Le Canada soutient les droits de l’homme… sauf en Arabie Saoudite

Si vous pensez que la nouvelle mission contre l’Etat islamique (ISIL) du gouvernement canadien est incohérente, vous n’aimerez pas sa politique sur la vente de matériel militaire à l’Arabie Saoudite. Au cours de la campagne électorale, les libéraux ont promis que, si élus, ils signeraient le Traité sur le Commerce des Armes (TCA), un accord international atteint en 2014, qui limite les ventes d’armes aux pays qui violent les droits de l’homme. Selon l’Article 7 du traité, le Canada doit « évaluer le potentiel que les armes de congrès … pourraient être utilisés pour commettre une violation grave du droit international des droits de l’homme, » et si un « risque majeur de l’une des conséquences négatives, » se présente, Ottawa « ne doit pas autoriser l’exportation. »

Le traité est entré en vigueur la même année que le gouvernement conservateur précédent a conclu un accord pour vendre des véhicules blindés légers au Royaume d’Arabie Saoudite, qui a l’un des pires dossiers des droits de l’homme dans le monde. Les femmes ne peuvent pas conduire ou sortir seule en public, les « apostats » sont régulièrement exécutés, et la liberté d’expression est limitée, voire inexistante. Affaire au point : le blogueur Raif Badawi, condamné en 2014 à 1.000 coups de fouet et d’emprisonnement de 10 ans pour avoir insulté l’islam et critiqué le régime. Sans parler de l’offensive menée par l’Arabie Saoudite au Yémen, récemment condamnée par un comité de suivi des Nations Unies en raison de crimes contre l’humanité.

On pourrait penser que les libéraux, qui retirent nos avions de chasse CF-18, et qui veulent que le Canada se livre à la formation et à l’aide humanitaire, refuseraient le commerce avec les pays qui commettent de telles atrocités. Vous auriez tort. Le Ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, a défendu l’accord pour vendre 15 milliards $ de transports blindés légers au gouvernement saoudien. Dans une interview au début de janvier avec Rosemary Barton de Power and Politics à la CBC, Dion a déclaré que, « A l’avenir, nous allons examiner le processus par lequel ces contrats sont évalués. Mais ce qui est fait est fait et le contrat n’est pas quelque chose que nous allons revisiter ».

Mais qu’en est-il du TCA ? Typiquement, une fois un gouvernement dit qu’il a l’intention de se conformer à un traité, il le fait, avant même qu’il signe. Pas cette fois-ci. Selon le porte-parole aux affaires mondiales François Lasalle, « Afin d’adhérer au traité … le Canada doit veiller à ce qu’il met en place au niveau national tous les lois ou règlements qui seraient nécessaires pour assurer que nous pouvons répondre pleinement aux obligations du traité. Les fonctionnaires procèdent actuellement à l’examen des lois et des politiques internes afin d’identifier les changements qui pourraient être nécessaires pour le Canada d’adhérer à la TCA ».

Est-ce à dire que le gouvernement fédéral ne respectera pas d’autres accords jusqu’à ce qu’il met la plume ? Qu’en est-il de l’Accord de Paris sur les changements climatiques, conclu le 12 décembre 2015 ? Est-ce que le Premier Ministre Justin Trudeau refusera d’agir pour atteindre ses objectifs parce qu’il ne l’a pas encore signé? Cela devra être fait à New York, quelque part entre le 22 Avril 2016 et 21 Avril 2017. Jusque-là, Trudeau va-t-il utiliser l’excuse « Oups, ce n’est pas formalisé » pour donner un laisser-passer aux émetteurs de carbone ?

Ceci a autant de chances de se produire que la libération de Raif Badawi. Pendant ce temps, près de six Canadiens sur 10 interrogés par la firme de recherche Nanos s’opposent à la vente d’armes, en disant qu’il est plus important d’assurer que les exportations d’armes se dirigent seulement aux pays « qui respectent les droits de l’homme » que de soutenir les 3.000 emplois liés à la vente.

Alors, pourquoi Ottawa tient à ses canons ? Serait-ce parce que les Saoudiens viennent d’annoncer qu’ils enverront des troupes pour soutenir la coalition qui combatte ISIL – avec la bénédiction des Etats-Unis? Selon le ministre des Affaires étrangères saoudien Adel Al-Jubeir, « Ce soutien est venu de la Maison Blanche, il est venu du Département d’Etat, il était naturel pour la Secrétaire Kerry pour soutenir une telle décision. »

Quelle coïncidence que les États-Unis est donc favorable à la nouvelle politique du Canada dans la région. Tant que nous envoyons les Saoudiens les transports, retirer nos avions est peut-être moins controversé. Mais si nous annulerions cette vente, eh bien, la Maison Blanche ne serait pas très contente de notre décision. Hmm – peut-être la politique étrangère du Premier ministre Justin Trudeau n’est pas incohérente, après tout.

 

La version anglaise de ce texte se trouve au National Post.

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