Pendant combien de temps encore le premier ministre Justin Trudeau permettra-t-il à Jody Wilson-Raybould et à Jane Philpott de demeurer au sein du caucus libéral fédéral?
À Ottawa, cette question domine les conversations, tant dans les cocktails que les balades en taxi. Cela a commencé après l’extraordinaire sortie de Philpott dans le magazine Maclean’s, où elle a déclaré qu’« il y avait beaucoup plus à dire [dans l’affaire SNC-Lavalin] et qu’il fallait le dire ».
Cela a atteint un point culminant quand Wilson-Raybould a promis de fournir au comité de la justice « des copies de messages textes et de courriels » afin de « clarifier davantage les déclarations que j’ai faites et élucider la précision et la nature des déclarations des témoins dans les déclarations qui ont suivi ma comparution devant le comité. »
À quoi peut-on s’attendre maintenant, se demande-t-on? Une entrevue de fond à l’émission The National?
C’est comme si les deux femmes défiaient Trudeau de les expulser, le défiaient de renier en quelque sorte son statut de champion du féminisme, des droits des autochtones et du « faire de la politique autrement ». C’est comme si elles le défiaient d’agir comme tout autre dirigeant – Stephen Harper, Jean Chrétien, ou son père, le regretté Pierre Trudeau – l’aurait fait et d’affirmer son autorité sur ses députés égarés.
Ce n’est pas comme si Trudeau ne l’avait pas fait auparavant. En 2014, il a pris un certain nombre d’actions définitives. En novembre de la même année, lorsque les députés libéraux Massimo Pacetti et Scott Andrews ont été accusés d’inconduite sexuelle par deux députées néo-démocrates, Trudeau les a expulsés du caucus sans hésiter.
En mai, Trudeau a publié une règle voulant que tout député ou candidat potentiel qui n’appuyait pas le droit à l’avortement se verrait refusé la possibilité de se porter candidat.
Et en janvier, Trudeau a exclu du caucus libéral 32 membres du Sénat – pour la simple raison qu’ils étaient libéraux et qu’il souhaitait adopter une position claire à la lumière du scandale des dépenses du Sénat. Pris ensembles, ces actes ont entaché son image de féministe, renforcé son mantra « faire les choses différemment » et lui ont donné des allures de leader n’ayant pas peur de prendre des décisions.
Alors pourquoi hésiter maintenant? Que craint Trudeau? Que savent Wilson-Raybould et Philpott – ou pourraient-elles divulguer – si elles étaient chassées du caucus? Les spéculations vont bon train, mais certains scénarios semblent plus plausibles que d’autres. Le principal est que SNC-Lavalin n’a pas été l’élément déclencheur du mécontentement des femmes, mais un pratique point de bascule. La théorie est que d’autres problèmes – l’échec du gouvernement à régler les revendications territoriales des autochtones, l’absence d’avancée matérielle sur les problèmes des Premières Nations – les ont fâchées encore plus. Elles en sont peut-être venues à la conclusion que la défense de ces causes par Trudeau était factice, un simple signalement de vertu pour gagner des votes, et qu’elles ne l’acceptaient plus.
(Il est intéressant de noter qu’un porte-parole du nouveau procureur général, David Lametti, vient de confirmer que les directives de Wilson-Raybould sur les litiges avec les Premières nations seront respectées – 20 lignes directrices qui modifient profondément la manière dont la Couronne conduira les poursuites autochtones et qui encourageront les règlements à l’amiable).
Quelle que soit leur raison, il semble maintenant clair que Wilson-Raybould et Philpott organisent un véritable coup d’État. Plus Trudeau attend pour l’écraser, plus il apparaît comme étant faible. Le nombre élevé de députés et de ministres se précipitant à sa défense ne fait que diminuer sa stature; quel genre de premier ministre doit être sauvé par sa propre équipe? Ne devrait-on pas voir l’inverse?
Mais tout le monde ne fait pas partie de l’équipe Trudeau. Dans le quotidien The Tyee, Martyn Brown, ancien aide du premier ministre libéral de C.-B., Gordon Campbell, a estimé que « la crainte de perdre Trudeau doit être renversée si les progressistes de gauche veulent minimiser les chances de victoire de Scheer cet automne. Les libéraux ne peuvent plus qu’espérer retrouver le haut niveau moral essentiel pour garantir les valeurs qu’ils prétendent représenter en remplaçant leur chef. »
La seule autre option pour éviter d’avoir à expulser Wilson-Raybould et Philpott serait que Trudeau déclenche une élection anticipée. Mais comme les conservateurs fédéraux sont en bonne position dans les sondages et qu’une élection partielle ait été déclenchée pour le 6 mai dans Nanaimo, il semble que Trudeau ait tracé une croix sur cette option. Des élections anticipées à la fin de juin ou en juillet seraient encore possibles, mais il faudrait que Trudeau agisse maintenant pour endiguer l’hémorragie.
Tout ce que les libéraux ont essayé – remplacer le greffier du Conseil privé, nommer Anne MacLellan pour recommander des changements à la gouvernance des partis, présenter un budget plein de grosses dépenses – n’a pas réussi à changer la conversation, en gros parce que les propres députés du premier ministre continuent de le poignarder dans le dos. À moins qu’il ne veuille que cette élection devienne un référendum sur son leadership, ou que son propre parti se retourne contre lui, Trudeau doit trancher et mettre Wilson-Raybould et Philpott à la porte.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de Global…