Le Sénat peut-il remettre de l’ordre dans ses affaires?

Peut-être. Sinon, personne n’y peut grand-chose.

« J’ai été projeté sous l’autobus, mais j’ai survécu. » Le sénateur indépendant Patrick Brazeau a gazouillé ces quelques mots, peu de temps après avoir appris que la Couronne laisserait tomber toutes les accusations de fraude et d’abus de confiance portées contre lui en rapport avec le scandale des dépenses du Sénat.

Brazeau avait beaucoup de compagnie en-dessous de cet autobus : ses collègues sénateurs Mike Duffy, Pamela Wallin et Mac Harb, maintenant à la retraite. Tous étaient confrontés à des enquêtes similaires à propos de leurs habitudes de dépenses. Tous ont maintenant été blanchis soit d’accusations, soit de suspicions. Duffy a été acquitté en avril, Harb a vu ses accusations être retirées en mai, et, le même mois, la GRC a annoncé que Wallin ne serait pas accusée.

Harb, Wallin et Brazeau peuvent remercier Duffy – ou plutôt Donald Bayne, l’avocat de Duffy – pour ces revirements de situation. Bayne a persévéré durant les deux mois qu’a duré un procès que la plupart des observateurs ont prédit qu’il finirait avec son client reconnu coupable d’au moins un des 31 chefs d’accusation de fraude et d’abus de confiance déposés contre lui. Au lieu de cela, c’est le gouvernement – en particulier le Cabinet du premier ministre de Stephen Harper – qui s’est retrouvé amoché après avoir orchestré la disparition de Duffy; le Sénat lui-même a subi de graves dommages d’image pour son maintien de règles floues au sujet de la résidence et de la différence entre une entreprise « officielle » versus « personnelle ».

La libération de Brazeau ne mettra pas un terme à cette triste saga politique, bien sûr. Le sénateur est maintenant en train d’explorer ses options juridiques, qui comprennent poursuivre le Sénat et/ou la GRC. CTV News a cité l’avocat de Brazeau, Christian Deslauriers, disant que son client et lui envisagent d’« explorer toutes les avenues » – et faisant allusion à un complot visant à salir la réputation de son client. « S’il y a eu ingérence politique, je ne peux pas le prouver. Je peux le croire, je peux penser qu’il y en a eu, mais je ne peux pas le prouver. »

À son retour au Sénat, le jour après que les accusations aient été abandonnées, Brazeau a lui-même dit que ce qui lui est arrivé « était injuste et que quelqu’un doit être tenu responsable ».

Sans doute, Brazeau faisait allusion non seulement aux accusations, mais aux répercussions que cet épisode aura eues sur sa vie personnelle. Pendant les trois années où il était sous enquête, Brazeau a été accusé d’agression sexuelle (les accusations ont été abandonnées faute de preuves), a plaidé coupable d’agression et de possession de cocaïne (il a reçu une absolution inconditionnelle), a été inculpé pour avoir refusé de se soumettre à un alcootest et, plus récemment, a été hospitalisé après avoir fait une tentative de suicide.

Quant à Duffy, ses ennuis ne sont pas tout à fait terminés. Malgré son acquittement en cour criminelle, le Comité interne des dépenses du Sénat lui a récemment ordonné de rembourser d’ici le 23 juillet près de 17 000 $ en dépenses. Duffy conteste l’ordre; son avocat a envoyé une lettre qualifiant la demande du comité de « déraisonnable, injuste et d’attaque collatérale indue face à une décision judiciaire définitive et des conclusions factuelles par un tribunal ». Si Duffy ne rembourse pas l’argent, ou va en arbitrage pour régler le différend, le Sénat peut déduire les fonds sur son chèque de paie.

Quel impact tout cela aura-t-il sur le Sénat? Au cours des derniers mois, la Chambre rouge a traversé sa propre thérapie de réadaptation, œuvrant à démontrer qu’elle est en fait une chambre de réflexion, plutôt qu’un repaire d’ineptes dépensiers. Elle a voté pour modifier la législation sur l’aide médicale à mourir du gouvernement (même si elle a finalement adopté la version plus restrictive du gouvernement), pour modifier une autre loi conférant le droit de syndicalisation aux agents de la GRC (qui sera présentée devant les communes à l’automne) et, plus récemment, a publié un rapport recommandant une meilleure intégration des réfugiés syriens.

Le gouvernement libéral tient également à offrir une cure de rajeunissement au Sénat, avec la nomination de nouveaux sénateurs à l’aide d’un processus de comité et avec l’ouverture de sièges du Sénat aux« candidatures » de Canadiens intéressés. « Nous commençons à voir comment un Sénat moins partisan, plus transparent, responsable et engagé sur les questions de politique publique va agir », a déclaré Peter Harder, le représentant du gouvernement au Sénat. « Cela a été une période de changements très intense. »

Mais ces changements seront-ils suffisants pour continuer de justifier l’existence du Sénat? Alors que les sondages démontrent que les Canadiens sont divisés sur ce qui devrait advenir de la Chambre haute – l’abolir ou la réformée –, le fait est qu’un organisme non élu sera toujours plus enclins à abuser du système qu’un organisme élu, parce qu’il ne peut être tenu directement responsable par les électeurs. Malgré tous les efforts du gouvernement pour nommer de « dignes » Canadiens, les sénateurs auront toujours une sinécure jusqu’à l’âge de 75 ans – et peu importe que ses règles sur les dépenses soient strictes ou claires, les cas de dépenses douteuses au Sénat feront probablement de nouveau la manchette. Les millions de dollars dépensés sur les enquêtes et le capital politique consacré à traiter ce scandale des dépenses du Sénat ont eu des répercussions sur la gouvernance de ce pays – et ont sans doute contribué à la chute du gouvernement Harper.

Le Sénat peut possiblement chercher à changer, mais à la fin, il détient tout un atout – le fait qu’il ne peut pas être fondamentalement réformé ou aboli sans un amendement constitutionnel exigeant le consentement de l’ensemble des dix provinces. Les sénateurs savent très bien que, même s’ils se conduisent mal, la volonté politique d’ouvrir cette boîte de Pandore n’existe tout simplement pas en ce moment. Les Canadiens ne peuvent qu’être reconnaissants que les malheurs de l’institution des dernières années ne l’aient mis sur le droit chemin – pour l’instant.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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