Glen Murray a coupé le cordon. Il pourrait bien ne pas être le seul.
« Il y a des moments dans la vie qui ne se présentent pas comme des choix, mais comme des impératifs. À l’âge de 20 ans, le sida ne faisait pas partie de mon vocabulaire, mais à l’âge de 30 ans, il avait fauché la vie de 43 de mes proches et amis… Pour quelqu’un qui a vécu une telle tragédie mondiale et qui est maintenant confronté à une plus grande crise encore, celle des changements climatiques, se retirer d’un tel combat n’est pas dans mon ADN. »
Sur ces mots, le ministre de l’Environnement et des Changements climatiques de l’Ontario, Glen Murray, a officiellement quitté Queen’s Park pour Calgary, démissionnant de son poste de cabinet pour un autre à l’Institut Pembina, un groupe de réflexion sur l’énergie propre.
L’annonce a surpris la classe politique de l’Ontario et a suscité beaucoup de spéculations à propos des rats qui quitteraient le navire… Malgré un petit sursaut dans les récents sondages, les libéraux continuent de traîner la patte derrière les conservateurs – à moins d’un an des élections provinciales. Si la tendance se maintient, les libéraux vont perdre leurs sièges même dans leur forteresse de Toronto – et la note d’approbation de la première ministre Kathleen Wynne demeure la pire dans le pays.
Sans surprise, Wynne a repoussé les prédictions de sa disparition prochaine de la scène politique. « Je ne vois pas [la démission de Murray] comme un vote de non-confiance… Je vois cela comme un individu devant prendre une décision sur sa vie et il s’agit d’un ami et je ne lui souhaite que du bien ».
Mais le scénario évoque d’étranges souvenirs de ministres quittant le cabinet conservateur fédéral à l’aube de la campagne électorale nationale de 2015, lorsque John Baird, Peter Mackay, James Moore, Shelley Glover, Diane Ablonczy et Christian Paradis ont pris une marche dans la neige… et ne sont jamais revenus.
Les libéraux pourraient-ils faire face à une telle tendance? Cela dépend, en partie, de l’endroit où ceux qui fuient le navire pensent qu’ils pourraient atterrir; Murray affirme que son nouveau poste est un « emploi de rêve », mais il est intéressant de voir qu’il quitte la province pour le prendre.
Pour beaucoup d’Ontariens, les emplois sont en train de devenir un rêve: dans un renversement remarquable de situation, l’économie québécoise est offre maintenant de meilleurs rendements que celle de l’Ontario et la province bénéficie d’un taux de chômage inférieur à celui de sa voisine. Ajoutez à cela les coûts élevés de l’habitation et de l’électricité, et la sortie de la province pour des pâturages plus verts pourrait constituer une option attrayante pour plusieurs.
Bien sûr, Murray sort d’un portefeuille inextricablement lié à l’un des secteurs les moins performants du gouvernement : le Plan vert. La mise au rencart des centrales électriques au charbon jumelé aux mesures incitatives destinées aux sociétés spécialisées en énergies renouvelables de la province, dans le cadre du précédent gouvernement libéral de Dalton McGuinty, ont provoqué une hausse inattendue des tarifs d’électricité de 37 milliards de dollars entre 2006 et 2014, en raison du soi-disant « ajustement global » des tarifs d’électricité de la province. Cet ajustement est l’écart entre ce que les producteurs d’énergie ont payé pour leur électricité et le taux de marché réel équitable qu’il prescrivait. Sur une facture hydroélectrique de 100 $, le consommateur pouvait payer jusqu’à 77 $ de plus.
Dans un rapport cinglant, la vérificatrice générale de l’Ontario, Bonnie Lysyk, a estimé que les contribuables pourraient se retrouver à payer 9,2 milliards de dollars de plus pour les énergies renouvelables grâce à des contrats émis en vertu de la Loi sur l’énergie verte, avec des prix garantis fixés au double de ceux du marché américain pour l’éolien et à 3,5 fois le taux pour l’énergie solaire. « Avec des prix de l’éolien et du solaire qui commencent à baisser vers 2008 dans le monde, un processus concurrentiel aurait entraîné des coûts beaucoup plus bas », a-t-elle conclu.
Cette année, tant Lysyk que le directeur de la responsabilité financière de la province, Stephen LeClair, ont dénoncé les libéraux pour leur dernier plan d’amortissement de la dette hydroélectrique de la province, qui coûterait 45 milliards de dollars pour en économiser 24 milliards $ – et cela, en supposant que la province équilibre son budget et qu’elle ne finance pas l’amortissement par de nouveaux emprunts. L’objectif est de réduire les factures d’électricité de 25 pour cent – en étalant l’amortissement sur 30 ans plutôt que 25.
Dans ce climat, certains observateurs croient que le départ de Murray pourrait donner à Wynne un nouveau souffle sur la question. Le chef du Bureau de Queen’s Park pour Global News, Alan Carter, a déclaré à iPolitics que « le ministre Murray a toujours été un personnage coloré, mais son habitude de parler à tort et à travers rendait nerveux de nombreux cadres supérieurs libéraux. Son départ ne fait pas vraiment mal aux chances de réélection de Wynne et pourrait même en fait l’aider en éliminant de possibles gaffes en 2018. » Carter ajoute qu’il ne voit plus d’autres démissions à l’horizon, du moins pour l’instant.
Ce serait une bonne nouvelle pour Wynne, qui met tout en œuvre pour faire avancer les choses en vue du vote de l’année prochaine. Outre le refinancement de l’hydroélectricité, elle a promis de faire passer le salaire minimum de la province de 11,40 $ à 15 $ l’heure d’ici 2019, d’ajouter plus d’argent dans les garderies, et de mener une étude sur un éventuel service de train à grande vitesse entre Toronto et Windsor. Elle a mis en place une taxe sur les acheteurs étrangers qui a ralenti l’augmentation des prix des maisons, augmenté l’étendu du contrôle des loyers, et instauré une assurance médicaments pour tous les Ontariens de moins de 25 ans.
Qu’elle puisse cannibaliser suffisamment le vote du NPD avec de telles mesures de gauche, et attirer suffisamment de conservateurs encore incertains du nouveau leader, Patrick Brown, demeure une question ouverte. Mais si Wynne réussit son pari, Murray se demandera peut-être si déménager dans l’Ouest était une bonne décision après tout.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.