L’élection de 2019 sera-t-elle celle de la haine?

Tandis que les taxes sur le carbone et les gazoducs devraient occuper une place prioritaire dans l’agenda politique, un horrible courant sous-jacent menace d’entraîner le débat dans des lieux dangereux.

Dans une récente interview avec le Hill Times, le réputé sondeur Nik Nanos a tiré la sonnette d’alarme sur l’utilisation de la « politique du sifflet à chiens » (dogwhistle politics) par toutes les parties du spectre politique. C’est le terme utilisé pour désigner un message politique qui, comme un son aigu qui ne peut être entendu que par un chien, reste inaudible pour la plupart des électeurs, mais cible les autres avec un message codé. Et les conséquences pourraient être désastreuses.

« Nous constatons une augmentation de la “militarisation“ du racisme comme outil politique de mobilisation des électeurs au Canada », a déclaré Nanos. « Si nous nous en tenons à notre analogie, si elles “militarisent“ cette arme comme durant l’ancienne Guerre froide, c’est une destruction mutuellement assurée. Alors que si l’une ou l’autre de ces parties va trop loin, elles pourraient non seulement détruire leur ennemi, mais s’autodétruire par le fait même. C’est donc un terrain très dangereux.  »

Les commentaires de Nanos font suite à la publication d’un sondage réalisé par Ekos selon lequel 40% des répondants estimaient que trop de membres de minorités visibles immigraient au Canada. Cela représentait une augmentation par rapport aux niveaux des années précédentes, de même que la première fois que le nombre de Canadiens partageant cette opinion était égal au pourcentage de personnes estimant que les niveaux d’immigration étaient généralement trop élevés.

La polarisation entre les électeurs des différents partis était toutefois plus préoccupante. Parmi les électeurs libéraux, seulement 15% pensaient que trop de minorités visibles entraient au Canada, contre 34% en 2013. Cependant, 69% des électeurs conservateurs pensaient que trop de minorités visibles entraient au Canada, une augmentation par rapport au niveau de 2013, qui était de 47%.

Le coup de sonde s’est également penché sur l’éducation, la classe économique et la région géographique des personnes sondées et a révélé que le pourcentage le plus élevé d’électeurs qui pensaient qu’il y avait trop de minorités visibles était diplômé du secondaire, appartenant à la classe ouvrière, et vivait en Alberta, tandis que les plus susceptibles de dire qu’il n’y avait pas trop de minorités visibles entrant au Canada sont issus de la classe supérieure, ont fait des études universitaires et vivent dans les Provinces de l’Atlantique.

« Ce qui est extrêmement important, c’est de noter que l’opposition à l’immigration en général – et aux minorités visibles en particulier – n’augmente pas de façon spectaculaire », a déclaré Ekos dans un communiqué de presse du 15 avril. « Ce qui est alarmant, c’est le niveau de polarisation idéologique et partisane sur cette question. … Cela représente également de plus en plus les préférences des électeurs et représente une dynamique très différente de celle que nous avons connue par le passé. L’axe traditionnel gauche-droite a été transformé en une sorte de concours sur l’avenir. La volonté de restreindre l’immigration, et en particulier l’immigration de non-Blancs, est une expression de ce réflexe autoritaire qui a accru l’hostilité à l’égard des groupes marginaux et une volonté ouverte de réduire l’immigration, en particulier l’immigration non blanche.

Et ces voix hostiles se multiplient. B’Nai Brith Canada a récemment publié son indice annuel des crimes motivés par la haine qui démontre une augmentation du nombre d’incidents antisémites pour la troisième année consécutive. Un nombre record de 2041 incidents antisémites ont été signalés en 2018 – incluant des agressions, des menaces et du vandalisme –, ce qui représente une augmentation de 16,5% par rapport à 2017.

Les groupes haineux sont également de plus en plus organisés, utilisant l’Internet comme outil de prédilection. Le 27 avril, le Globe and Mail a publié un exposé sur les groupes haineux de la « droite alternative » (alt-right) qui utilisent le langage des gamers pour éviter toute détection; leur but n’étant pas seulement de se parler entre eux, mais d’influencer le débat public et les partis politiques.

