Le projet de loi sur la citoyenneté des libéraux : de la bonne politique, mais est-ce juste?

« Un Canadien est un Canadien est un Canadien », a déclaré Justin Trudeau le 28 septembre dernier. « Et vous dévalué la citoyenneté de tous les Canadiens, ici, dans ce pays, quand vous cédez et la rendez conditionnelle pour tout le monde. »

C’était lors du débat sur la politique étrangère du Canada, organisé par Munk Debates, l’avant-dernier échange des leaders de la récente campagne électorale. Trudeau répondait à une question du premier ministre Stephen Harper: « Pourquoi ne pas révoquer la citoyenneté des personnes reconnues coupables d’infractions terroristes contre ce pays? » La question faisait référence au projet de loi C-24, avec lequel les conservateurs ont proposé de dépouiller de sa citoyenneté canadienne toute personne ayant été reconnue coupable d’infractions terroristes et possédant une double nationalité.

Ce projet de loi n’était pas simplement de la poudre aux yeux. Le jour du débat, le gouvernement fédéral avait déjà expédié des lettres révoquant la citoyenneté de cinq personnes détenant la double nationalité, incluant Zakaria Amara, l’un des membres du groupe surnommé « The Toronto 18 », purgeant une peine à perpétuité pour son rôle dans un attentat à la bombe.

On aurait pu penser que le public n’aurait aucune sympathie pour Amara ou ses semblables. Pourquoi les Canadiens devraient-ils payer à même leurs impôts pour héberger et nourrir des terroristes reconnus coupables, des gens qui ont tenté d’attaquer le pays avec leurs crimes? Ce ne sont pas des cambrioleurs ou même de simples meurtriers! Comme l’ancien ministre de l’Immigration, Chris Alexander, a dit : « le terrorisme, l’espionnage et la trahison sont des crimes graves, qui représentent des actes flagrant de déloyauté. Ils sont bien plus graves que la simple dissimulation de crimes mineurs commis antérieurement – une forme commune de fausses déclarations ».

Mais la crainte de perdre sa citoyenneté a frappé une corde sensible chez les immigrants et les Canadiens d’origine. Et la défense passionnée de M. Trudeau pour la citoyenneté a été considérée par plusieurs comme un des points forts de ce débat – le genre de coup de poing décisif que les experts et le public espèrent toujours lors de tels événements. Les libéraux ont porté ce coup de poing du débat jusqu’à nos portes, où – jumelé à leur défense du niqab et à l’opposition aux lignes officielles des conservateurs concernant les pratiques culturelles barbares – il a aidé à consolider la réputation des libéraux comme des «pro-nouveau Canadien», et l’image des conservateurs comme des anti-immigrants.

Cette semaine, le ministre de l’Immigration, John McCallum, a annoncé que le gouvernement renverserait le projet de loi C-24. « Tous les citoyens canadiens sont égaux devant la loi, qu’ils soient nés au Canada, aient été naturalisés au Canada ou possèdent une double citoyenneté », a-t-il déclaré dans un communiqué.

Le nouveau projet de loi des libéraux va également réduire la durée durant laquelle une personne doit être physiquement présente au Canada avant de se qualifier pour la citoyenneté. Il va également restaurer la citoyenneté canadienne à tous ceux qui en ont été dépouillés sous le projet de loi C-24. Par conséquent, Amara verra sa citoyenneté rétablie une fois le nouveau projet de loi des libéraux devenu loi.

Les opposants à la loi des conservateurs ont dénoncé la création de deux « classes » de citoyens – ceux qui sont nés au Canada et ceux qui ont la double nationalité. Mais ces individus sont déjà dans deux classes différentes – en fait, dans plus de deux, selon la façon dont ils ont obtenu leur citoyenneté. Certains l’ont obtenue en naissant ici, certains en raison du déménagement d’un parent au Canada, et d’autres par leur propre choix comme adultes. Et les conséquences d’une révocation pour chaque groupe peuvent être très, très différentes, les unes des autres.

Dans le cas d’Amara, il est arrivé au Canada à l’âge de 13 ans. Alors qu’il a prêté serment lorsqu’il n’était qu’un enfant, rien ne lui aurait empêché de renoncer à sa citoyenneté jordanienne comme adulte. La conserver, cependant, lui a donné certains avantages, y compris la liberté de vivre, travailler et voyager en Jordanie, où il est né. Ces avantages ne sont pas disponibles pour les autres Canadiens. Devraient-ils se plaindre d’être des citoyens de seconde classe, car ils ne jouissent pas des mêmes privilèges? Devrait-il se plaindre d’avoir reçu un traitement inégal, quand il conserve, lui-même, un statut inégal?

Dans le cas de citoyens nés au Canada et détenant une double citoyenneté, et qui détiennent cette double nationalité en vertu de leurs parents, la situation est quelque peu différente. Saad Gaya, également membre du groupe « The Toronto 18 », a été considéré comme ayant la nationalité pakistanaise rétroactivement, en raison de la nationalité pakistanaise de ses parents. Contrairement à Amara, Gaya n’a eu aucun lien avec le pays de ses parents, et a affirmé qu’il n’avait même pas la citoyenneté. De plus, comme enfant né ici, il n’a pas choisi le Canada. À cause de cela, il a affirmé que de l’envoyer au Pakistan constituerait « un traitement cruel et inhabituel ».

Une meilleure version de la loi en serait une qui permettrait à l’État de révoquer la citoyenneté canadienne d’une personne reconnue coupable de trahison, lorsque cette personne a obtenu la citoyenneté consciemment et délibérément en tant qu’adulte. Cela dissuaderait ceux qui cherchent à obtenir la citoyenneté pour aucune autre raison que d’attaquer leur pays d’adoption, ou qui ont utilisé leur capacité de se déplacer librement au Canada pour faciliter des actes de terrorisme.

Bien qu’il n’y ait aucun doute que le retrait de la citoyenneté ne devrait pas être soumis aux caprices de l’État, cette citoyenneté ne devrait être complètement tenue pour acquise. Pour que la citoyenneté ait une valeur, elle ne doit pas être seulement un passeport de convenance – ou pire, un écran pour dissimuler des crimes.

La version anglaise de ce texte se trouve sur ipolitics.

Leave a Reply