Justin Trudeau doit mettre en pratique ce qu’il prêche

Une loi pour les riches et les puissants. Une autre loi pour tout le monde. C’est le message qui sous-tend le témoignage de l’ancienne procureure générale Jody Wilson-Raybould, présenté cette semaine au Comité de la justice de la Chambre des communes.

Pendant quatre heures, Wilson-Raybould a brossé le portrait d’un cabinet du premier ministre placé au-dessus de la loi et cherchant à protéger ses propres intérêts au détriment de ceux des électeurs en faisant fi d’un des principes fondamentaux de la démocratie canadienne: les politiciens ne peuvent intervenir dans le système judiciaire. Une fois cette ligne franchie, vous vous retrouvez sur une pente glissante menant vers un monde où la règle de droit n’a plus de sens et où le citoyen devient impuissant devant l’État.

Les libéraux voient les choses différemment. Ils prétendent qu’ils défendaient ce citoyen et protégeaient des emplois canadiens, y compris les 9 000 employés de SNC-Lavalin. Leur récit est simple: le premier ministre Justin Trudeau et ses acolytes aidaient simplement l’ancienne procureure générale Wilson-Raybould à comprendre ce qui pourrait se produire si elle n’accordait pas à la société un accord de poursuite différée pour corruption. SNC-Lavalin pourrait être racheté! Son siège social déplacé à Londres! Des milliers de travailleurs remerciés!

Mais il y a un petit problème: si le témoignage de Wilson-Raybould est véridique, ce récit est un mensonge colossal. Les principales préoccupations du gouvernement étaient de nature électorale, et non économique. Tout d’abord, la réélection d’un gouvernement libéral au Québec, qui ne s’est pas concrétisée en octobre 2018. Ensuite, le fait que Trudeau était le député de Papineau, une circonscription située au Québec – un détail qu’il a personnellement expliqué à Wilson-Raybould. Enfin, la réélection du gouvernement libéral fédéral actuel, qui, espère-t-il, aura lieu en octobre 2019.

Ces préoccupations ont été formulées à maintes reprises à l’ancienne procureure générale, malgré le fait que le manuel du directeur des poursuites pénales exclut expressément « les avantages ou inconvénients politiques éventuels pour le gouvernement ou tout autre groupe ou parti politique » comme critères permettant de décider s’il y a lieu ou non d’utiliser la disposition.

Après que Wilson-Raybould eut refusé de céder, à la mi-janvier, Trudeau l’a rétrogradée et l’a remplacée en tant que procureure générale par le député du Québec, David Lametti, ancien secrétaire parlementaire du ministre de l’Innovation. Wilson-Raybould a déclaré dans son témoignage que le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, avait dit à son ancien sous-ministre que l’un des premiers ordres du jour du nouveau procureur général serait la tenue d’une conversation avec le premier ministre au sujet de SNC-Lavalin. Un mois plus tard, le quotidien The Globe and Mail citait Lametti, affirmant qu’un accord de poursuite différée était « encore possible » – une position diamétralement opposée à celle de son prédécesseur.

Wilson-Raybould a beau qualifier ces actes d’« inappropriés » par opposition à illégaux, mais pris ensemble, ils pourraient constituer une entrave à la justice. Et les sanctions pour ce crime sont sévères. Le paragraphe 139 (2) du Code pénal est clair : « Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque volontairement tente … d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice ».

Ou à tout le moins, passible du purgatoire politique. Ce fut le cas en 1990, lorsque les libéraux ont demandé la démission de Jean Charest, alors député du Parti progressiste-conservateur, pour ingérence politique dans le système judiciaire. Charest, alors ministre des Sports, avait admis avoir passé un coup de fil inapproprié à un juge qui devait statuer dans une affaire de sport. On s’entend, c’est de la petite bière comparé au niveau de pression appliqué à Wilson-Raybould. Mais Charest a fait la chose honorable à faire et a quitté le Cabinet – pour être réintégré un an plus tard par le premier ministre de l’époque, Brian Mulroney.

Si Trudeau avait la moindre pudeur, il démissionnerait de son poste de premier ministre et déclencherait des élections. S’il ne le fait pas, la GRC devrait ouvrir une enquête sur sa conduite et celle de son bureau afin de déterminer si des accusations d’entrave sont justifiées. S’il croit vraiment à la règle de droit, comme il l’a répété à maintes reprises ces derniers mois, il devrait mettre en pratique ce qu’il prêche, faire ce qu’on attend d’un premier ministre ou laisser la place à quelqu’un qui le fera.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de Global…

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