Les Verts ont une ouverture sur la gauche – mais seulement s’ils apprennent et développe leur base
Le Parti Vert a-t-il enfoncé le bouton d’autodestruction? Le week-end dernier, lors de son congrès biennal à Ottawa, les membres ont voté en faveur d’un soutient au mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) contre Israël.
Les défenseurs du mouvement affirment qu’« Israël maintient un régime de colonialisme, d’apartheid et d’occupation contre le peuple palestinien » et préconisent une rupture des liens avec les entreprises, les banques et les gens qui font des affaires dans ou avec l’État d’Israël. L’un des plus grands objectifs du groupe était Sodastream, une entreprise israélienne qui produit des appareils de gazéification de boissons pour la maison. Elle employait 500 Palestiniens – près d’un tiers de ses effectifs – qui ont maintenant été mis à pied suite aux activités du mouvement BDS.
Décrié par beaucoup comme raciste et antisémite, le mouvement BDS aurait pour but l’atteinte d’une « anti-normalisation » des relations entre Israéliens et Palestiniens, brisant ainsi le dialogue et les relations commerciales qui pourraient aider à répondre à la question la plus intraitable du Moyen-Orient : comment les Israéliens et les Palestiniens peuvent-ils trouver une façon de vivre en paix les uns avec les autres?
Suite au vote de soutien au mouvement BDS, la chef du Parti Vert, Elizabeth May, a exprimé sa « consternation » face au fait que le parti ait choisi de soutenir un mouvement qu’elle qualifie de « polarisant, inefficace et inutile dans la quête de la paix et de la sécurité pour les peuples du Moyen-Orient ». Elle a, en outre, déclaré que, en tant que membre du parti, elle continuerait à exprimer son « opposition personnelle » au mouvement. L’année dernière, elle et 228 de ses collègues du Parlement ont voté en faveur d’une motion conservatrice condamnant le mouvement BDS; 51 députés ont voté contre.
Comment voterait-elle aujourd’hui? Elle pourrait exprimer son opposition au mouvement tout en prétendant voter selon sa conscience, mais, ce faisant, elle enfreindrait directement la politique de son parti. Alors, comment pourrait-elle continuer de le diriger, ce parti?
May est maintenant confrontée au même type de problème de dissonance cognitive que les membres du NPD ont infligé à Tom Mulcair lors du dernier congrès du parti en avril, lorsque les membres ont voté en faveur du manifeste LEAP – une relecture radicale de l’économie canadienne comme un paradis écologique dépourvu de combustibles fossiles.
Il y a une grande différence entre les deux cas, bien sûr. Lors de cette même convention, les néo-démocrates ont également congédié Mulcair, en lui accordant un faible 48 pour cent d’appui en vue du renouvellement de sa direction du parti. Mulcair demeure chef intérimaire, mais il est clair qu’il n’a jamais été celui qui amènerait le parti à prendre un tel virage à gauche. Cela rend la tâche plus facile pour le NPD qui se réinventera à travers l’actuelle course à la direction, sans doute en choisissant un chef qui appuiera le manifeste LEAP.
Les Verts – et May – n’ont pas une telle option. En avril 2016, le parti a voté à 94 pour cent en faveur du maintien de May à la tête de la formation. Alors, elle devrait rester – en théorie, du moins.
Mais en dépit de son travail acharné et du soutien personnel qu’elle reçoit, n’importe quel parti peut ressentir le besoin de sang frais à sa tête après dix ans et quatre élections. May elle-même ne semble pas particulièrement chaude à l’idée de rester en poste. « J’aime être un membre du Parlement. Je n’aime pas la politique », a-t-elle déclaré au Globe and Mail récemment. « Je n’aime pas être la chef du Parti Vert. Ce n’est pas quelque chose que je recommanderais à un bon ami. Ce n’est pas amusant … La politique est terrible. »
« Je vais certainement être leader dans la prochaine élection, si cela semble être notre meilleur pari, mais s’il y a une meilleure façon de bien faire, je serais ravie de courir aux côtés de quelqu’un d’autre et de soutenir un nouveau leader … Pour moi, tout est une question d’enjeux. Ça ne concerne pas le parti. »
La décision d’appuyer le mouvement BDS deviendra-t-il le point de bascule des Verts, en donnant à May une raison évidente de se retirer? Ou est-ce seulement la pointe de l’iceberg – un autre revers contre un parti qui se bat encore pour passer au-dessus du 6,8 pour cent dans le vote populaire (son plus haut taux obtenu, en 2008) et qui n’a obtenu qu’un maigre 3,45 pour cent du vote lors de la dernière élection fédérale?
Après 33 ans, le Parti Vert fait face à une tempête parfaite du changement. Le gouvernement Trudeau semble déterminé à assumer le rôle de l’environnement et le NPD vient de prendre un bond encore plus à gauche – deux facteurs qui augurent mal pour les Verts parce qu’ils empiètent directement sur leurs platebandes.
La réforme électorale, d’autre part, offre une fenêtre d’opportunité pour le parti – surtout si elle équivaut à une certaine forme de représentation proportionnelle. Sous le système actuel, le parti n’a élu qu’un seul député – May. Sous un système de représentation proportionnelle, il aurait obtenu 12 sièges, assez pour obtenir le statut officiel de parti. Il aurait pu en obtenir beaucoup plus en fait, puisque, sous un système de représentation proportionnelle, les électeurs qui soutiennent le programme vert ne sentiraient pas la nécessité de voter « stratégiquement » pour empêcher une autre formation de gagner.
La question fondamentale pour les Verts reste donc la même qu’en 1983 : y a-t-il une place pour eux dans le paysage politique canadien? En Europe, les partis verts ont pris part à des gouvernements de coalition, notamment en Finlande, en Italie, en Allemagne et en France. Au Canada, les Verts ont été incapables de convaincre suffisamment d’électeurs qu’ils sont une alternative réaliste pour le changement.
S’ils veulent saisir l’occasion, ils ont besoin de revoir leurs politiques et leur direction, et d’effectuer une grosse remise en question. Et ils ont besoin de le faire avant la prochaine élection, lorsqu’ils affronteront deux nouveaux dirigeants pour le NPD et les conservateurs, qui pourraient miser sur leurs propres questions vertes, ainsi qu’un premier ministre qui a créé le tout premier ministère de l’Environnement et des « Changements climatiques ».
Dans ce contexte, l’inclusion, et non l’exclusion, est le but. Les Verts ont besoin d’accroître leur base, pas de la diviser. L’appui au mouvement BDS est non seulement bête, il est un pas en arrière – peut-être même vers l’oubli – à un moment où le parti ne peut pas se permettre de faire d’erreurs.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.