La Force s’est réveillée – et elle pourrait très bien être avec le Canada! La semaine dernière, le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a publié un document qui a de nouveau soulevé la question de la participation du Canada dans le programme de défense antimissiles balistiques américain.
Le concept de bouclier antimissile « Star Wars » a d’abord été présenté il y a trois décennies par le président américain Ronald Reagan. Il imaginait des lasers montés sur des satellites dans l’espace, abattant les missiles ennemis en vol avant qu’ils ne puissent atteindre leurs cibles. Les critiques ont ridiculisé le projet le qualifiant de mauvais scénario de science-fiction, mais il n’a jamais complètement disparu : les administrations républicaines et démocrates qui se sont succédées depuis ont continué de financer la recherche dans ce domaine, mais à un niveau de défense régionale, et en impliquant des avions plutôt que des satellites.
Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, le président George W. Bush a vanté les vertus d’un système de défense antimissiles balistiques comme un moyen de se protéger contre des groupes terroristes, comme al-Qaïda, et les États voyous, comme l’Iran. Son initiative proposait un bouclier de défense antimissile couvrant non seulement l’Amérique du Nord, mais l’Europe aussi. En 2005, après un débat public plutôt houleux, le Canada a décidé de ne pas joindre les États-Unis dans le développement du programme. Les opposants du projet ont cité les préoccupations de souveraineté, les coûts et les défis techniques de taille auxquels il était confronté. À l’époque, le gouvernement minoritaire de Paul Martin était également confronté à une élection imminente, et ne voulait pas être vu comme appuyant l’administration impopulaire de Bush – en particulier après que le premier ministre Jean Chrétien ait maintenu le Canada hors de la guerre des États-Unis en Irak.
Maintenant, la défense antimissile balistique est de retour sur les radars à Ottawa. « Compte tenu de l’augmentation du nombre de pays ayant accès à la technologie des missiles balistiques, et leur potentiel d’atteindre l’Amérique du Nord, cette menace devrait perdurer et se développer de façon plus sophistiquée dans les décennies à venir », mentionne le rapport que vient de publier le ministre Sajjan. Il note que de nombreux alliés du Canada – y compris les États-Unis, les membres européens de l’OTAN, l’Australie et la Corée du Sud – travaillent ensemble sur le bouclier antimissile tandis que le Canada demeure en retrait. « Cette décision devrait-elle être réexaminée compte tenu de l’évolution des technologies et des menaces? … Un changement de politique dans ce domaine renforcerait-il la sécurité nationale du Canada en offrant une voie pour une plus grande coopération continentale? Ou y a-t-il des zones plus efficaces pour investir afin de mieux protéger le continent nord-américain? »
Le document est destiné à mettre de l’avant un cadre de consultation sur nos priorités militaires, donc rien n’est coulé dans le béton. Mais c’est tout de même un peu étrange pour un gouvernement qui vient de céder 3,8 milliards $ en dépenses militaires dans le budget du mois dernier d’envisager un nouveau et dispendieux partenariat avec les États-Unis. Il est aussi curieux qu’un gouvernement qui semble vouloir ramener le Canada à un programme de maintien de la paix du temps de Pearson puisse envisager d’entreprendre de plus agressifs et plus à risque engagements militaires.
Bien sûr, les libéraux n’ont pas été particulièrement cohérents en matière de politique de défense. Au cours de l’élection de l’année dernière, ils ont volé le vote « pacifiste » du NPD en promettant de réduire la participation du Canada dans la guerre contre EIIL en retirant les CF-18 de l’action. Alors ils ont respecté leur engagement après l’élection, ils ont accru simultanément d’un tiers le contingent de formation du Canada en Syrie et en Irak. Cela, paradoxalement, a eu pour effet d’accroître la participation potentielle du Canada dans des situations de combat, à travers des situations de réponses aux tirs et de cas où des formateurs doivent défendre des soldats qu’ils forment. Les deux types d’incidents avaient déjà eu lieu – et avaient été beaucoup publicisés – avant que le gouvernement fédéral n’annonce l’élargissement du contingent de formation.
Nonobstant l’intérêt politique cependant, l’évolution des menaces doit être contrée. Avec les récentes (et, jusqu’à présent, infructueuses) tentatives faites par la Corée du Nord pour lancer un missile balistique à moyenne portée, et les récents tests de missiles balistiques par l’Iran (après même avoir promis de cesser), le Canada ne peut pas mettre de côté la question de la défense antimissile. Bien qu’il ne soit pas clair à quel point les missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) posent une menace pour le Canada, la possibilité qu’un État voyou ou qu’une organisation terroriste pourraient en utiliser contre des cibles américaines est très réelle. Selon le Wall Street Journal, Los Angeles, Denver et Chicago sont quelques-unes des villes qui seraient dans la portée d’un missile nord-coréen – et toute attaque contre les États-Unis aurait d’importantes répercussions pour le Canada, sur notre environnement, son économie et la santé publique.
Il y a deux ans, les députés conservateurs et libéraux du Comité sénatorial de la défense ont unanimement demandé au Canada de se joindre aux États-Unis dans la construction d’une défense antimissile balistique. « Je crois qu’il est plus que temps, et je pense qu’un débat devrait en résulter », a déclaré le président du comité, le sénateur conservateur Daniel Lang, au Ottawa Citizen. « Les temps ont changé et il n’y a pas beaucoup de raisons de ne pas y adhérer. »
Indépendamment de ce que les libéraux décident en fin de compte, ils sont sages au moins d’inclure la défense antimissile dans le menu des options à prendre en considération par leur Groupe d’étude sur la politique de défense récemment nommé. Ce qu’ils ne devraient pas faire est de permettre à un tel programme d’aller de l’avant au dépend d’équipement nécessaire pour les troupes canadiennes. Alors que le panel se lance dans son examen de la défense – le premier en 22 ans –, il doit tenir compte de tous les besoins de l’armée canadienne, afin d’éviter une autre « décennie de noirceur » pour les Forces canadiennes.
Et ils feraient mieux de se préparer à une facture salée – car elle est susceptible d’être beaucoup plus élevée que ce que les libéraux sont prêts à payer.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.