Mais les conservateurs ne peuvent pas le faire disparaître en refusant de parler
Kellie Leitch a eu toute une semaine. D’un océan à l’autre, les médias se sont autoflagellés frénétiquement avec une question inscrite dans un sondage envoyé par la campagne à la direction de la députée du Parti conservateur : « Faut-il filtrer les immigrants potentiels sur la base des valeurs canadiennes? »
La question, et les remarques ultérieures de Leitch à ce propos, ont été qualifiées de dangereuses et de xénophobes. Leitch a été comparée à Donald Trump et décrite comme « la mort du Parti conservateur ». Pas le meilleur genre de presse que l’on puisse attirer.
Alors, pourquoi Leitch promet-elle que « les Canadiens peuvent s’attendre à l’entendre encore plus à ce sujet, pas moins, dans les prochains mois? »
« Je me présente aux membres du Parti conservateur et au public, et je veux qu’ils sachent qui je suis et ce en quoi je crois», a-t-elle déclaré sur les ondes du AM640, à Toronto récemment. « Et je leur dis que je crois que nous devrions discuter des valeurs canadiennes et que je crois en une identité canadienne unifiée ».
Leitch a poursuivi en définissant cette identité comme étant une personne qui chérit l’égalité des chances, le travail acharné et l’égalité des droits – rien de bien controversé. Mais le moment choisi pour déclencher un tel débat – alors qu’une dure bataille sur l’immigration se déroule au sud de la frontière – soulève bien des sourcils et hérisse à la fois les conservateurs à l’intérieur et à l’extérieur du Parti.
L’effondrement des conservateurs lors de l’élection de 2015 était dû en partie à leur politique sur l’interdiction du niqab lors des cérémonies de citoyenneté et leur souhait d’introduire un service de signalement des « pratiques barbares » – une proposition que Leitch a été accusée de présenter. Beaucoup de conservateurs craignent que de parler de sélectionner les immigrants sur la base des « valeurs » sera considéré comme un message d’intolérance ou de racisme.
Du point de vue de Leitch, par contre, il n’est pas difficile de voir pourquoi elle reviendrait sur un sujet qui lui a donné tant de fil à retordre, à elle et son parti, l’année dernière. Si elle veut avoir la chance de diriger le Parti, Leitch a besoin de rompre avec un champ d’aspirants qui devient de plus en plus encombré. Il y a maintenant cinq candidats inscrits, trois déclarés qui ne se sont pas encore inscrits, et encore neuf candidats potentiels dans les coulisses – y compris des poids lourds comme Peter MacKay, Lisa Raitt et Kevin O’Leary.
De façon tactique, le chemin le plus sûr pour briser cette impasse est de mettre de l’avant une question qui va vous placer carrément d’un côté, et tout le monde de l’autre. Leitch a certainement réussi à faire cela!
Il y a aussi la question de la reconnaissance du nom. En bien ou en mal, tout le monde parle maintenant de Leitch. Les électeurs qui n’ont jamais entendu parler d’elle entendent maintenant ses vues être discutées dans les émissions d’affaires publiques et les bulletins de nouvelles. Si elle veut être un concurrent sérieux pour la couronne conservatrice, elle a besoin d’être connue au-delà des rangs conservateurs. Mission accomplie.
Sur la question des « valeurs », la position déclarée de Leitch – qu’elle est en faveur d’un débat honnête – plaira aux conservateurs qui apprécient la liberté d’expression, mais pas nécessairement le « coup de sifflet » qu’elle est accusée d’avoir donné. Mais ne vous méprenez pas : elle va attirer le vote anti-immigrant, ainsi que toutes les personnes qui pensent que les valeurs canadiennes sont compromises avec les nouveaux arrivants qui ne souscrivent pas aux droits fondamentaux de la Charte.
Et encore une fois, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, cela pourrait aider Leitch sur un champ de bataille crucial : le Québec. Dans cette province, le débat sur les valeurs de l’immigration et du Québec et où elles se croisent fait rage depuis des années. Il a été relancé le 30 août dernier lorsque la Coalition Avenir Québec a appelé à une réduction de l’immigration et à un « test des valeurs » pour les aspirants immigrants. Le public cible du parti était assez évident. (Indice : si vous êtes OK avec le burkini, vous n’en faites pas partie.)
Comme Leitch, le leader de la CAQ, François Legault, a relié sa position à l’égalité des droits : « Ce que je veux faire est de défendre les valeurs du Québec … J’adore le Québec et je veux que le Québec demeure un Québec français, un Québec qui a des valeurs dont nous pouvons être fiers, et parmi elles se trouve l’égalité des hommes et des femmes ».
Jusqu’à présent, seulement un Québécois est dans la course au leadership du Parti conservateur : le député Maxime Bernier. Sa récente conférence de presse sur la production de sirop d’érable s’est transformée en véritable quiz sur la proposition de Leitch. Bernier a dit qu’il est en désaccord avec l’idée de dépistage – en soulignant que les gens pourraient facilement mentir – et a souligné que « le problème de l’Islam radical ne concerne pas seulement les immigrés, mais les personnes nées au pays aussi ».
Bernier a raison, bien sûr : évaluer les immigrants sur leur attachement aux valeurs canadiennes ne résoudra pas les problèmes de terrorisme, de violence envers les genres ou d’intolérance. Les gens peuvent très bien mentir, comme l’a souligné Bernier. Et tandis que la loi canadienne confirme certaines valeurs fondamentales, telle que l’égalité des sexes, les croyances individuelles sur ces valeurs varient – et la loi confirme notre droit d’avoir des croyances différentes.
Ces croyances peuvent également prendre forme sur le sol canadien. Il y a des citoyens nés au Canada qui pensent que les femmes sont des êtres humains de second rang. Il y a des chrétiens qui croient que l’homosexualité est un péché mortel – que les gais et les lesbiennes sont condamnés à passer l’éternité dans « un lac de feu », pour citer un ancien politicien albertain. Et où expulserez-vous un enfant radicalisé qui a grandi, disons, à Calgary?
Tout cela ne veut pas dire que le Parti conservateur du Canada devrait étouffer le débat. Cela signifierait tomber directement dans la tactique que Leitch et son équipe de campagne, dirigée par l’ancien directeur de campagne de Rob Ford, Nick Kouvalis, tentent de déployer. Pour que les meilleures idées gagnent, nous avons besoin d’arguments – pas d’une chape de silence.
Bien sûr, le gouvernement fédéral devrait défendre les valeurs comme le « travail acharné » et l’« égalité ». La question est : comment? Les gens de partout dans le monde veulent venir vivre au Canada où le genre ne dicte pas le destin et où vous ne pouvez pas être viré – ou tué – parce que vous êtes gai.
Que cette discussion serve les intérêts d’un ou de plusieurs candidats à la direction n’est pas vraiment le point. Et de l’étouffer sur cette base serait simplement une autre forme d’intolérance.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.