Le Québec n’est plus la province la plus corrompue au Canada?! Voilà la question que se posent de nombreux Ontariens cette semaine, après avoir découvert les pratiques de financement du Parti libéral de l’Ontario.
Le Toronto Star a récemment rapporté que les ministres libéraux se sont vus remettre des « cibles » secrètes pouvant aller jusqu’à 500 000 $ par Bobby Walman, le président et chef de la collecte de fonds du Liberal Fund de l’Ontario. Contacté par le journal, Walman a dit qu’il était trop occupé pour commenter, puis a refusé de répondre à une série de courriels. En ce qui concerne la première ministre Kathleen Wynne, elle ne nie pas l’existence de telles cibles, et a même décrit des événements tels que la réception à « 6 000 $ par tête », incluant des conversations « un-à-un » entre elle et des participants, comme étant « une partie intégrante du processus démocratique ».
Depuis, Wynne a fait un peu marche arrière et promet maintenant l’introduction de réformes de financement politique pour l’automne. De telles réformes sont attendues depuis longtemps, étant donné que le gouvernement fédéral conservateur de l’ancien premier ministre Stephen Harper a modifié les façons de faire d’Ottawa en 2006, après le scandale des commandites des libéraux. Le gouvernement a alors adopté la Loi fédérale sur la responsabilité, qui limite les dons, oblige la divulgation publique et ferme la porte tournante qui relie le gouvernement et les sociétés de lobbying.
De même, le gouvernement libéral du Québec a adopté des réformes en 2013, après sa plus récente débâcle sur le financement politique. Cela a donné lieu à la création de la commission Charbonneau, qui a tenu des audiences sur la présumée corruption impliquant des dons politiques et des contrats de construction. Récemment, l’ancienne vice-première ministre du Québec et six autres responsables politiques ont été accusés d’une série d’infractions, y compris fraude et complot.
En Ontario, aucun lien n’a été établi entre des contrats et des dons pour le moment. Mais certains d’entre eux dégagent une odeur pour le moins douteuse. La Banque de Nouvelle-Écosse, par exemple, a fait la promotion d’une collecte de fonds pour les deux ministres de l’Ontario en charge de la privatisation de Hydro One, à peine un mois après qu’une introduction en bourse ait été délivrée pour la vente de 15 pour cent de la compagnie d’électricité pour 1,8 milliard $. La collecte de fonds, à 7 500 $ l’assiette, a engrangé 165 000 $ pour le ministre de l’Énergie, Bob Chiarelli, et le ministre des Finances, Charles Sousa, qui étaient tous deux les invités d’honneur, et a réuni 22 cadres représentant les banques du syndicat de Hydro One, qui, selon journaliste du Globe and Mail, Adrian Morrow, ont collectivement fait 29,3 millions $ suite à l’introduction en bourse.
D’autres événements promettent régulièrement des accès aux décideurs, en échange d’argent. Tel qu’indiqué par le Star, le dîner annuel du patrimoine du Parti vend des « Tables de la victoire » pour 18 000 $, ce qui donne aux participants l’accès à une réception privée avec le premier ministre. Un événement organisé par le Liberal Fund et l’Ontario Long Term Care Association (OLTCA) a offert « une occasion sans précédent pour les membres de l’OLTCA » de « discuter du secteur, de personne à personne, avec le ministre ».
Pour l’ensemble de son approche moralisatrice sur d’autres questions – y compris l’introduction récente de la bière dans les épiceries –, Wynne n’a fait aucun commentaire au sujet de l’administration de l’équivalent politique d’un service d’escorte, jusqu’à ce que les récentes révélations lui aient forcé la main.
Et alors que le gros de la boue vole en direction de Wynne, les libéraux de l’Ontario ne sont pas les seuls à tenir des événements payants en ville. Le mois dernier, le Wildrose Party d’Alberta a demandé au commissaire à l’éthique provincial d’enquêter sur la participation de la première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, à une collecte de fonds privée, à 9975 $ l’assiette, aux profits du NPD de l’Ontario. L’événement, qui avait lieu à l’Hôtel Fairmont Royal York de Toronto, a réuni une vingtaine de membres de la communauté des affaires et des syndicats ontarienne, et faisait la promotion de la première ministre de l’Alberta comme invitée d’honneur. Pour ce qui est des progressistes-conservateurs de l’Ontario, leur chef, Patrick Brown, a déclaré : « Je soutiens depuis longtemps que nous devons revoir la collecte de fonds des partis politiques en Ontario, et je le maintiens. » – mais les membres du Parti comptent aussi beaucoup sur le soutien des entreprises pour leurs campagnes.
À Ottawa et au Québec, le stratagème de « payer pour jouer » n’existe plus. Les règles fédérales ont été modifiées pour interdire les dons des entreprises et des syndicats, et pour limiter les dons individuels à 1525 $ pour chaque parti, et à $ 1525 pour toutes les associations et les candidats de chaque parti enregistré. Au Québec, les individus sont limités à des contributions de 100 $ par année et à un montant supplémentaire de 100 $, lors d’une année électorale.
Pendant ce temps, en Ontario, les entreprises et les syndicats peuvent encore donner chaque année jusqu’à 9975 $ aux partis politiques, en plus d’un montant supplémentaire de 9975 $ lors d’une année électorale, et jusqu’à 6650 $ aux associations de circonscription d’un parti. Ils peuvent également contribuer 6650 $ à des candidats d’un parti, mais pas plus de 1330 $ à un seul candidat. Dans le cas des campagnes de leadership, le ciel est la limite!
Wynne a promis de « resserrer » ces règles, mais pas d’interdire purement et simplement les dons des entreprises et des syndicats, ou d’imposer des limites à la publicité de tierces parties, ce qui demeure également non réglementée. Ses réformes n’entreraient probablement pas en vigueur avant la prochaine élection, prévue pour 2019. « Insuffisant » est probablement le terme le plus poli qu’on puisse utiliser pour décrire de tels efforts. Si Wynne veut vraiment démocratiser la politique, elle devrait suivre l’exemple du Québec : établir de faibles limites pour les dons, interdire les dons des entreprises et des syndicats, et enquêter activement toute allégation de trafic d’influence. Est-ce le temps d’instaurer une commission Charbonneau en Ontario?
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site du National Post.