Quelque part, Sue Rodriguez sourit.
La femme de Colombie-Britannique qui a mené la lutte pour le droit au suicide médicalement assisté, mais qui a perdu sa cause en Cour suprême, était vingt ans en avant de son temps. Cette semaine, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-14, une législation permettant « aux adultes qui souffrent de façon intolérable et pour qui la mort est raisonnablement prévisible » de mettre fin à leur vie avec l’aide d’un professionnel de la santé.
Rodriguez, qui souffrait de la SLA, était l’une de ces adultes. Elle a finalement mis fin à ses jours, illégalement, avec l’aide d’un médecin – comme beaucoup d’autres Canadiens l’ont sans doute fait au cours des deux dernières décennies. La peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans pour complicité à un suicide est demeurée inscrite dans les livres jusqu’à ce que la Cour suprême renverse sa position sur la question en février 2015. La haute cour a alors donné au gouvernement conservateur de l’époque un an pour annoncer une loi, et a accordé une prolongation de quatre mois, l’automne dernier, au nouveau gouvernement libéral.
Le projet de loi C-14 exempterait les médecins et les infirmières praticiennes des dispositions du Code criminel interdisant le suicide assisté, dans des conditions strictes. Pour se prévaloir d’une soin, ceux qui cherchent la mort devraient avoir 18 ans ou plus, être aptes mentalement, être atteints d’une maladie ou d’handicap grave et incurable, et être dans un état avancé et irréversible de déclin. Leur demande doit être faite de façon volontaire et libre de toute pression, et ils doivent donner un consentement éclairé.
L’inclusion de termes « handicap » et « déclin irréversible » couvrirait probablement des cas comme celui de Jean Brault, cet homme du Québec qui s’est laissé mourir de faim durant deux mois récemment pour se « qualifier » en vertu de la loi provinciale de soins de fin de vie qui exige que le patient ait une maladie incurable. Durant deux ans, Brault a enduré de terribles douleurs en raison d’une blessure au cerveau qui l’a laissé paralysé et qui l’a progressivement affaiblie. Mais parce que son état ne menait pas nécessairement à la mort, il ne pouvait pas se prévaloir de l’aide d’un médecin pour mettre fin à sa vie – il a donc dû se rendre littéralement malade en ne mangeant plus.
En vertu de la nouvelle loi, Brault aurait probablement été qualifié pour la mort assistée sans passer par ces derniers mois d’agonie. Il aurait pu demander de l’aide en vertu de la disposition qui invoque un état de déclin qui inflige « des souffrances physiques ou psychologiques qui … sont intolérables et qui ne peuvent être atténuées d’une manière [jugée] acceptable », où le patient est confronté à « la mort naturelle … devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de la situation, sans nécessiter un pronostic quant à la durée de vie qui lui reste ».
La mention de la souffrance psychologique est importante : elle implique que la douleur physique n’est pas nécessaire pour se qualifier pour le suicide assisté. Cela fait écho à l’une des recommandations de la commission parlementaire mixte sur le sujet, qui a recommandé que le droit soit étendu à ceux qui souffrent de maladie mentale. Cependant, en ajoutant l’exigence que la mort naturelle doit être « prévisible », sinon imminente, le gouvernement a exclu ces personnes – une position qui est conforme à celle de la majorité des Canadiens.
Mais cela ne signifie pas que ce soit définitivement hors de discussion. Alors que C-14 évite les recommandations les plus controversées du comité, impliquant des enfants et des personnes souffrant de maladie mentale ou de démence, le projet de loi stipule que le gouvernement « s’est engagé à élaborer des mesures non législatives visant à soutenir l’amélioration d’une gamme complète d’options de soins de fin de vie, à respecter les convictions personnelles des fournisseurs de soins de santé et à explorer d’autres situations … où une personne peut demander l’aide médicale à mourir, à savoir les cas de demandes faites par les mineurs matures, de demandes anticipées et de demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. »
Ces éléments seront examinés par des organismes indépendants et pourraient être modifiés par règlement à un stade ultérieur. La loi prévoit en outre un examen parlementaire, cinq ans après la date de sa mise en application. Cela garantit que la conversation entourant la mort assistée ne se terminera pas ici – ni ne dépendra des contestations judiciaires pour son évolution.
Des garanties additionnelles sont incluses dans les cas où un patient est incapable de signer un formulaire de consentement. Cette personne serait autorisée à mandater un tiers pour le faire – mais pas quelqu’un qui en bénéficierait ou quelqu’un qui exploite un établissement de soins de santé où cette personne reçoit un traitement, ou qui lui fournit des services de santé ou de soins personnels. Cette disposition vise à prévenir les abus par des proches peu scrupuleux ou d’autres personnes qui peuvent avoir la confiance du patient.
Le projet de loi est également valable seulement pour les Canadiens, excluant ainsi la sombre perspective d’un « tourisme du suicide » – de non-Canadiens qui visiteraient le Canada pour mettre fin à leurs jours. D’avoir des milliers d’Américains en phase terminale traverser la frontière pour venir mourir ici n’est pas quelque chose que le gouvernement veut sur sa conscience, ni son porte-monnaie – car la mort assistée sera sans doute un service couvert par l’assurance-maladie et, donc, financé par le contribuable.
Il ne fait aucun doute que le gouvernement devait agir, à la fois à la lumière du jugement de la Cour suprême et de la décision prise par la législature du Québec d’adopter une loi provinciale sur les soins de fin de vie. Le projet de loi C-14 vise précisément à fournir « une approche cohérente dans tout le pays en matière d’aide médicale à mourir, tout en reconnaissant la compétence des provinces en ce qui a trait à différentes questions liées à l’aide médicale à mourir, notamment la prestation de services de soins de santé, la réglementation des professions de la santé ».
Bref, ce projet de loi représente une approche prudente, mais complète, pour aller de l’avant sur une question morale et juridique difficile. Dans ce cas-ci, le gouvernement a eu raison.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.