Le BS corporatif ne mène jamais à autre chose qu’à plus de BS corporatif. C’est assez!
Parfois, vous ne pouvez plaire à tout le monde. Cette semaine, Ottawa a annoncé qu’il fournirait à Bombardier Inc. des prêts sans intérêt s’élevant à 372,5 millions de dollars pour soutenir son secteur des jets privés – soit le dernier d’un flot constant de versements de fonds fédéraux, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars, octroyés à l’entreprise depuis 1966.
Pourtant, la nouvelle eu l’effet d’un pétard mouillé au Québec, où le gouvernement provincial a distribué 1,3 milliard de dollars à l’entreprise en moins de deux ans en échange d’une participation de 49,5% dans le projet, et où les attentes étaient élevées pour qu’Ottawa en fasse autant.
« À quoi ça sert d’être dans ce pays? », s’est exclamé le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, qui se plaignait du fait que le rôle du gouvernement fédéral était d’aider les puissances économiques dans le besoin – comme l’industrie automobile – « mais quand notre tour arrive, en fait, ce n’est jamais notre tour ».
« Nous ferions mieux de faire en sorte que le Québec soit indépendant », a-t-il ajouté, affirmant que le prêt à Bombardier prouve que les Québécois « sont dans le mauvais pays ».
Le chef de la Coalition Avenir Québec, François Legault, a publié un communiqué de presse exigeant que Québec insiste pour qu’Ottawa partage les risques de l’investissement provincial. Et alors que le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, s’est attribué le mérite d’avoir « sauvé » l’entreprise, qui était au bord de la faillite en 2015, sa ministre des Finances, Dominique Anglade, a ajouté : « Nous sommes sur la même longueur d’onde maintenant, mais les choses doivent aller plus loin ».
Traduction: Éventuellement, le Québec va réclamer plus d’argent des fédéraux.
Dans le reste du Canada, les critiques ont été rapides à venir. « Le premier ministre a signé un chèque de 370 millions de dollars à une seule entreprise et il n’a même pas obtenu d’assurances de la part de ses dirigeants qu’ils embaucheraient un seul nouveau travailleur », a accusé Rona Ambrose, leader intérimaire du Parti conservateur à la Chambre des communes. « J’espère vraiment qu’il aura une nouvelle équipe de négociation avant d’aller s’asseoir avec le président Trump pour renégocier l’ALENA, ou nous sommes foutus. » Des chroniqueurs, des analystes financiers anglophones, même le comité de rédaction du Toronto Sun, se sont bousculés pour dire comment l’accord est « mauvais pour les contribuables ».
La décision a même fait des vagues à l’étranger. Les prêts ont incité le gouvernement du Brésil à déposer une plainte officielle auprès de l’Organisation mondiale du commerce alléguant que « les subventions canadiennes affectent artificiellement la compétitivité internationale du secteur, d’une manière incompatible avec les obligations du Canada au sein de l’OMC ».
Ce qui est un peu ridicule, étant donné qu’Embraer, la société aérospatiale brésilienne et principale concurrente de Bombardier, est subventionnée par son propre gouvernement grâce à des programmes tels qu’une ligne de crédits à faible intérêt pour la « recherche sur l’innovation » garantie par la National Bank for Social and Economic Development (Banque nationale pour les affaires sociales et économiques). Mais le Brésil affirme que le plan de sauvetage du Canada est différent, qu’il enfreint les règles de l’OMC et qu’il crée « une importante asymétrie qui rend la concurrence injuste ».
Sans blague. Le BS corporatif de toute nature est injuste. Il prend les impôts payés par les entreprises prospères et leurs travailleurs et les redistribue à leurs concurrents sous-performants. Il récompense l’échec et affaiblit les incitatifs à réussir. Il maintient les industries moribondes en vie pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’économie – et tout à voir avec la politique. Et il s’agit d’un puit sans fond, car une fois qu’une entreprise obtient une aide, les demandes des autres ne tardent pas à suivre.
Comme l’a souligné le chroniqueur John Robson l’année dernière, le BS corporatif est une question de faveurs et d’influence. Il a fait remarquer que le « Groupe d’experts chargés d’analyser le programme d’aide aux entreprises ontariennes » de l’Ontario a signalé en juillet 2014 que 30% des quelque 5 milliards de dollars alloués aux sociétés étaient destinés à 200 grandes entreprises bien établies, soit seulement 0,1% des entreprises ontariennes.
Il n’est pas difficile de supposer que ce modèle se répète au sein d’autres gouvernements provinciaux et au niveau fédéral – où le gouvernement a été dénoncé récemment pour ses collectes de fonds de type « dollars contre accès », les donateurs versant 1500 dollars pour luncher avec des ministres ou le premier ministre en personne.
Et quand il s’agit de débloquer des fonds pour Bombardier, personne ne semble jamais dire « non ». Peu importe la piètre façon dont la société performe, l’argent continue de rentrer. La CSeries de Bombardier peine à se trouver des acheteurs et son cours boursier a chuté de 50 pour cent au cours des quatre dernières années. La division des transports de l’entreprise est également en difficulté; elle est tellement en retard sur les commandes pour les tramways de Toronto que la Ville subit d’importants retards de transit et poursuit maintenant Bombardier pour 50 millions $.
Et puis il y a la question de la gouvernance. Bombardier a été sous le contrôle des familles Beaudoin/Bombardier depuis sa fondation. Grâce à une structure d’actionnariat double, ces dernières ont été isolées de la fortune en déclin de l’entreprise et de leurs propres mauvaises décisions de gestion. « Des réformes sont nécessaires pour s’assurer que les actionnaires subalternes de Bombardier puissent contribuer à décider qui se retrouve sur le conseil de la société. Ce n’est pas l’endroit où doit se retrouver l’argent des contribuables », conclut Anita Anand, la chaire J.R. Kimner en protection des investisseurs et gouvernance d’entreprise à l’Université de Toronto.
Le premier ministre Trudeau a peut-être senti qu’il aurait tort, quoi qu’il fasse. Cela pourrait expliquer sa décision d’acquiescer à certaines – contrairement à toutes – les demandes de Bombardier. Mais comme le montrent les réactions à l’annonce, il n’y a pas de juste milieu quand il s’agit de BS corporatif. Soit les politiciens prennent position et ferment le robinet, soit ils se soumettent au supplice de la goutte d’eau.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.