
Telles étaient les paroles du président Ronald Reagan, prononcées à la veille de l’élection présidentielle américaine de 1980. Reagan faisait référence à une vision exprimée pour la première fois en 1630 par le colon puritain John Winthrop: l’Amérique représentait un idéal de liberté et d’égalité vers lequel les gens se tourneraient pour obtenir des conseils spirituels. L’Amérique était exceptionnelle – et si elle ne respectait pas ses propres normes, elle laisserait tomber le monde du même coup.
La semaine dernière, le siège du Capitole– car on ne peut l’appeler autrement – a confirmé l’existence de la trame narrative concurrente de l’Amérique. Les États-Unis ne sont pas une méritocratie sans classe, une ville brillante sur une colline. Elles sont un système de castes, stratifié par races.
Et ce système de castes n’est pas la trame narrative que les Américains veulent présenter au reste du monde. Cela va à l’encontre du mythe populaire de la mobilité ascendante, de la flambée explosive de New York, New York, et de toutes les histoires jamais racontées d’ascension sociale fulgurante malgré des origines très modestes. Mais c’est la réalité. La guerre civile a peut-être été menée il y a un siècle et demi, mais son héritage demeure.
Au cours des dernières décennies, les changements économiques et sociaux se sont jumelés pour alimenter des sentiments racistes qui ne se sont jamais éteints. Les emplois dans le secteur manufacturier ont disparu, les nouveaux arrivants viennent des quatre coins du globe et les droits civils leur sont accordés – du moins en principe.
Comme le souligne l’historienne américaine Isabel Wilkerson dans son brillant ouvrage, Caste: the Origins of Our Discontents, pour le pauvre homme blanc de l’Amérique moderne, la seule chose qui lui reste est donc la «supériorité» autoproclamée sur l’homme noir, grâce à la couleur de la peau. Retirez-lui cela, et son monde s’écroule. Il s’est donc tourné vers Trump, qui a fait appel à cette classe blanche dépossédée pour qu’elle accède au pouvoir. C’est ce pouvoir – pas la république – que les insurgés ont cherché à préserver mardi dernier. Ce n’est pas la démocratie qu’ils ont défendue, mais leur place dans la hiérarchie sociale.
Beaucoup se demandent où cela mène les États-Unis. Mais on peut aussi se demander où cela mène les conservateurs. Car c’est leur parti que Trump a utilisé comme véhicule; c’est leur parti qui s’est agenouillé devant lui; c’est leur parti qui porte désormais sa marque, telle un T écarlate. Alors que le filet des déserteurs est devenu un déluge, il est trop peu, trop tard. Cela ne devrait pas prendre une attaque sur le siège du gouvernement pour vous faire découvrir vos principes.
Et ces principes n’ont jamais été ceux de Trump. Trump a rarement parlé de liberté ou du rôle de l’Amérique en tant que porte-flambeau du monde. Si Reagan était l’apogée du conservatisme, Trump marque son point le plus bas. Trump a fait ressortir le pire de la droite: la xénophobie, le racisme et la volonté de sacrifier la liberté pour la loi et l’ordre.
Cela ne s’inscrit pas dans la tradition du conservatisme américain, en particulier celle du siècle dernier. De la fin de la Seconde Guerre mondiale à la chute du mur de Berlin, les conservateurs américains ont défendu la liberté contre sa plus grande menace, le régime communiste de l’URSS. En compagnie d’autres alliés de persuasion conservatrice, notamment la première ministre Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, et le chef de l’Église catholique, le pape Jean-Paul II, les Américains ont gagné la guerre froide, libérant des centaines de millions de personnes de l’oppression.
Si les conservateurs souhaitent se racheter, ils doivent retrouver leurs racines et se reconstruire à l’image de la ville brillante. Ils doivent réclamer – et œuvrer pour – la fin du racisme et du système de castes qui sous-tend leur pays. Ils doivent renier le Trumpisme, sans réserve.
Ce n’est pas seulement un impératif pour les conservateurs américains, mais pour les conservateurs du monde entier. S’ils échouent, ils ne manqueront pas simplement de reconstruire leur propre fondation: ils échoueront face à tous ceux et celles qui comptent sur eux pour espérer reconstruire la leur.
La version originale anglaise de ce texte se trouve sur le site du National Post