Kevin O’Leary méprise le parti qu’il veut diriger

Il traite la course avec mépris. Beaucoup de conservateurs ne semblent pas s’en offusquer.

« C’est tout ou rien. Je ne peux pas faire ce que je dois faire dans ce pays sans un mandat majoritaire. Je ne peux pas déloger le virus Trudeau sans mandat majoritaire … Vous devez entreprendre ce mandat avec des gens qui comprennent ce que vous allez faire. »

Ah, ce Kevin O’Leary … toujours autant de classe – avec un C majuscule. Et il est prêt à mettre son nez sur la meule, pour ainsi dire, à travailler fort pour gagner la confiance des Canadiens et à servir son pays à la Chambre des communes – plutôt que dans une salle de réunion ou un studio de télévision. Et vous pouvez voir qu’il sera parfaitement honnête et sincère avec vous tout au long du processus.

Ou peut-être pas. Ce week-end, O’Leary ne s’est pas présenté à un débat organisé par l’association de comté d’Eglinton-Lawrence, à Toronto et animé par l’ancien ministre des Finances, Joe Oliver. Les treize autres candidats se sont présentés; O’Leary était aussi censé y aller, mais son attaché de presse, Ari Laskin, a déclaré aux organisateurs du débat qu’« en raison d’engagements de campagne, M. O’Leary a récemment dû manquer une série d’événements familiaux et profite de l’occasion pour compenser le temps perdu en célébrant son 27e anniversaire de mariage ce week-end  avec Linda ».

En matière d’excuse, ça n’était pas mal. Et ça aurait pu passer si O’Leary n’avait pas omis de se présenter à d’autres débats (comme celui d’Edmonton) ou bien s’il n’avait pas évité le débat de langue française à Québec (il ne peut pas parler français) en repoussant l’annonce de sa candidature jusqu’à ce qu’il ait eu lieu. Ça aurait peut-être pu passer cette fois-ci aussi, s’il avait été vraiment honnête.

Mais il ne l’a pas été. Dimanche matin, O’Leary a passé du « temps en famille » dans les studios de télé de MSNBC où il a donné une longue entrevue sur des questions à mille lieux de celles débattues en politique canadienne : soit la volonté du président Donald Trump de tenter d’abroger et de remplacer Obamacare et les possibles répercussions de ces changements sur les politiques fiscales américaines.

Quelque chose me dit que sa femme ne l’a pas accompagné dans ce lieu des moins… romantiques. Et personne sur Twitter n’a cru l’excuse d’O’Leary cette fois-ci non plus. « Kev, mon vieux romantique », a tweeté quelqu’un. Et voici une attaque des plus épiques : « Après avoir perdu la course à la direction du PC, O’Leary aura amplement de temps à passer avec son épouse. Pauvre femme. » D’autres adeptes de Twitter ont utilisé le hashtag « #Justvisiting » (« Seulement de passage »), évoquant d’amers souvenirs de la campagne conservatrice qui a aidé à renverser le chef libéral Michael Ignatieff, en l’accusant d’une faible loyauté envers le Canada parce qu’il avait passé tant d’années au sud du 49e parallèle.

Mais l’entrevue d’O’Leary renfermait au moins un peu de contenu canadien. Après avoir parlé d’une série de problèmes américains, O’Leary a répondu à une dernière question à propos de la politique d’immigration canadienne. Il a mentionné « les gens … qui obtiennent un visa américain, atterrissent à Laguardia ou Kennedy, Seattle ou San Francisco … passent 20 minutes aux États-Unis, puis prennent un vol vers le Canada où ils se présentent au point d’entrée de la frontière et demandent une audition visant à établir un dossier de statut de réfugié », et « les personnes qui traversent la frontière glaciale au Manitoba avec des enfants … y perdant des doigts, suite à des engelures, en provenance de pays comme la Somalie, etc. »

Par une rare coïncidence, l’immigration a été l’un des sujets-clés du débat qu’O’Leary a choisi d’ignorer. Mais pourquoi parler à 300 supporters conservateurs réunis dans une salle (en plus de ceux qui regardent la vidéo en direct sur YouTube) quand vous pouvez vous adresser à des millions de fans de Shark Tank sur un réseau américain?!

L’attitude cavalière de la campagne d’O’Leary est insultante – pour le parti qu’il dit vouloir diriger, pour les partisans qu’il prétend courtiser, et pour les candidats avec qui il est en compétition. Les membres du PCC peuvent envoyer leur bulletin de vote par la poste. L’envoi de votre candidature par la poste est une toute autre question.

Beaucoup de membres ne semblent pas s’en soucier. Le dernier sondage Mainstreet Research pour iPolitics donne à O’Leary la plus grande part du soutien de premier choix parmi les candidats – un soutien de 25%, légèrement en hausse par rapport à la semaine précédente. Maxime Bernier a terminé deuxième, avec environ 18%, et Andrew Scheer, troisième avec 12%.

O’Leary prétend également avoir été chercher 35 000 nouveaux membres en seulement 69 jours, dépassant ainsi tous les autres candidats, dont la plupart étaient officiellement entrés dans la course bien avant le nouvel an.

Cela en dit gros sur la course et sur le manque d’enthousiasme qu’elle a généré non seulement dans le public en général, mais au sein des fidèles du parti. Si cela prend une star de télé réalité pour dynamiser une course au leadership (une émission de télé réalité en soi), alors ce parti a vraiment un problème.

Cela aurait dû être l’occasion de réorganiser le conservatisme canadien à l’ère post-Harper. Au lieu de cela, les conservateurs ont eu droit à une Kellie Leitch donnant des coups de sifflet antimusulmans datant de 2015, tandis que l’aspirant Brad Trost a répondu à une question que personne ne lui avait posée en nous disant qu’il n’est « pas tout à fait confortable avec tout la filière gai ». Ajoutez à cela la nonchalante arrogance d’O’Leary et il n’est pas étonnant de voir de nombreux électeurs changer de poste.

O’Leary n’est pas qu’une simple star de télé à la recherche d’un plus vaste public. Il semble avoir pris quelques habitudes politiques : lorsqu’on lui a demandé s’il resterait à la tête du parti s’il n’obtenait pas un gouvernement majoritaire, il a patiné comme le font les meilleurs politiciens. « Je n’ai pas de plans d’urgence en cas d’échec. Cela ne fonctionne pas. Ce n’est pas de cette façon que je gère mes activités. Je me fixe un but; je l’atteins, la plupart du temps. C’est pourquoi j’ai réussi dans la vie. Je ne gaspille pas mon énergie à planifier un éventuel échec. »

Et les conservateurs ne le devraient pas non plus. Et c’est exactement pourquoi les conservateurs devraient y réfléchir deux fois avant de choisir un PDG absent.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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