Avec la participation de Leitch et d’Alexander, la course risque d’être détournée par la politique identitaire.
La course au leadership du Parti conservateur se déroule au grand galop – mais le cheval de tête ne semble être « ni l’un, ni l’autre ».
Selon un récent sondage Forum Research, 54 pour cent des répondants ont dit qu’ils préféreraient voir quelqu’un d’autre que les personnes présentement en lice – soit Tony Clement, Michael Chong, Maxime Bernier, Kellie Leitch, Andrew Scheer, Chris Alexander, Erin O’Toole et Brad Trost – comme le prochain chef du parti. Bernier reçoit 14 pour cent des appuis, suivi par Clement, à 9 pour cent, et par le reste de la bande, avec des pourcentages encore plus faibles.
Depuis la tenue du sondage, Clement a abandonné la course, Alexander a semi-officiellement annoncé ses intentions de courir… et pas grand-chose d’autre n’a changé. La moitié des candidats n’ont toujours pas fait leurs dépôts.
Alors, oui… c’est ennuyant. Mais pour être juste envers les conservateurs, il faut dire que la course présidentielle américaine – et la fureur croissante autour de Donald Trump et de ses… interactions avec les femmes – ont dominé la diète média de tous les junkies politiques du monde. Après la diffusion de cette infâme vidéo mettant en vedette le candidat républicain, plusieurs femmes se sont manifestées pour l’accuser d’agression sexuelle, expédiant du même coup la campagne Trump dans le fossé.
Bien sûr, nous ne pensons pas (Dieu merci!) que ce genre de controverse fera surface dans la course conservatrice canadienne. Mais un thème majeur de l’élection des États-Unis – l’immigration – semble être en voie de devenir la question de la campagne.
Et nous pouvons remercier Leitch et Alexander pour cela. Leitch a été la première à demander à ses partisans s’ils aimaient l’idée d’un dépistage des immigrants pour des « valeurs anti-canadiennes ». Cette question a donné naissance (selon les normes canadiennes) à une discussion des plus explosives sur l’identité nationale. Malgré les attaques venant de tous les côtés – y compris de gens de son propre parti –, Leitch a déclaré que « les Canadiens peuvent s’attendre à m’entendre parler plus, pas moins, de ce sujet … Le dépistage des immigrants pour de potentielles valeurs anti-canadiennes … est une proposition politique qui me tient particulièrement à cœur ».
Du jour au lendemain, Leitch est devenue la candidate à surveiller. Un sondage Mainstreet, mené au début de septembre, l’a placée en deuxième place après Peter MacKay – qui a ensuite annoncé qu’il ne se présenterait pas. Un sondage Forum a révélé que 67 pour cent des Canadiens, et 87 pour cent des partisans conservateurs, ont approuvé l’idée du dépistage des immigrants pour des valeurs anti-canadiennes. Leitch a fait la couverture du magazine Maclean, a qualifié le premier ministre Justin Trudeau de « négationniste de l’identité canadienne » et a fièrement déclaré être la candidate des « valeurs canadiennes ».
Depuis, la conversation s’est quelque peu estompé, comme la présence média de Leitch. Mais elle est sur le point de refaire surface grâce à Alexander, un ancien ministre de l’Immigration, qui a déclaré qu’il veut augmenter le nombre d’immigrants à 400 000 par année, dont 40 000 réfugiés. « Ceci, dit-il, est une valeur fondamentale pour moi et pour le Canada ».
Alexander a également commenté la proposition de dépistage de Leitch : « Ce que j’aimerais savoir c’est comment propose-t-elle de dépister les immigrants pour des valeurs canadiennes, avant qu’ils n’arrivent ici, d’une manière : A) que nous ne faisons pas déjà; B) qui ne soit pas trop dispendieuses; et C) qui ne conduise pas à davantage de fraude et d’abus? Je ne crois pas qu’aucune de ces questions n’aient été répondues ».
Alexander semble se préparer à une confrontation avec Leitch – ce qui n’est pas une mauvaise tactique, s’il veut attirer l’attention sur lui et la détourner d’autres questions, telle que l’économie. L’utilisation de la politique identitaire en tant que problème central n’est rien de nouveau : à part l’appel nativiste de Trump, le sujet a encore une fois pris une place centrale dans la politique québécoise, avec le premier ministre Philippe Couillard dénonçant le chef nouvellement élu du PQ, Jean-François Lisée, à propos de ses commentaires au sujet de l’interdiction du hijab faits pendant la récente campagne au leadership. Pour Couillard, la politique identitaire offre une distraction pratique aux mesures d’austérité de son gouvernement et aux scandales en matière d’éthique.
Il n’y a jamais eu de doute que Leitch et Alexander allaient aborder la question identitaire durant la course à la direction. La seule surprise a été la façon qu’ils ont choisie de le faire. Alexander a partagé la scène avec Leitch au cours de la campagne de 2015 pour annoncer la tant décriée « ligne de signalement des pratiques barbares » du parti. (Trump a semblé mettre de l’avant cette idée au cours du débat de dimanche soir, lorsqu’il a appelé les musulmans à signaler tout comportement suspect dans leur communauté, ce qui a inévitablement conduit à la création du hashtag #MuslimsReportStuff sur Twitter. Allez voir ça, c’est hilarant!)
Plusieurs croient que la ligne de signalement a été le point de bascule de la campagne des conservateurs – que l’opposition au niqab lors des cérémonies de citoyenneté du gouvernement Harper était un peu trop pour la plupart des électeurs.
Alexander lui-même semble essayer de faire marche arrière maintenant : « Ce fut une terrible campagne. Cette annonce n’était pas la bonne à faire à ce moment-là. » Il semble se présenter délibérément comme l’anti-Leitch, préparant un débat à deux côtés sur la question de l’identité.
Il y a danger ici pour les conservateurs. Personne ne devrait empêcher la tenue d’une discussion sur les valeurs canadiennes au nom de la rectitude politique ou de l’unité du parti, mais les conservateurs devraient éviter que cette question ne détourne le programme de la course au leadership au grand complet.
Alors que le mandat libéral de Trudeau se dévoile, des points de vulnérabilité deviennent apparents – à propos de l’économie, de la réforme démocratique, de la politique énergétique, du financement des soins de santé, de la légalisation de la marijuana et d’une véritable mentalité de droit inhérent aux fonds publics. Mais les libéraux continuent de dominer dans les sondages – et de parler de politique identitaire ne changera probablement pas cela.
Le prochain chef du Parti conservateur doit être quelqu’un qui a des réponses à offrir à toutes ces questions. La dernière chose dont le parti a besoin maintenant, c’est d’un partisan d’une seule cause.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.