Le plan vert de Wynne relève-t-il de la destruction créatrice ou du suicide politique?

Si vous êtes de ceux qui pensent que le NPD fédéral est allé trop loin avec son adoption du manifeste anti-carbone Leap, vous ne croirez pas ce que les libéraux d’Ontario envisagent (apparemment) de faire.

Selon des documents secrets obtenus par le Globe and Mail, le gouvernement de la première ministre Kathleen Wynne est prêt à dépenser 7 milliards $ sur quatre ans pour réduire l’empreinte carbone de la province – et radicalement changer la façon dont les Ontariens se déplacent, construisent et chauffent leurs maisons.

Selon les journalistes Adrian Morrow et Greg Keenan, « l’Ontario va commencer à éliminer progressivement l’utilisation du gaz naturel pour le chauffage, à offrir des mesures incitatives pour la rénovation des bâtiments, et à remettre des rabais aux automobilistes qui achèteront des véhicules électriques ». « Il va aussi faire en sorte que l’essence vendue dans la province contienne moins de carbone, mettre de l’avant de nouvelles règles de construction visant à exiger que toutes les nouvelles maisons soient chauffées avec des systèmes électriques ou géothermiques d’ici 2030, et fixer un objectif de ventes de véhicules neufs pour s’assurer que 12 pour cent des voitures soient électriques en 2025 ».

Selon la page 57 du Plan d’action sur les changements climatiques, débattue par le cabinet mercredi dernier, une grande part de l’argent pour le Plan viendrait du système provincial de quotas pour limiter les émissions de CO2, qui devrait entrer en vigueur en 2017. Ce plan aura comme conséquence l’augmentation du prix de l’essence de 4,3 cents le litre – ce qui a été vertement dénoncé par des groupes comme la Fédération canadienne des contribuables.

« (Le coût), a déclaré la directrice ontarienne de la Fédération, Christine Van Geyn, sera arraché à chaque famille ontarienne qui fait le plein, mais qui ne peut se permettre le luxe d’une Tesla, ou qui achète des produits manufacturés. La grande ironie est que, une fois qu’elle nous aura pris cet argent avec sa taxe sur le carbone, Wynne va le dépenser dans un système qui rendra les autres pans de nos vies plus dispendieux, comme exiger que nous convertissions le chauffage de nos maison à l’électricité – ce qui est plus coûteux ».

La conversion des maisons au chauffage électrique, tel que proposé par le Plan sur les changements climatiques, ferait en effet augmenter les coûts de consommation en exigeant que les propriétaires abandonnent une source de carburant qui est 76 pour cent moins chère et qu’ils utilisent présentement : le gaz naturel.

Le gaz naturel est également utilisé pour produire de l’électricité; en l’éliminant en faveur d’autres formes plus coûteuses de production, les coûts de l’électricité vont aussi augmenter. La demande croissante en électricité entraînera également une expansion du réseau, une entreprise elle-même coûteuse. Et alors que le Plan propose de subventionner les prix de l’électricité, cet argent devra venir des contribuables – un cas de déshabiller Pierre pour habiller Paul.

L’adoption de systèmes de chauffage domestique alternatifs, comme la géothermie, devrait également augmenter les coûts de consommation. Et tandis que le Plan propose des rabais pour l’installation, on ne sait même pas si la géothermie est un bon choix pour la maison moyenne. Selon une analyse d’EcoHome, un cabinet de conseil qui milite en faveur du logement écologiquement durable, « un système géothermique pour une maison de taille moyenne (2000 pieds carré) coûterait environ 25 000 $ pour l’installation, en échange d’une économie mensuelle d’environ 50 pour cent sur votre facture de chauffage. Donc, le retour sur l’investissement pour la maison unifamiliale moyenne est tout simplement trop petit pour faire de cette option, une option financièrement compétitive pour tous, mais seulement pour les maisons les plus énormes et moins performantes ».

En réponse à la fuite, le ministre de l’Environnement de l’Ontario, Glen Murray, a nié que la province serait sur le point d’interdire le gaz naturel. « Le gaz naturel continuera à jouer un rôle essentiel dans le mix énergétique de l’Ontario dans le futur, et au-delà de cela, vous devrez attendre pour voir les détails », Murray a déclaré à La Presse canadienne. « Même après l’adoption du Plan d’action, je vais passer les deux prochaines années – comme vont le faire mes collègues – à travailler main dans la main avec les industries, les Ontariens et les groupes environnementaux pour sa mise en œuvre. »

Traduction : Le gouvernement libéral va faire en sorte que le Plan ne lui coûte pas les prochaines élections, prévues en 2018. Mais, malgré les paroles de Murray, le document est un cadeau pour l’opposition. La simple idée que les libéraux refuseraient aux Ontariens le droit de choisir quelque chose d’aussi fondamental que le combustible de chauffage – tout en les obligeant à acheter de l’électricité plus chère – serait suffisante pour amener les électeurs vers le Parti conservateur et le NPD.

Les deux principaux partis d’opposition font face à des défis très différents en réponse au Plan. Alors que le leader du PC, Patrick Brown, est probablement plus en mesure de capitaliser sur l’augmentation des impôts que le Plan implique, lui aussi a promis d’être un « conservateur plus vert ». Les conservateurs vont voter contre la proposition de Wynne d’un système de quotas pour limiter les émissions de CO2 pour plutôt faire la promotion d’une taxe sur le carbone fiscalement neutre, telle que celle mise en œuvre en Colombie-Britannique.

Au-delà de cela, ce n’est pas du tout clair quel genre de politiques vertes les conservateurs pourraient adopter – mais il existe de nombreuses stratégies environnementales inexplorées et axées sur le marché qu’ils pourraient mettre de l’avant. Brown devra proposer et s’opposer, et être créatif dans ses politiques environnementales sans refiler les coûts aux consommateurs.

Le NPD a beau avoir une constitution verte plus forte, on peut facilement l’imaginer s’opposer à une hausse des coûts énergétiques qui heurterait les Ontariens à faible revenu. Grâce à une tactique des plus intelligentes, la chef du NPD, Andrea Horwath, semble jouer sur les deux fronts (pour le moment) en attaquant le Plan pour son manque de transparence. Elle a dit au National Post qu’« il est très inquiétant de voir les libéraux, encore une fois, faire des plans en catimini … Quand il s’agit de quelque chose de cette ampleur … je pense vraiment qu’il est important d’impliquer le public et l’opposition dans le processus. »

Le diable est dans les détails, bien sûr, mais une chose doit être claire : la politique énergétique jouera un rôle crucial dans la politique de l’Ontario au cours des prochaines années, et lors de la prochaine campagne électorale. Le Plan sur les changements climatiques ne fait qu’aggraver les autres questions en jeu : la hausse des tarifs d’électricité, le processus d’approbation du pipeline Énergie Est, et l’enquête de la Police provinciale sur l’annulation de deux contrats de centrales au gaz et, plus récemment, de parc éolien.

Le plan de Wynne aura beau réduire les émissions de carbone, il est assuré de faire monter la pression à Queen’s Park.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

Leave a Reply