Pour quelqu’un qui déplore apparemment les « voies ensoleillées » de Justin Trudeau, Andrew Scheer sourit énormément. Le nouveau leader conservateur rayonne de positivité, même lorsqu’il s’en prend à son ennemi libéral – un sentiment d’optimisme infatigable qui l’a poussé à la victoire lors de la clôture de la course au leadership du Parti conservateur, samedi soir.
Bref, difficile de ne pas aimer Scheer. Son comportement des plus humbles détonnait face à la confiance de son principal rival, Maxime Bernier, qui a donné ce qui sonnait comme un discours de victoire la veille du vote final, en supposant qu’il allait remporter la couronne le matin suivant.
Ce faux pas a peut-être été un élément décisif. Dans une course où seulement 1,9% des points ont séparé Bernier et Scheer, le député de la Saskatchewan a peut-être reçu l’appui de suffisamment d’électeurs indécis, durant le dernier jour, pour se hisser au sommet. Avec le soutien des producteurs laitiers québécois bien décidés à protéger leur système de gestion de l’offre et les conservateurs sociaux se cherchant un champion pro-vie, Scheer a triomphé au 13e tour, dans une « convention » qui étonnamment a été des plus excitantes et passionnantes, malgré le fait que la plupart des bulletins de vote avaient été envoyés par la poste dans les semaines précédant sa tenue.
Mais le côté jovial de Scheer ne sera pas suffisant face aux tâches qui l’attendent : maintenir le Parti conservateur uni et dégager un chemin vers la victoire lors des élections fédérales de 2019. Déjà, le nouveau leader fait face à un lot d’obligations, notamment envers l’aile conservatrice sociale du Parti. Quelques minutes après sa victoire, les groupes pro-vie se sont empressés de le féliciter pour sa victoire – et à faire en sorte que leurs attentes soient bien claires.
« Andrew est un leader avec lequel nous sommes ravis de travailler en raison de son bilan de votes, de ses politiques pro-vie et de son objectif d’unir le parti en acceptant que les conservateurs sociaux fassent parties de la conversation », a déclaré le co-fondateur de RightNow, Scott Hayward, dans un communiqué de presse.
Le groupe anti-avortement We Need a Law a envoyé un courriel citant une phrase que Scheer a déclarée lors de la campagne : « Je crois à 100 % que les députés ont le droit de présenter et de débattre de lois importantes à leurs yeux ».
« Nous sommes encouragés », a déclaré l’organisme, « par cette promesse d’un environnement plus amical et accueillant au Parlement pour que les membres introduisent une législation protégeant les droits des enfants à naître ».
Et c’est probablement tout ce que les groupes pro-vie obtiendront de la part de Scheer, qui – malgré ses points de vue sur le sujet – a insisté pour dire que le parti ne rouvrira pas le débat sur l’avortement et sa loi. Son premier objectif est d’unir les factions disparates du Parti, y compris les libertariens, les conservateurs fiscaux et les conservateurs sociaux, sans paraître favoriser un élément plus que l’autre.
« Chaque type de conservateur est le bienvenu dans ce parti, et ce parti appartient à vous tous », a-t-il déclaré à la foule après avoir remporté la course au leadership. « Nous savons tous à quoi ressemble un Parti conservateur divisé. Nous ne laisserons pas cela se reproduire. Nous gagnons quand nous sommes unis ».
Scheer semble adhérer à la stratégie définie auparavant par Stephen Harper – celle permettant aux membres de présenter des projets de loi sur des questions de conscience, y compris celle des droits des enfants à naître, tout en proposant des initiatives plus petites qui montrent un engagement envers leur cause. Ces dernières pourraient inclure le renversement de la décision de Trudeau de réintégrer le financement de l’avortement à l’étranger dans le cadre de l’initiative canadienne de santé maternelle, ou le rétablissement du Bureau des libertés religieuses visant à défendre les intérêts des croyances persécutées (principalement chrétiennes) à l’étranger.
Une autre possibilité réside sur les campus : Scheer a déclaré qu’il retirerait le financement aux universités qui bâillonnent la liberté d’expression, ce qui pourrait mettre des établissements tels que l’Université de l’Alberta – qui a effectivement fait fermer une exposition anti-avortement sur le campus – dans le collimateur d’Ottawa.
Mais Scheer doit aussi s’efforcer de ne pas être perçu comme un « Harper avec un sourire ». Le ressentiment face au précédent PM du Canada est encore profondément présent dans de nombreuses régions et les libéraux seront trop heureux de peindre Scheer comme étant son jumeau idéologique. Déjà, ils se sont attaqués au soutien de Scheer parmi les rangs des conservateurs sociaux. « Ne vous méprenez pas, voici quelqu’un qui a voté contre chaque avancement des droits civiques au cours des 25 dernières années », a déclaré Adam Vaughan, député libéral de Toronto.
Les publicités libérales en ligne sont déjà en train de présenter des clips des élections de 2015, incluant une qui représente Justin Trudeau soulignant que « le travail du premier ministre consiste à rassembler les Canadiens, et non pas les diviser ».
Pour contrer l’apposition d’une éventuelle étiquette « Harper 2.0 », Scheer pourrait se comparer à un autre politicien de la Saskatchewan qui a dirigé le Parti progressiste-conservateur : John Diefenbaker. Dief peut avoir eu sa part d’excentricités, mais il a donné aux Tories un vernis populiste qui leurs aura aidé à exécuter trois mandats du gouvernement, y compris l’obtention d’une grande majorité en 1958. Sa première campagne a été menée sur une plateforme mettant de l’avant de faibles taxes, une expansion du commerce au-delà des États-Unis, et une offre un revenu stable pour les agriculteurs :
« C’est un programme … pour un Canada uni, pour un Canada, pour le Canada d’abord, dans tous les aspects de notre vie politique et publique, pour le bien-être de l’homme et de la femme moyens. C’est mon approche face aux affaires publiques et ça l’a été tout au long de ma vie … Un Canada, uni d’un océan à l’autre, dans lequel il y aura plus de liberté pour l’individu, pour l’entreprise, et où il y aura un gouvernement qui, dans toutes ses actions, demeurera le serviteur et non le maître des gens. » –From Rogue Tory: The Life and Legend of John Diefenbaker, Denis Smith (1995)
Si Scheer pouvait s’accrocher aux bons côtés de Dief (promulguer la Déclaration canadienne des droits) et éviter ses mauvais (s’aliéner les électeurs québécois et urbains), il pourrait faire d’importantes avancés face à un gouvernement libéral qui ne respecte pas ses promesses sur un large éventail de dossiers, y compris celles de « modestes » déficits, de progrès pour les Premières nations et de réformes démocratiques. Au fur et à mesure que les voies ensoleillées des libéraux sont assombries par d’importants nuages, un Scheer-fenbaker du 21e siècle pourrait présenter un puissant antidote au Laurier-lite de Trudeau.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.