Le scandale SNC-Lavalin illustre bien l’échec général du gouvernement de Justin Trudeau

Combien de temps encore les libéraux pourront-ils endurer le scandale SNC-Lavalin? La question a fait dérailler leur programme depuis près de huit semaines maintenant. Et elle continue de se pointer ici et là, supplantant des nouvelles comme le budget et maintenant la taxe fédérale sur le carbone (en vigueur depuis lundi, au cas où vous l’auriez oublié).

Elle a provoqué la démission de deux ministres, Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott, ainsi que du conseiller principal du premier ministre, Gerald Butts, et du greffier du Conseil privé, Michael Wernick. Et pour rendre hommage en quelque sorte à Watergate, nous avons maintenant une cassette mettant en vedette Wernick et Wilson-Raybould en train de faire un pas-à-deux autour du cœur de toute cette affaire: l’indépendance des poursuites et l’État de droit.

Dans l’enregistrement, Wernick indique clairement que le premier ministre Justin Trudeau veut qu’un accord de poursuite différée soit conclu « d’une façon ou d’une autre ». Tout aussi clairement, Wilson-Raybould explique que la pression exercée sur elle est inappropriée et constitue une ingérence politique. L’implication de leur échange est claire: le premier ministre a menti en affirmant que Wilson-Raybould n’avait jamais indiqué qu’elle sentait de la pression envers elle. « Oh, si seulement elle était venue vers moi », a-t-il tristement déclaré par la suite lors de plusieurs points de presse.

Il est maintenant clair que les émissaires de Trudeau étaient parfaitement au courant du malaise ressenti par Wilson-Raybould et que rien ne serait possible si on s’adressait à la personne même qui demandait qu’elle fasse ce qu’elle savait être incorrect.

Wernick avertit également : « Ce n’est pas une bonne idée que le premier ministre et son procureur général soient en désaccord. … Je suis inquiet face à une éventuelle confrontation parce qu’il est assez ferme à ce sujet. … Je l’ai vu il y a quelques heures, et ceci est très important pour lui. »

C’est alors que Wilson-Raybould, vers la fin de la conversation, dit à Wernick qu’elle attend que « l’autre chaussure tombe. … Je ne me fais aucune illusion sur la façon dont le premier ministre obtient les choses qu’il veut. … Je suis juste obligée de faire le meilleur travail possible. »

Il ressort clairement de ces remarques que les deux parties comprennent les implications d’un éventuel refus par Wilson-Raybould d’exécuter les ordres de Trudeau: elle pourrait très bien ne plus être procureure générale dans un avenir rapproché. C’est probablement pourquoi elle a enregistré cette conversation, même si cela n’était peut-être pas très éthique. Elle a supposé que si elle était expulsée, le prochain procureur accorderait probablement l’accord de poursuite différée, et elle souhaitait avoir une preuve du fait qu’elle s’y était opposée, en tant qu’autorité judiciaire suprême du pays.

Pourquoi Wilson-Raybould pouvait-elle penser qu’un tel acte pourrait être imminent? Tout cela pourrait remonter jusqu’à Scott Brison, alors président du Conseil du Trésor. L’appel téléphonique avec Wernick a eu lieu à peine une semaine après que Brison eut annoncé, le 12 décembre 2-18, qu’il allait quitter le Cabinet et ne pas se représenterait aux prochaines élections fédérales. Cela nécessiterait un remaniement ministériel – et ouvrait une porte au premier ministre. Dans notre système parlementaire, il a le pouvoir de choisir son cabinet en fonction de critères qu’il juge appropriés: expérience, compétence, équilibre régional, équilibre entre les sexes, la couleur des chaussures, etc. Ou, la propension à faire ses avancer ses demandes dans un dossier quelconque.

Et c’est ce qui a fini par arriver. Quiconque pense que Wilson-Raybould n’a pas été écartée de son rôle parce qu’elle était devenue une pierre d’achoppement pour l’agenda de Trudeau dans l’affaire SNC-Lavalin est aussi naïf que celui qui a acheté la ligne du cabinet du premier ministre voulant que Wernick n’ait jamais informé le premier ministre de sa conversation avec Wilson-Raybould parce que les gens étaient en vacances. (Vous pensiez peut-être qu’il y avait une limite au nombre de personnes que Trudeau pouvait jeter sous l’autobus, mais apparemment, c’est un très gros autobus…)

Oui, le premier ministre essayait de contourner la règle de droit. Et avec quelqu’un ayant moins de principes et étant moins pertinent que Wilson-Raybould, il aurait peut-être réussi. Malheureusement pour lui, Wilson-Raybould a non seulement donné un sens très aigu de la justice à ce rôle, mais également un agenda. Elle voulait faire avancer les questions autochtones, tant devant les tribunaux que devant le Cabinet. Elle croyait que Trudeau le voulait aussi. Sa nomination même le laissait sous-entendre: elle était la première femme d’origine autochtone à occuper les postes de ministre de la Justice et de procureure générale. Elle se sentait ainsi bien en droit de tenir son bout du bâton – jusqu’à ce que cela devienne évident, lors d’échanges comme celui qu’elle a enregistré, qu’elle ne l’était pas.

