Et cesser de traiter l’immigration comme un outil pour stimuler les économies régionales en perte de vitesse
Les droits de mobilité sont l’une des libertés les plus importantes dont jouissent les Canadiens. La section 6 (2) de notre Charte des droits et libertés confère « le droit … de se déplacer et d’établir leur résidence dans toute province et … à gagner leur vie dans toute province ».
Les droits de mobilité sont essentiels pour nous et nos familles; fondamentalement, ils relèvent du droit à l’auto-détermination. Vous ne pouvez poursuivre vos rêves si vous ne pouvez même pas franchir le seuil de votre propre demeure.
Nous tenons souvent ces droits pour acquis, en oubliant que, dans de nombreux pays, les gouvernements exercent un grand contrôle sur la mobilité et le lieu de résidence des personnes. La Chine, par exemple, exige que tous les ménages soient enregistrés auprès de l’État. Cet enregistrement, appelé un hukou, n’est pas accordé automatiquement lorsque les gens se déplacent d’une ville à l’autre. Afin de contrôler la croissance des villes, un hukou est souvent refusé aux travailleurs migrants qui souhaitent se déplacer des zones rurales vers les zones urbaines – ce qui leur rend impossible l’accès à des services de base, tels que les soins de santé et l’éducation.
L’an dernier, en réponse à la pression publique, le gouvernement chinois a mis de l’avant les premières mesures en vue de libéraliser le système du hukou et l’octroi de droits à la mobilité des travailleurs migrants. Ironiquement, le ministre de l’Immigration du Canada, John McCallum, annonçait cette semaine qu’il songeait à la possibilité d’adopter sa propre version du hukou au Canada, afin d’empêcher de nouveaux immigrants chinois de se déplacer dans les centres urbains du pays.
« Nous aimerions disperser les immigrants de façon relativement uniforme à travers le pays », a déclaré M. McCallum au Globe and Mail. « La dernière chose que nous voulons est que chaque immigrant s’établisse soit à Toronto ou à Vancouver ».
McCallum vient de rentrer d’un voyage en Chine; peut-être a-t-il été impressionné par les méthodes de contrôle de la croissance urbaine de ce pays? Ou qu’il partage « le niveau d’admiration » du premier ministre Justin Trudeau pour la Chine? Ces remarques, faites en 2013, ont généré une considérable controverse parce qu’en matière de gouvernance, la Chine devrait prendre des leçons du Canada, et non l’inverse.
McCallum a admis que l’idée de restreindre la mobilité va « à l’encontre la Constitution du Canada. S’ils sont résidents permanents, nous ne pouvons pas leur demander de demeurer à un endroit en particulier ». Mais ses remarques ne vont pas seulement à l’encontre de l’une de nos libertés fondamentales, elles font fi du but avoué de la réforme de l’immigration des libéraux : servir les besoins du marché du travail canadien.
Les libéraux veulent « augmenter considérablement » l’immigration de son niveau actuel de 271 000 personnes par an, pour aider à compenser pour le vieillissement de notre population et aider les employeurs à combler des postes vides. Vraisemblablement, McCallum aimerait disperser ces immigrants dans des régions telles que les provinces de l’Atlantique, qui souffrent d’un niveau élevé de chômage et d’une stagnation économique persistante.
Cette notion ignore un fait évident : les Canadiens des provinces de l’Atlantique ont eux-mêmes exercé leurs droits à la mobilité pendant des années, voyageant d’ouest au sud, car ils ne peuvent pas trouver de travail à la maison. L’idée de pomper des milliers d’immigrants dans cette région ne stimulera pas magiquement les économies locales – surtout si les immigrants ne peuvent même pas trouver d’emploi.
McCallum a cité l’exemple des réfugiés syriens qui ont été réinstallés au Canada, certains dans les collectivités rurales et ex-urbaines. Mais vous ne pouvez pas comparer un afflux de milliers de personnes fuyant une zone de guerre – beaucoup d’entre eux sans le sou et incapables de parler les deux langues officielles – avec une augmentation du nombre de nouveaux arrivants qualifiés, par des voies régulières, à travers le système d’immigration canadien.
Les réfugiés syriens se sont dispersés à travers le pays, car la plupart d’entre eux étaient parrainés par le gouvernement. Ottawa n’a pas priorisé le parrainage privé, et il n’y avait pas d’emplois en attente pour ces réfugiés – contrairement aux nombreux immigrants qui viennent se joindre aux communautés où ils ont déjà des perspectives d’emploi et des liens personnels. Il sera intéressant de voir où ces Syriens seront dans cinq ans, ou où aboutiront leurs enfants : je serais prête à parier qu’ils vont se rendre dans des endroits où il y a du travail, non pas rester là où le gouvernement les aura parachutés.
Ottawa devrait tenir compte d’un rapport 2014 de Statistique Canada, qui a constaté que dans les périodes de hausse de l’immigration, les salaires de ces immigrants a en fait diminué. « La très forte augmentation des niveaux d’immigration entre la cohorte de 1980 à 1984 et celle de 2005 à 2009 aurait donné lieu à une baisse d’environ 9 % des gains initiaux moyens entre ces deux cohortes d’arrivée d’hommes immigrants, et à une baisse d’environ 3 % pour les femmes ». Le document note également que les conditions économiques ont eu peu d’impact sur les salaires – « L’augmentation de la taille de la cohorte a tendance à exercer une pression à la baisse sur les gains initiaux des immigrants de la même façon pendant les périodes de récession et d’expansion économique. » –, même s’il note que des salaires plus bas peuvent être compensés par la croissance économique globale.
Assez avec l’ingénierie sociale! La politique d’immigration du Canada devrait viser à laisser entrer les meilleurs et les plus brillants, tout en respectant les limites de nos services sociaux à intégrer et à soutenir les nouveaux arrivants, et de notre marché du travail à fournir des opportunités d’emplois. Et elle devrait laisser ces nouveaux arrivants, comme tous les Canadiens, poursuivre leurs rêves – là où ils les mènent.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.