C’est ce qui arrive lorsqu’on promet plus que ce qu’on peut offrir
C’est officiel : la réforme électorale n’est plus. Dans une lettre de mandat expédiée à Karina Gould, la nouvelle ministre des Institutions démocratiques, le premier ministre Justin Trudeau a écrit :
« Le Comité spécial de la Chambre des communes sur la réforme électorale a accompli un travail colossal, les députés de tous les partis ont tenu des séances de discussion et 360 000 individus au Canada se sont exprimés par l’intermédiaire de l’initiative MaDémocratie.ca. Toutefois, aucune préférence à l’égard d’un système électoral en particulier n’est ressortie clairement, encore moins un consensus. De plus, tenir un référendum sans qu’il y ait de préférence ou de question claire ne serait pas dans l’intérêt du Canada. La modification du système électoral ne fera pas partie de votre mandat. »
Pour emprunter un quolibet du défunt père de Trudeau : Zap – vous êtes figé. Avec un coup de la plume, Trudeau fils a complètement renversé sa promesse qu’un gouvernement libéral « introduirait une législation pour édicter la réforme électorale » dans les 18 mois d’une prise de pouvoir.
On se demande pourquoi il a même pris la peine d’envoyer une lettre de mandat à Gould. Ça aurait eu plus de sens s’il lui avait simplement envoyé une lettre de licenciement puis dissous le ministère qui n’a plus de raison d’exister.
Au-delà de l’engagement de Trudeau, cependant, il y a plusieurs victimes de cette tentative ratée de réforme électorale du gouvernement. La première est l’ancienne ministre des Institutions démocratiques, Maryam Monsef, qui a bousillé le dossier pour ensuite blâmer le Comité spécial dans ses désormais célèbres échanges à la Chambre des communes. Sans cérémonie, Monsef a été relayée à la Condition féminine en janvier.
La deuxième victime est le NPD. Le parti fait campagne pour une réforme électorale depuis plus de dix ans : les néo-démocrates voulaient une représentation proportionnelle, ce qui leur donnerait l’équilibre du pouvoir dans ce qui serait probablement des gouvernements de coalition perpétuels. Cela ne va pas se produire maintenant – ce qui les laisse grinçant des dents en attendant une autre élection sous le mode de scrutin actuel.
La troisième victime est Trudeau lui-même. Que vous soyez d’accord ou non avec la réforme électorale, cette promesse brisée lui sera reprochée à chaque occasion. Des publicités de campagne mettant en vedette la vidéo dans laquelle il promettait que les élections de 2015 « seraient les dernières menées sous le mode de scrutin actuel » sont probablement déjà enregistrées. Lors d’une conférence de presse, à la suite de l’annonce du gouvernement, le député et membre du Comité spécial, Nathan Cullen, a tenu ces propos : le premier ministre « nous a menti … qu’il serait un politicien différent, et il en payera le prix ».
Comme il le devrait. Trudeau a fait la promesse d’une réforme électorale quand son parti se plaçait en troisième position dans les sondages, quand il devait siphonner les votes des partis d’opposition – en particulier, ceux du NPD. La promesse visait les électeurs de gauche. Cela faisait partie d’un ensemble de propositions favorables au NPD, dont le retrait des avions canadiens de la lutte en Syrie et la réalisation d’un déficit « modeste » d’environ 10 milliards de dollars. En dépassant le NPD sur la gauche, Trudeau a réussi à attirer suffisamment d’électeurs de gauche pour former un gouvernement.
Beaucoup de ces électeurs y réfléchiront deux fois en 2019 car le premier ministre les a maintenant trahis sur les trois points. Bien qu’il ait retiré les CF-18 du Canada, il a augmenté le nombre de formateurs militaires, augmentant ainsi l’engagement du Canada, et non le contraire. Le prochain budget, qui doit être présenté à la fin février, comportera des projections de déficit qui seront tout sauf modestes, ce qui compromettra la capacité du gouvernement de financer les programmes sociaux, si chers aux électeurs du NPD.
Et maintenant, plutôt que de livrer la marchandise, Trudeau a reculé lorsqu’il était clair que la réforme électorale avait été désespérément mal gérée, nécessiterait probablement la tenue d’un référendum, et ne serait pas profitable aux libéraux.
Ce n’est certes pas la question qui amènera les électeurs à se détourner de Trudeau : les sondages montrent que la plupart des Canadiens ne sont pas passionnés par la réforme électorale. Ceux qui s’en soucient, s’en soucient beaucoup – le reste d’entre nous, pas tellement. « Même si la satisfaction n’empêche pas nécessairement un désir de réformer le système électoral », a conclu un rapport publié la semaine dernière par Institutions démocratiques, « la majorité des Canadiens (67%) mentionnent être assez ou très satisfaits de la façon dont fonctionne la démocratie au Canada ».
Ajoutez à cela le défi de faire face à la présidence de Donald Trump et Trudeau peut faire valoir le fait que des questions comme le commerce et l’emploi sont beaucoup plus urgentes et méritent toute l’attention de son gouvernement.
Bien sûr, ces questions ont toujours été plus pressantes, mais Trudeau savait qu’il ne pourrait pas gagner une élection avec. Au lieu de cela, il a promis quelque chose pour tout le monde : la légalisation de la marijuana pour les milléniaux, une meilleure qualité de vie pour les Premières nations, une réforme électorale pour les partisans du NPD. Mais plus vous promettez, plus vous risquez d’être incapable de livrer la marchandise – ce qui semble être exactement en train de se produire sur tous ces fronts.
Si Trudeau ne peut pas marquer plus de points dans les deux prochaines années, il fera face à beaucoup d’électeurs déçus en 2019.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.