Mais la vraie leçon à tirer de toute cette affaire n’est pas que le premier ministre soit un hypocrite en matière de féminisme ou de droits autochtones (pensez au mauvais jeu de mots de Grassy Narrows) ou qu’il est un menteur qui a tenté de dissimuler ce qu’il avait fait (faire pression de manière inappropriée sur la procureure générale) . La vraie leçon, c’est qu’il ne peut pas faire avancer les choses.

La triste vérité est que tout autre premier ministre à la place de Trudeau, faisant face à la possibilité qu’une telle grande entreprise quitte le pays – pire, qu’elle quitte le Québec, sa province d’origine où la perte d’un siège social est une crise nationale – aurait probablement fait la même chose. Il ou elle aurait tenté par tous les moyens d’obtenir un accord de poursuite différée – même si cela impliquait une conversation inappropriée avec son procureur général.

Rien que ce week-end, des journalistes ont fouillé les mémoires de l’ancien premier ministre Brian Mulroney qui détaillent son intervention dans l’affaire David Milgaard, qui purgeait à l’époque une peine à perpétuité pour viol et meurtre. Après avoir rencontré la mère de Milgaard, Mulroney dit avoir ordonné à Kim Campbell, alors procureure générale, de réexaminer l’affaire, malgré sa réticence à le faire. Milgaard a finalement été reconnu avoir été condamné à tort. Si un premier ministre peut faire cela pour un homme condamné à tort, alors qu’aucun capital politique n’était en jeu, sauf peut-être une question de décence humaine, est-il si déraisonnable de présumer qu’un futur premier ministre ne le ferait pas quand le sort d’un grand donateur, la colère du Québec Inc., le spectre de 9 000 emplois perdus, et les votes liés à tout ce bazar étaient en jeu?!

Aucune chance! Et si cela ne fonctionnait pas avec une procureure générale, alors trouvez-en une autre! Comment faites-vous cela sans faire de vagues? Réponse: par la bande. Si Trudeau voulait vraiment faire sortir Wilson-Raybould du Cabinet, il aurait dû lui confier des responsabilités égales ou presqu’égales à celles qu’elle avait déjà. Il aurait pu l’échanger avec quelques juristes: François Philippe Champagne, ministre de l’Infrastructure et des Collectivités; Carla Qualtrough, des services publics et de l’approvisionnement; et Dominic Leblanc, Affaires intergouvernementales et du Nord et Commerce intérieur, ce dernier étant l’un des principaux alliés de Trudeau au gouvernement. Il aurait même pu la faire siéger au Conseil du Trésor s’il n’avait pas voulu déplacer quelqu’un d’autre.

Trudeau a plutôt rétrogradé Wilson-Raybould à un poste moins prestigieux au sein du Cabinet. Pire encore, il lui avait initialement confié le seul emploi – Services aux Autochtones Canada – qu’elle avait précédemment déclaré ne pas pouvoir accepter en tant que femme membre des Premières Nations. Donc, on peut soutenir que Trudeau est non seulement un arrogant menteur, mais aussi un arrogant et incompétent menteur, qui mérite sans doute encore moins le titre de premier ministre.

À bien des égards, la mauvaise gestion du dossier SNC-Lavalin illustre l’échec général du gouvernement Trudeau. Au cours des quatre dernières années, les modestes déficits du chef libéral se sont transformés en déficits structurels; son agenda autochtone est en lambeaux; son déploiement du marché du pot légal est un gâchis monumental; sa réputation internationale a été malmenée; sa taxe sur le carbone a été rejetée par quatre des dix provinces; et ses « voies ensoleillées » se sont avérées n’être rien de plus qu’un « show de boucane ».

À l’élection de 2015, les publicités conservatrices se moquaient de Trudeau disant qu’il n’était « pas prêt » pour le gouvernement. Malheureusement, ils avaient raison.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de Global…

3 Comments

  1. Une chose est certaine, si S.N.C. avait été une entreprise de Colombie britanique ou d’Ontario la situation ne serait complètement différente et S.N.C. bénéfirait des accords de réparation tel que la loi le permet. C’est du Québec Basching de bas niveau.

  2. Vos commentaires acerbes sur la personne de M.Trudeau traduisent bien vos couleurs conservatrices. Un examen attentif des réalisations du gouvernement ne m’apparaît pas aussi néfaste que vous semblez affirmer. La saga de SNC se résume à peu de choses. JWR faisait partie du gouvernement et à cet égard il est normal que des communications s’établissent au sein du cabinet. Ce qui fut demandé à JWR: obtenir l’avis d’une éminence juridique sur l’application de la nouvelle loi. Entêtée, elle a refusé et perdu son poste. La suite des évènements n’est que le reflet d’une vengeance envers son chef. Curieux qu’elle n’est pas penser à démissionner du parti libéral.

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