Le libre-échange avec la Chine est encore une mauvaise idée

Le Canada devrait-il envisager un accord de libre-échange avec la Chine? Alors que le premier ministre Justin Trudeau envisage une mission commerciale au pays le mois prochain, la réponse devrait être un « non » retentissant – non pas parce qu’un tel accord nuirait à notre économie ou à nos relations commerciales avec les États-Unis, mais plutôt parce qu’il menace quelque chose d’encore plus précieux: notre démocratie.

La Chine est une dictature autoritaire. Son bilan en matière de droits de la personne est épouvantable. Des milliers de personnes y sont exécutées chaque année pour des crimes contre l’État. Des personnes qui se heurtent aux autorités disparaissent régulièrement.

La Chine n’a pas de liberté de presse. Elle se classe au premier rang des pires pays au monde en matière de la liberté sur l’internet, censurant régulièrement ses citoyens et surveillant leurs communications. Beijing travaille même sur un système de reconnaissance faciale capable de suivre chacun de ses 1,3 milliard de citoyens, via un réseau de caméras qui pourront identifier leurs visages dans les 3 secondes, avec un niveau d’exactitude de 88% ou plus.

Le plus grand problème avec la Chine, cependant, est que ses attitudes autoritaires ne s’arrêtent pas à ses frontières. Le pays est reconnu pour faire pression sur les membres de la diaspora chinoise à l’étranger pour qu’ils fassent la promotion de son agenda à travers un soi-disant effort de « front uni ». Le Département du front uni est une branche du Parti communiste chinois qui milite en faveur d’un « soft power » mondial, l’une des priorités du gouvernement du président Xi Jinping. Le Front uni procède en faisant rayonner l’image de la Chine à l’étranger – en finançant des projets de développement, en dotant de fonds des universités, voire en aidant parfois à renverser un gouvernement (le Zimbabwe, par exemple).

Le leader de la Chine ne cache même plus ses visées expansionnistes. En octobre, M. Xi a utilisé le 19e Congrès national du Parti communiste chinois pour modifier la constitution du parti afin de créer un « guide d’action pour le Parti dans son ensemble et pour tout le peuple chinois afin de lutter pour le grand rajeunissement de la race chinoise ». L’ethnicité, et non la nationalité, est considérée comme l’élément unificateur : le premier ministre Li Keqiang a déclaré au début de l’année que « la race chinoise est une grande famille et que les sentiments d’amour pour la patrie, la passion pour la patrie, sont imprégnés dans le sang de chaque personne ayant des ancêtres chinois ».

L’auteur Clive Hamilton, professeur à l’Université Charles Sturt en Australie, a récemment rendu compte des efforts chinois pour exploiter la diaspora en Australie en finançant des systèmes éducatifs et en poussant les médias de langue chinoise à louanger Pékin. Le livre de Hamilton a été « enrichi » par son éditeur parce qu’il craignait « des menaces potentielles pour le livre ainsi que l’entreprise découlant d’une action possible de la part de Pékin ». La maison d’édition, Allen & Unwin, a cité « les agents d’influence de Pékin » et a déclaré que la publication de ce livre augmenterait « le très haut risque d’une action diffamatoire vexatoire contre Allen & Unwin, et possiblement contre son auteur, également ».

Même ici au Canada, le régime cible les individus « de race » chinoise. Denzil Minnan-Wong, conseiller municipal de la région de Toronto et fils d’un père immigrant chinois et né au Canada, a reconnu au Globe and Mail qu’il avait été exposé à la pression chinoise concernant un voyage qu’il avait planifié à Taiwan. « J’ai déjà voyagé à Taiwan. Et le gouvernement chinois m’a fait part de son inquiétude sur le fait qu’il ne soit pas content de cela », a déclaré M. Minnan-Wong (il a quand même fait le voyage).

Alors pourquoi, après avoir dénoncé les violations des droits humains aux Philippines, Trudeau ignorerait-il allègrement la situation en Chine et envisagerait-il un accord de libre-échange avec Pékin? Dans le passé, le Canada a dénoncé des sociétés fondées sur la race, comme l’Afrique du Sud des années 1980, dont le Canada a aidé à détruire le système d’apartheid en encourageant les sanctions et les boycotts de la part des principaux partenaires commerciaux. Le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney n’a pas cherché d’occasions de commerce avec ce régime oppressif; il a plutôt cherché à libérer les gens là-bas.

Bien sûr, notre premier ministre actuel est celui qui, lorsqu’on lui a demandé en 2013 quelle administration d’un pays il admirait le plus, a parlé de son « niveau d’admiration … pour la Chine parce que leur dictature leur permet de relancer leur économie du jour au lendemain et de dire: “Nous devons passer au vert … nous devons commencer à investir dans l’énergie solaire“. » Les remarques de Trudeau semblaient bien naïves à ce moment-là. Dans le contexte actuel, elles font carrément peur.

Bien sûr, le libre-échange avec la Chine aiderait les entreprises canadiennes à exploiter un marché de 1,3 milliard de personnes. Mais ces gens sont déjà exploités, par leur propre gouvernement. Un accord de libre-échange avec la Chine ne devrait pas être une avenue tant et aussi longtemps que le gouvernement chinois n’aura pas changé son discours autoritaire et expansionniste.

Cela pourrait ne jamais arriver. Mais alors, il ne devrait pas non plus y avoir un accord qui pourrait compromettre notre souveraineté.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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