L’alt-right se sert également des mouvements de protestation pour gagner du poids sur le plan politique. L’une de leurs cibles est le groupe pro-pipeline Yellow Vests Canada qui a organisé en février un rassemblement pancanadien, « United We Roll », pour manifester contre les modifications apportées à la taxe sur le carbone et à l’évaluation environnementale dans le projet de loi 69. La page Facebook du groupe était truffée de messages racistes et anti-immigrés, et le rassemblement a finalement permis au chef conservateur Andrew Scheer ainsi qu’au chef du Parti populaire Maxime Bernier de partager une scène non seulement avec les défenseurs de l’énergie, mais également avec Faith Goldy, une agitatrice connue du mouvement alt-right.

Mark Friesen, administrateur de la page Facebook de Yellow Vests Canada, a minimisé les critiques adressées au groupe. « Il y a des éléments racistes dans le mouvement. Mais cela reflète la réalité canadienne dans son ensemble où il y a des pommes pourries. » Ces « pommes pourries », cependant, rendent difficile la tâche pour quiconque voudrait débattre d’immigration de façon constructive.

« Chaque fois, nous essayons de formuler des critiques valables sur les politiques », déclare la critique conservatrice en matière d’immigration, Michelle Rempel. « Trudeau a choisi d’utiliser le débat sur le système d’immigration pour lancer des accusations de racisme à peine voilées. C’est une tactique politique dangereuse, cynique. »

Peut-être, mais les blessures auto-infligées n’aident pas non plus. Le refus de Scheer d’appeler des éléments racistes lors du rassemblement et le fait de ne pas utiliser le mot « musulman » lors des attaques terroristes à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, qui ont tué 49 fidèles et en ont blessé 40 autres dans deux mosquées de ce pays, ne sont pas passés inaperçus. Les deux incidents ont été considérés comme des « sifflets à chiens » (dogwhistles) par les électeurs anti-immigrants, qui sont malheureusement perçus par certains comme une base de soutien potentiellement utile – et qui pourraient éventuellement élire domicile dans un autre parti, comme le PPC.

À l’inverse, les libéraux et le NPD ont tous deux intérêt à interpeller le chef conservateur sur ces erreurs de parcours, non seulement parce que c’est la bonne chose à faire, mais aussi parce que cela sert leurs intérêts. « Siffler » à la base de la gauche que les conservateurs sont racistes contribue à solidifier le vote progressiste – et, ironie du sort, isole Trudeau lorsqu’il prend des mesures pour réformer l’immigration, comme il l’a fait en avril dernier.

Après trois années de critiques de la part des conservateurs, Trudeau a finalement pris des mesures contre les milliers d’immigrants illégaux à Roxham Road, au Québec. Dans un moment de style « seul Nixon pouvait aller en Chine », Trudeau a entamé une renégociation de l’accord entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs, afin de combler le vide qui permet aux demandeurs d’asile de faire une demande au Canada s’ils traversent à un point d’entrée illégal. En outre, il a introduit une modification législative rendant toute personne ayant déposé une demande d’asile aux États-Unis et dans plusieurs autres pays inéligible à le faire au Canada – et l’a enterrée dans un projet de loi omnibus. Si les conservateurs avaient agi de la sorte, les cris de « racistes » auraient afflué de toutes parts. Au lieu de cela, le Globe and Mail a conclu que Trudeau s’était simplement « éveillé à la réalité ».

En d’autres termes, les sifflets de chiens sifflent des deux côtés de l’allée. Toutefois, s’ils ont à cœur l’avenir du pays, tous les partis doivent résister à cette tentation. Le Canada dépend d’une politique d’immigration ordonnée et accueillante pour faire croître son économie et sa démographie. Nous ne pouvons pas nous permettre de sombrer dans la xénophobie ou d’arrêter le débat à coups d’étiquettes toxiques. Ces deux voies compromettent l’objectif crucial de la constitution de la main-d’œuvre et de la société de demain, en attirant aujourd’hui les meilleurs et les plus brillants du monde.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de Global…

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