Son explication ne sauve pas sa proposition – une solution à un problème qui n’existe pas.
En Europe, aux États-Unis et au Canada, l’immigration est en train de devenir la question politique la plus brûlante de 2017. De l’autre côté de l’Atlantique, la candidate à la présidence française, Marine Le Pen, milite en faveur d’une interdiction de tous les symboles religieux, y compris le foulard musulman, la kippa juive et le turban sikh. Aux États-Unis, le président Trump a publié aujourd’hui une version révisée de son décret migratoire interdisant les déplacements en provenance de six pays à majorité musulman pendant 90 jours, et ce supposément dans l’intérêt de la sécurité nationale.
Au Canada, la candidate conservatrice Kellie Leitch a défini un peu plus ses politiques sur le « filtrage des immigrants », à l’aide d’une nouvelle vidéo et d’un message courriel.
Il faut donner cela à Leitch : elle a identifié le problème au début de la course, a jalonné sa proposition et l’a exploitée depuis. Peu importe le fait que la plupart des autres candidats la traitent comme un rejet radioactif, ou que sa vidéo de campagne originale a des allures de parodie de vidéo de campagne.
Cette dernière a généré plus de 100 000 vues sur YouTube seulement, et plus de 500 000 en tout, selon les représentants de sa campagne. Et les spectateurs ne sont pas tous en train de rire de l’étrange production : qu’on le veuille ou non, il y a un marché pour la rhétorique anti-immigrant au Canada – au sein des partisans conservateurs plus qu’ailleurs.
Leitch, bien sûr, nie qu’elle soit contre l’immigration. Elle dit qu’elle veut seulement s’assurer que nous obtenons les bons immigrants, ceux qui défendent des « valeurs canadiennes ». Son courriel énonce les questions qu’elle pense que les immigrants devraient se faire poser à cet égard:
« Les hommes et les femmes sont-ils égaux et ont-ils droit à une même protection en vertu de la loi? »
« Est-il quelquefois acceptable de contraindre un individu ou d’utiliser la violence contre lui, ou un groupe d’individus, qui n’est pas d’accord avec votre point de vue? »
« Reconnaissez-vous que pour mener une bonne vie au Canada, vous devrez travailler fort pour vous-même et votre famille, et que vous ne pouvez pas vous attendre à ce qu’on vous donne les choses que vous voulez? »
Leitch dit que chaque immigrant potentiel devrait faire l’objet d’un entretien face à face avec un agent d’immigration et être mis au défi sur ses réponses. « Par exemple, écrit-elle, on leur demanderait d’expliquer pourquoi ils ont pu faire des déclarations antérieures ou poster des messages sur les médias sociaux qui indiquent le contraire de ce qu’ils prétendent. » Cela permettrait de surmonter le problème le plus évident de sa proposition – que peu importe ce qu’ils croient, les nouveaux arrivants vont simplement dire ce qu’ils pensent que les agents de l’immigration veulent entendre.
Leitch parle sans doute de personnes comme ce professeur du Texas qui a été congédié pour tweeter “kill some Jews” (« tuer quelques Juifs ») et d’autres messages antisémites. Ou cet imam canadien qui a prêché que les femmes ne devraient pas refuser les avances sexuelles de leurs maris, quoi qu’il arrive.
Mais voilà, ce ne sont pas seulement les gens qui détestent les juifs ou qui croient en la charia qui disent des choses méchantes, ou qui violent la liste des valeurs de Leitch. Si on se fie à sa liste, il n’y aurait vraisemblablement pas de place au Canada pour des gens comme cet écrivain américain, qui a rédigé le guide “Why Man and Woman are not Equal” (« Pourquoi l’homme et la femme ne sont pas égaux ») pour le site Web de l’organisme Focus on the Family. Ou ce blogueur du HuffPost en Inde qui a écrit, “Why we Need to Stop Telling Women They’re Equal to Men” (« Pourquoi nous devons cesser de dire aux femmes qu’elles sont égales aux hommes »). Ou ce candidat politique canadien (vous vous souvenez de lui) qui a prédit « l’éternité dans le lac de feu pour les gais et les lesbiennes » dans un blogue, en 2011.
Si la seule façon d’être vraiment Canadien était de défendre toutes les valeurs canadiennes, notre pays serait un paradis. Il n’y aurait pas de discrimination fondée sur le sexe, pas d’homophobie, pas d’assaut, pas de fraude à l’assistance sociale. Vous n’iriez pas en prison pour avoir enfreint la loi, vous perdriez votre citoyenneté.
Je ne sais pas comment vous expulseriez les gens qui ont grandi ici par contre. Peut-être que Leitch trouverait un moyen.
Que vous détestiez cela ou non, les Canadiens sont libres d’avoir les opinions qu’ils veulent, à condition qu’ils ne violent pas les dispositions sur les discours haineux ou autres du Code criminel. Leitch pourrait soutenir qu’en tant que citoyens, les droits des Canadiens en vertu de la loi canadienne sont plus importants que ceux des personnes qui n’ont pas encore obtenu la citoyenneté. Mais la plupart des articles de la Charte, à l’exception de ceux qui accordent le droit de vote et « d’entrer, de demeurer au pays et de quitter le Canada », s’appliquent tant aux citoyens qu’aux non-citoyens. Cela inclut la liberté de croyance et de parole.
Et que doit-on penser de l’ironie de cette situation? Le président Trump a récemment félicité le Canada pour son système d’immigration « fondé sur le mérite » qui filtre les gens qui disent vouloir faire ce que Leitch dit qu’ils devraient faire : c’est-à-dire, travailler dur et ne pas chercher à ce qu’on « leur donne des choses ».
Rappelez-vous que l’auteur dont le travail a été cité par Leitch pour appuyer sa proposition de dépistage est lui-même est en désaccord avec la proposition de Leitch et dit que le dépistage basé sur la langue et les compétences (notre méthode actuelle) est la meilleure façon de procéder.
Il y a des changements que nous devrions apporter à notre système d’immigration. Suite à leur entrée en fonctions, les libéraux ont assoupli les exigences linguistiques et ont commencé à admettre moins d’immigrants économiques et plus d’immigrants de la catégorie « familiale ». Prétendant qu’il s’agirait d’un objectif politique légitime, que les conservateurs et la plupart des Canadiens pourraient appuyer.
Mais envoyer la « police de la pensée » aux trousses des immigrants potentiels?! Non merci. Il s’agit seulement de Leitch qui crie encore au loup, luttant pour ressortir de la meute.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.