Il est moins coûteux – et il donne aux migrants une meilleure chance d’améliorer leur sort
Ce fut l’image qui a fait tourner le vent de l’élection de 2015 : la photo d’un petit garçon, échoué sur une plage grecque, son visage dans le sable, ses petites espadrilles couvrant toujours ses pieds.
Du jour au lendemain, l’image d’Alan Kurdi, un réfugié syrien de quatre ans qui a péri en essayant de traverser la mer Méditerranéenne, apparemment après que sa famille eut vu sa demande de statut de réfugié refusée au Canada, a fait des migrants syriens la principale question de la campagne. L’histoire a brouillé les lignes conservatrices voulant que Justin Trudeau ne fût « pas prêt » et a braqué les projecteurs sur la politique gouvernementale en matière de réfugiés, y compris son échec à atteindre ses modestes objectifs de relocalisation de 3 500 migrants en 2015.
« Des centaines de milliers de personnes fuient les horreurs. Nous devons prendre position, nous devons faire partie d’une solution internationale, nous devons commencer à faire notre part », a lancé Tom Mulcair, le chef du NPD. Le chef libéral, Justin Trudeau, a vanté son engagement annoncé précédemment d’admettre 25 000 réfugiés syriens d’ici la fin de l’année. « Les Canadiennes et les Canadiens ont été profondément touchés par la souffrance des réfugiés en provenance de la Syrie et des environs. Le Canada a su tendre la main tout au long de son histoire, que l’on pense aux réfugiés hongrois dans les années 1950, aux réfugiés musulmans ismaéliens dans les années 1970 ou aux populations fuyant l’Asie du Sud-Est par la mer dans les années 1970 et 1980 », soulignait l’engagement pour « changer ensemble » du parti.
En ce qui concerne les conservateurs, le ministre de l’Immigration de l’époque, Chris Alexander, a répondu à la crise des réfugiés avec désinvolture en accusant la SRC de l’avoir ignorée (une accusation facilement réfutée, en direct, par Rosemary Barton, l’animatrice de l’émission Power and Politics). Agressif et froid, l’échange a renforcé la perception voulant que Stephen Harper et son parti manquaient de compassion, déjà le talon d’Achille du parti. Cela a ensuite incité les conservateurs à se repositionner pour se concentrer sur la sécurité nationale et sur la « politique de la peur », y compris la « ligne de dénonciations » des pratiques barbares, qui a été rejetée en faveur de Trudeau.
Mais un an plus tard, il s’avère que la politique de réfugiés du gouvernement Harper, qui mettait l’accent sur le parrainage privé plutôt que sur l’aide publique massive, avait peut-être plus de sens qu’elle n’en avait l’air. Selon un rapport publié cette semaine par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, et cité par le Toronto Star, les réfugiés aidés par le gouvernement ont plus de difficulté à s’adapter à la vie canadienne que leurs homologues privés – et coûtent plus cher aux contribuables.
Le rapport a été commandé dans le cadre de la lutte pour de meilleurs programmes gouvernementaux lancée en 2009 par le Conseil du Trésor, durant l’ère Harper. L’étude s’est penchée sur les réfugiés qui sont venus au Canada entre 2010 et 2015, mais ne couvrait pas les 25 000 réfugiés syriens admis par le gouvernement Trudeau après novembre 2015.
Le rapport a révélé que cinq ans après leur arrivée, 41 % des réfugiés aidés par le gouvernement dépendaient de l’aide sociale, contre 28 % parmi ceux qui sont parrainés par des groupes privés. Soixante-cinq pour cent des réfugiés aidés par le gouvernement utilisaient les services d’une banque alimentaire, contre 29 % des réfugiés parrainés par le secteur privé. Quarante pour cent des réfugiés aidés par le gouvernement sont restés au chômage, contre 30 % de leurs pairs parrainés par le secteur privé.
« Les réfugiés parrainés par le secteur privé peuvent généralement compter sur le soutien de membres de leur famille au Canada », a déclaré Janet Dench, directrice générale du Conseil canadien pour les réfugiés. « Et ils ne sont pas choisis pour leur vulnérabilité, comme le sont les réfugiés assistés par le gouvernement … Le rapport montre clairement qu’il n’y a pas suffisamment de soutien pour les réfugiés assistés par le gouvernement ».
Vu d’une autre façon, le rapport montre que le parrainage privé est préférable au parrainage public – et pas seulement d’un point de vue financier. L’intégration à la vie canadienne est un défi pour tout immigrant; ajouter à cela des barrières linguistiques, le traumatisme de la guerre et des différences culturelles, et il devient beaucoup plus difficile. Un coup de main, sous la forme d’un commanditaire personnellement engagé, peut être beaucoup plus rassurant qu’un appel téléphonique d’urgence à un bureaucrate gouvernemental sans lien de dépendance. Peu importe le montant d’argent accordé par le gouvernement aux réfugiés parrainés par l’État, ils ne recevront jamais le même niveau de services que les familles qui sont prises sous l’égide d’individus et d’organismes privés.
En mars, l’actuel gouvernement a fixé une cible de 17 800 réfugiés parrainés par le secteur privé pour 2016. Pourtant, certains promoteurs privés de réfugiés se plaignent qu’Ottawa prend des mois pour approuver leurs demandes, même s’ils sont prêts à aider immédiatement les familles. Ces groupes ne sont pas tous des « membres de la famille » des réfugiés – certains sont des organisations religieuses et communautaires qui ont répondu à la crise des réfugiés et veulent aider des étrangers en période de grand besoin.
Le coût du traitement des réfugiés parrainés par le secteur privé est également inférieur à celui des réfugiés parrainés par le gouvernement. Le rapport montre qu’entre 2011 et 2015, le coût du traitement d’un parrainage privé a diminué de 2 056 $ à 1 550 $. Les demandes d’asile assistées par le gouvernement, elles, ont légèrement augmenté de 1 453 $ à 1 611 $. Le coût annuel de traitement pour le programme de parrainage privé a diminué de 25 % durant cette même période, alors que celui des réfugiés aidés par le gouvernement a augmenté de 16 %, malgré le fait que le même nombre de demandes – 8 500 – eut été traité dans les deux catégories en 2011 et en 2015.
Si le but est d’éloigner les gens le plus rapidement possible de zones de crise, le parrainage du gouvernement peut être plus efficace que le parrainage privé. L’État peut agir plus rapidement que les organisations privées pour déplacer un grand nombre de personnes; il peut mettre en place des ressources et éliminer la paperasse qui ralentirait autrement le processus de traitement. Les autorités chargées de l’immigration n’ont pas besoin d’approuver les demandes de parrainage privées; au lieu de cela, Ottawa peut fixer un objectif arbitraire et y répondre en y affectant des fonds publics (ou, dans le cas de l’actuel gouvernement, des emprunts).
Mais l’aide humanitaire implique plus que simplement sortir des gens de zones de guerre. La compassion ne prend pas fin sur le tarmac : à moins d’aider les nouveaux arrivants à se construire une nouvelle vie, vous risquez de les condamner à un cycle de pauvreté et de frustration. Et d’admettre des réfugiés sans ressources pour les intégrer correctement est également injuste pour les citoyens canadiens qui en paient la facture.
Le message de ce rapport est clair : Ottawa ne devrait pas jouer à la calculette avec les réfugiés. Il devrait donner la priorité au parrainage privé chaque fois qu’il le peut et réduire le parrainage d’État, à moins qu’il n’ait les ressources nécessaires pour soutenir convenablement les migrants qu’il fait entrer au pays. Les Canadiens – et les réfugiés qu’ils accueillent – n’en méritent pas moins.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.